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Notre propos dans cette recherche est d’analyser les effets de court, moyen, long termes des troubles musculo squelettiques, et les conditions dans lesquelles des phénomènes d’usure ou de sélection, mais aussi des régulations se mettent en œuvre. Nous préciserons ces notions, dans cette partie, au chapitre 6, dans lequel nous indiquerons les principes qui nous guideront ensuite. Mais auparavant, dans les trois premiers chapitres de cette partie, les connaissances scientifiques portant respectivement sur les racines du travail industriel et ses évolutions, sur le vieillissement au travail ou encore sur l’évolution des TMS au travail nous permettront de construire le cadre conceptuel que nous reprendrons ensuite. Les chapitres 4 et 5, eux, auront pour but de synthétiser et catégoriser les connaissances sur les usages, intérêts et limites pour notre recherche d’approches diachroniques (§4) ou d’approches associant données qualitatives et quantitatives (§5).

Nous proposons dans cette première partie d’étudier tout d’abord trois éléments qui nous ont paru ressortir de la littérature scientifique, et qui peuvent à notre avis influencer à long terme la survenue ou la limitation des problèmes articulaires liés au travail. Nous les avons évoqués dans l’introduction, nous y revenons maintenant de façon précise :

- Les évolutions et persistances organisationnelles des systèmes de production de type

industriel ; pour résumer, nous soutenons l’idée que nos systèmes de production actuels, avec leurs intérêts et leurs limites, sont le résultat non pas de l’application d’un modèle organisationnel entrevu comme un « one best way », mais de la présence contiguë de différents modèles, conçus et implantés dans un passé plus ou moins lointain, et tous plus ou moins présents dans un contexte propre à chaque entreprise ; selon nous, cette juxtaposition constitue par elle même à la fois un facteur de contraintes et d’instabilité, dont les TMS peuvent être une des conséquences.

- Les évolutions des travailleurs au fil du temps et du parcours professionnel : à travers

la littérature en épidémiologie, en physiologie ou en ergonomie, nous développerons l’idée de la santé au travail vue comme un processus associant décroissance et croissance, en lien avec des caractéristiques du travail, qui elles mêmes évoluent.

- Les TMS évoluent au fil du temps : à ce niveau, en nous appuyant à la fois sur des

études quantitatives et sur des recherches longitudinales plus cliniques, nous rappelons que le décours temporel d’un TMS n’est ni linéaire, ni univoque.

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La recherche sur les TMS a produit depuis les années 90 une littérature abondante, tant sur l’étiologie de la maladie, que sur les liens santé/travail ou que sur des essais méthodologiques de prévention. Les recherches glissent peu à peu vers des approches compréhensives de cette épidémie vue comme un processus de moyen et long termes. Pour cela certains points de vue font appel à des données quantitatives ou qualitatives, mais de façon distincte. De notre côté, nous défendons l’idée que construire une approche diachronique des liens santé-travail par la combinaison entre données qualitatives et quantitatives constitue un apport ; ce rapprochement fonctionne souvent sur des effets différés mais aussi dans l’instant de l’activité ; nous développerons donc deux orientations, issues de la littérature, et qui étayent notre point de vue :

- Les liens entre les TMS et le travail semblent complexes et enchevêtrés. Pour tenter de démêler une partie de ces relations, si les investigations s’ancrent souvent sur l’analyse directe de l’activité, la compréhension de ces phénomènes encourage la recherche de données au-delà du « ici et maintenant ». Nous proposons donc une lecture diachronique des liens entre les TMS et le parcours professionnel.

- Les méthodes combinées enrichissent la compréhension dans le temps et l’espace, des

phénomènes étudiés ici : pour finir, et cela sera une thématique prédominante dans notre thèse, nous soutenons l’idée que les approches combinées offrent une piste pertinente d’investigation des liens diachroniques entre les troubles musculo-squelettiques et le travail.

Dans notre introduction générale, nous avons rapporté des éléments qui suggèrent que des contraintes liées à des principes organisationnels mis en place il y a plus d’un siècle existent encore. Ce constat sera spécifié dans le chapitre 1.1, ci-dessous. Il nous encourage aussi à réinterroger les fondements de l’organisation de nos systèmes industriels de production. Nous reprendrons donc (chapitre 1.2.) quelques princeps de la pensée de Taylor,

et ses évolutions au cours de la première moitié du XXème siècle. Puis, nous verrons comment,

depuis les années 80, du moins en France, dans un contexte encore largement imprégné des modèles taylorien ou fordien, de plus en plus de grandes entreprises industrielles (mais aussi les sociétés de services), ont été confrontées à la nécessité de trouver des ajustements permanents aux nouvelles règles du marché. Des procédés nouveaux se généralisent, comme la normalisation qualité, le juste-à-temps, le flux tiré lissé mixé, la polyvalence, les groupes autonomes, etc. qui peuvent se concrétiser par des adaptations organisationnelles, techniques et humaines pour faire face à des commandes urgentes, des séries plus courtes, des changements plus fréquents de production, des essais qui interrompent le cours de la production, des obtentions ou renouvellements de qualifications pour telle ou telle opération critique, etc. Ce grand mouvement général se retrouve sous des formes organisationnelles, techniques voire philosophiques (en termes de concepts généraux d’une pensée managériale) aux dénominations le plus souvent japonisantes et aux conséquences pour le travail, pour les conditions de travail et pour la santé, que nous pensons utile de clarifier (Chapitre 1.3).

Certains auteurs qualifient aujourd’hui ces adaptations organisationnelles de « productivisme

réactif » dont nous essaierons de dégager les grandes caractéristiques et conséquences pour les travailleurs (Chapitre 1.4). Nous conclurons ce chapitre par les éléments de ces évolutions qui, compte tenu de notre recherche, retiennent particulièrement notre attention.

1.Le travail manuel, à l’épreuve des évolutions dans les