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Force exécutoire des arrêts

772. — Parmi les expressions généralement proposées pour rendre compte de l’interdiction de connaître le fond, on lit souvent que ne pas connaître du fond, «c’est […] ne pas évoquer la contestation en rendant un jugement qui forme un titre d’exécution aux parties pour l’objet de leur demande» (Exposé des motifs de la loi du 7 juillet 1865 abrogeant les articles 23, 24 et 25 de la loi du 4 août 1832 sur l’organisation judiciaire, Pasin., 1865, p. 218;

proc. gén. P. Leclercq, «De la Cour de cassation», op. cit., spéc. pp. 33 et 60; Chev. Braas, Précis de procédure civile, 3e éd. t. II, op. cit., n° 1409; proc. gén. R. Hayoit

de Termicourt, «Propos sur l’article 95 de la Constitution», J.T., 1954, pp. 509-510; proc. gén. F. Dumon, «De l’Etat de droit», J.T., 1979, p. 478, n° 9). 773. — La formule est exacte dans la mesure où elle traduit que le demandeur originaire, débouté en première instance et en appel mais triomphant en cassation, ne disposera d’aucun titre exécutoire à l’encontre de son adversaire par le fait de la cassation.

774. — Mais elle porte à faux si on lui fait dire qu’une cassation n’emporte aucune conséquence quelconque sur les droits en litige qui auraient été constatés ou consacrés par la décision cassée dans le chef de l’une ou l’autre par- tie. Il est constant, en effet, qu’une cassation entraîne la remise des parties dans l’état où elles se trouvaient sous l’empire, et le cas échéant en exécution, de la décision cassée. D’où il découle que celui qui, au bénéfice de l’absence d’effet suspensif du pourvoi (C. jud., art. 1118 (supra, nos 224 et s.); G. de Leval, Traité des saisies,

Liège, éd. de la Faculté de droit de Liège, 1988, p. 543, n° 265; A. Fettweis, Manuel de procédure civile, 2e éd.

op. cit., n° 851. Il suit de cette règle que l’exécution d’un arrêt de cour d’appel frappé de pourvoi ne peut évidem- ment être neutralisée par le cantonnement (Cass., 22 juin 1992, J.T.T., 1992, p. 407)), a procédé à l’exécution de cette décision se trouve, par le seul effet de la cassation, tenu de restituer ce qu’il aurait perçu sans qu’il soit besoin d’une décision expresse de la Cour (Cass., 15 février 1973, Pas., 1973, I, p. 570; Cass., 10 août 1849, Pas., 1849, I, p. 384; Bruxelles (9ech.), 26 mars 2002,

J.T., 2002, p. 434, qui fait très exactement le point sur les solutions rappelées ici).

L’étendue de cette obligation de restitution ne suscite guère difficulté sauf pour ce qui concerne le point de départ des intérêts moratoires dus sur le principal à res- tituer.

La Cour de cassation paraît laisser ce débat ouvert, dans la mesure où elle considère que «la question de savoir si le demandeur a subi un préjudice et éventuelle- ment à quel taux et à partir de quelle date des intérêts lui sont dus, d’une part, suppose l’appréciation d’élé- ments de fait et, d’autre part, dépend de la décision qui interviendra sur le fond du litige» (Cass., 15 février 1973, Pas., 1973, I, p. 570), et où, ce faisant, elle relègue cette question à l’appréciation souveraine de la juridiction de renvoi.

Certains enseignent que «l’arrêt de cassation emporte, de droit, condamnation à restitution de tout ce qui a été perçu en exécution de la décision annulée et ce, alors même que le dispositif de l’arrêt de cassation ne pronon- cerait pas expressément cette condamnation. La somme perçue par la partie poursuivante doit être restituée, majorée des intérêts calculés du jour de son encaissement. Il suffit donc que l’arrêt de cassation soit signifié confor- mément à l’article 1115 C.J.» (A. Fettweis, Manuel de procédure civile, 2e éd., op. cit., p. 560, n° 874; H. Simont,

Des pourvois en cassation en matière civile, op. cit., p. 232, n° 226, citant Anvers, 12 décembre 1899, Pas., 1900, II, p. 236).

D’autres préconisent l’application analogique de l’enseignement tiré d’un arrêt de la Cour de cassation du 15 septembre 1983 (Cass., 15 septembre 1983, Pas., 1984,

I, p. 42, concl. proc. gén. E. Liekendael, alors av. gén.), dont il résulte que l’obligation de restitution d’une somme payée sur le fondement d’une décision revêtue de l’exécution provisoire (C. jud., art. 1398) ne naît qu’à dater du prononcé de la décision du juge d’appel réfor- mant cette condamnation (G. de Leval, Traité des sai- sies, op. cit., pp. 425-426, n° 223 B; G. de Leval, Élé- ments de procédure civile, 2e éd., Bruxelles, Larcier, 2005,

p. 263, n° 182B; J. van Compernolle, «Examen de juris- prudence (1972-1985). Droit judiciaire privé. Les voies de recours», R.C.J.B., 1987, p. 193, n° 57), ces mêmes auteurs ayant toutefois, pour la même hypothèse, anté- rieurement soutenu la thèse inverse (celle de la date du paiement) à celle (date de la réformation) de cet arrêt du 15 septembre 1983 (G. de Leval et J. van Comper- nolle, «Aperçu des règles communes aux saisies conser- vatoires et aux voies d’exécution», in Les voies conserva- toires et d’exécution. Bilan et perspectives (A. Fettweis et E. Gutt dir.), Bruxelles, éd. Jeune Barreau, 1982, p. 66, n° 83). La Cour de cassation elle-même avait jadis consa- cré la thèse selon laquelle «les intérêts compensatoires» réparant le préjudice résultant de l’exécution menée aux risques et périls de l’exécutant, «étaient dus depuis le jour du payement forcé» (Cass., 26 octobre 1849, Pas., 1851, I, p. 124).

Tout ceci invite à considérer que la réponse à la ques- tion, et plus encore l’analogie proposée, demeurent incer- taines (R.P.D.B., v° Saisies - Généralités, Compl. t. VIII, Bruxelles, Larcier, 1995, p. 565, nos 290-295 et réf. citées).

Initialement acquise à la thèse selon laquelle les inté- rêts moratoires courraient depuis le paiement effectué en exécution de la décision cassée (voy. E. Faye, La Cour de cassation. Traité de ses attributions et de sa compétence et de la procédure observée en matière civile, Paris, Marescq- Aîné, 1903, p. 303, n° 268), la Cour de cassation de France considéra dans un second temps que le point de départ de ces intérêts était reporté au jour où le défendeur en cas- sation prenait connaissance du pourvoi, étant le jour de la signification de l’arrêt aux termes duquel la chambre des requêtes avait admis le pourvoi, car c’est à cette date que le défendeur qui s’est fait payer était «mis en demeure [de restituer les sommes payées] et averti du danger [de cassation]» (E. Faye, La Cour de cassation. Traité de ses attributions et de sa compétence et de la pro- cédure observée en matière civile, op. cit., pp. 303-304, n° 268, citant Cass. fr. (req.), 12 juillet 1848, D., 1848, 5, p. 248; adde Cass. fr. (req.), 16 février 1857, D.P., 1857, 1, p. 70; Cass. fr. (civ.), 27 novembre 1867, D.P., 1868, 1, p. 267). Cette solution se maintint longtemps après la dis- solution de la chambre des requêtes, doctrine et jurispru- dence maintenant que les intérêts dus sur le paiement à restituer en cas de cassation couraient à compter de la notification du pourvoi au bénéficiaire de ce paiement, ce jour marquant sa mise en demeure au sens de l’article 1153 du Code civil, et l’acquisition de sa mauvaise foi au sens de l’article 1378 du même Code (Paris, 21 juin 1969, J.C.P., A, 1969, IV, 5547; A. Mayer-Jack, «Les consé- quences de l’exécution d’un arrêt ultérieurement cassé», J.C.P., 1968, I, 2202).

Condamnant cette jurisprudence, une loi du 3 juillet 1967 vint interdire «d’imputer à faute à la partie gagnante l’exécution de la décision frappée de pourvoi». C’est l’entrée en vigueur de cette disposition — empê- chant de considérer que la mauvaise foi visée à l’article 1378 du Code civil se déduise de la prise de connaissance

du pourvoi (et du risque de cassation) par l’accipiens — qui provoqua un revirement de la jurisprudence de la Cour de cassation de France, qui décide désormais que «les intérêts légaux sur les sommes versées ne sont dus qu’à compter de la signification de l’arrêt de cassation» (J. Boré et L. Boré, La cassation en matière civile, 3eéd.,

op. cit., pp. 602-603, nos 122.132 et 122.133, et p. 526,

n° 101.49; Cass. fr. (2e civ.), 22 octobre 1981, Bull. civ.,

II, n° 194; Gaz. Pal., 14-16 mars 1982, note J. Viatte; Cass., fr. (2e civ.), 25 juin 1997, Bull. civ., II, n° 205; Cass.

fr. (3e civ.), 1eravril 1998, Bull. civ., III, n° 81; contra :

Cass. fr., 28 octobre 1981, J.C.P., 1982, IV, p. 25 (prise de cours des intérêts au jour du versement)).

La transposition de cette jurisprudence nouvelle en droit belge peut sembler hasardeuse, dès lors que le Code judiciaire ne comporte aucune disposition équipollente à l’article 19 de la loi française du 3 juillet 1967. On pour- rait même se demander si, faute précisément d’un texte comme celui-là, l’article 1378, précité, du Code civil ne devrait pas régir la question. La question resurgit alors de savoir si l’on peut assimiler à l’accipiens de mauvaise foi la partie qui, à ses risques et périls, procède à l’exé- cution d’une décision encore susceptible de cassation. Une réponse positive pourrait sembler bien sévère au regard de la règle selon laquelle «en principe, la bonne foi s’apprécie au moment du paiement» (P. Van Omme- slaghe, Droit des obligations, t. II, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 1101, n° 768). On ne peut toutefois exclure, au vu de certaines circonstances caractérisées et appréciées en fait, que la mauvaise foi du créancier, l’obligeant à resti- tuer les intérêts à compter du paiement forcé en vertu de l’article 1378 du Code civil, procède du caractère abusif de l’exécution à laquelle il est procédé au cours de l’ins- tance en cassation (J. van Compernolle, «Examen de jurisprudence (1972-1985). Droit judiciaire privé. Les voies de recours», op. cit., p. 429, n° 23 et réf. citées; R.P.D.B., v° Saisies - Généralités, Compl. t. VIII, p. 565, n° 295).

775. — Consubstantiellement, cassation et exécution ne sont donc pas incompatibles; un arrêt de la Cour, n’eût- il pas l’autorité de chose jugée (proc. gén. R. Hayoit de Termicourt, «Propos sur l’article 95 de la Constitution», J.T., 1954, p. 509; Cass., 11 août 1851, Pas., 1852, I, p. 233. Comp. toutefois supra, nos 399 et s., à propos de

la substitution des motifs), peut former titre, et les droits acquis par une partie aux termes de la décision attaquée sont anéantis, dans tous leurs effets, par le seul prononcé de la cassation.

776. — Le propos vaut également pour les arrêts de rejet qui, curieusement, ne sont pas évoqués dans les dis- cours classiques précités. Or, le rejet du pourvoi participe étroitement à l’exécution puisqu’il est de règle que l’effet principal d’un arrêt de rejet est de conférer force de chose jugée irrévocable à la décision entreprise (C. jud., art. 28 juncto art. 1397; A. Fettweis, Manuel de procédure civile, 2e éd. op. cit., p. 560, n° 873; H. Simont, Des pour-

vois en cassation en matière civile, op. cit., p. 223, n° 217 et réf. citées; C. Scheyven, Traité pratique des pourvois en cassation, de l’organisation et des attributions diverses de la Cour suprême, 2e éd., op. cit., p. 380, n° 186; Th. Le

Bars, Le défaut de base légale, op. cit., p. 47, n° 56). 777. — Cette distinction amène à l’exposé de la règle de forme prescrite par l’article 1115, précité, du Code judiciaire, dont il résulte que les «arrêts de cassation ne

peuvent être exécutés qu’après avoir été signifiés à la partie, à peine de nullité de l’exécution».

Cette formalité appelle deux commentaires.

On rappelle (supra, n° 729), tout d’abord, qu’elle ne concerne que l’exécution des arrêts de cassation, et non les arrêts de rejet (Cass., 3 mars 1988, Pas., 1988, I, 798; Comm. Verviers, 8 novembre 1977, J.T., 1978, 397, note A. De Caluwé).

On souligne ensuite que la nullité comminée par l’article 1115 du Code judiciaire est couverte soit par un acquiescement exprès de la partie contrainte à l’exécu- tion, soit par son concours volontaire à cette exécution (Cass., 17 juin 1994, Pas., 1994, I, n° 318; Cass., 2 mai 1958, Pas., 1958, I, p. 967 et note 2).

CHAPITRE IV.