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LA LOI FAIT LE CODE ? LES FONDEMENTS JURIDIQUES DES CLASSIFICATIONS ET LISTES CITOYENNES CLASSIFICATIONS ET LISTES CITOYENNES

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 157-160)

Feuille de route de l’observateur : un outil de mnémotechnique et d’inscription

2.3.1. LA LOI FAIT LE CODE ? LES FONDEMENTS JURIDIQUES DES CLASSIFICATIONS ET LISTES CITOYENNES CLASSIFICATIONS ET LISTES CITOYENNES

Bowker et Star analysent les classifications et les standards comme des éléments qui organisent nos connaissances et actions sur le monde. Ils définissent les standards comme des « procédures qui règlementent comment faire les choses », qui puisent leurs sources dans les documents juridiques, scientifiques, bureaucratiques. Dans le cas des applications citoyennes, les classifications des problèmes s’ancrent précisément dans ces standards : textes des lois, normes techniques et réglementaires déterminent le choix des catégories, ainsi que les mots utilisés pour les décrire et les institutions destinataires des documents qui imputent la responsabilité.

Dans le cas de la régulation des élections russes, la designeuse d’interface de l’application, a travaillé à partir de la traduction du Code Électoral dans le Guide de l’Observateur. Mettre en technologie mobile une expérience d’observation des élections, prendre en compte une multitude de situations de fraude possibles est un travail complexe. Le texte initial du Guide a été réécrit à plusieurs reprises avant de devenir l’interface actuelle de l’application :

« Tout le procédé du contrôle des élections est en lui-même assez compliqué. Il y a beaucoup de nuances. Normalement, les gens passent plusieurs jours à apprendre comment régir aux fraudes de manière adéquate. Bien évidemment que tous les observateurs peuvent pas se permettre un tel apprentissage. Juste le fait de devoir consacrer du temps à cette formation constitue en soi un obstacle pour beaucoup de personnes. Notre but était de faire de sorte que tu aies accès à toutes ces règles, littéralement parlant, pour que tu puisses les consulter assez rapidement et réagir en fonction. Le premier point était donc de mettre toute cette information sur le procédé du vote dans cette application, de l’optimiser. La deuxième tâche était de faire de sorte que les gens puissent indiquer que telle ou telle règle n’est pas respectée ».

[Entretien avec Tatiana M., designeuse de l’interface utilisateur de WebNabludatel]

Tatiana a travaillé à partir du Code Électoral et de l’expertise accumulée par l’ONG Golos le format d’application mobile. Elle a mobilisé les experts de Golos sur le texte du Guide pour inventer le système de check-list avec des questions fermées, qui reprend le découpage du processus de vote en « étapes » (comme dans la feuille de route analysée plus haut) et guide l’observateur en lui posant des questions fermées :

« Donc, mon travail principal c’était, en gros, qu’au début j’ai reçu l’information avec tous les points énumérés avec des variantes de réponse. Par exemple, « avez-vous pu entrer dans le bureau de vote ? Oui, non… » Donc, la structure était très ramifiée. Ce

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n’est qu’un petit bout, on avait vraiment beaucoup d’info. Et j’ai compris que si on prenait toute cette information, comme ça, brute, et si on la mettait dans l’application, ça sera trop difficile car il faudrait que l’utilisateur puisse réagir de manière adéquate et lire rapidement. Donc, premièrement on a changé les formulations, on a transformé le gros texte initial en un petit texte bien concis et bien claire. C’était donc ma première grande tâche, du point de vue de la compréhension, de l’accessibilité, de la rapidité. Ensuite, on a inventé ces sélecteurs à trois positions « oui », « Non » ; « pas d’info ». Si la personne est sortie, par exemple, lorsque les urnes ont été scellées, elle met le sélecteur sur la position moyenne, ce qui pour nous veut dire qu’on n’a pas d’information. On est obligé de sacrifier les nuances pour rendre l’application plus pratique et facile à opérer. Pour nous l’essentiel est de comprendre ce que l’observateur a vu et ce qu’il n’a pas vu. Et parmi ce que t’as vu, de comprendre si c’était bien ou mal ».

[entretien avec Tatyana]

La check-list, quoiqu’elle « sacrifie les nuances », participe à structurer le travail d’attention et de la vigilance. Le vocabulaire des questions, ainsi que la description des fraudes fournie par l’application correspondent à la description et aux classifications prévues dans le Code électoral. C'est précisément là que se situe sa force.

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Figure 15 Écran de l’application WebNabludatel, Capture donnée par Tatiana M., 24 septembre 2012

Sur la capture d’écran #15 on lit les questions suivantes, de haut en bas : « Les informations sur les candidats sont bien présentes » (oui à gauche, non à droite), « L’exemple d’un bulletin de vote complété est disponible », « Une version agrandie du protocole est disponible »

« Présence des matériaux de propagande dans les 50 mètres à proximité du bureau de vote ».

Les acteurs qui veulent donner chair à leur problème, lui donner une autre matérialité que l’expérience individuelle, créent un équipement spécifique qui mobilisent non seulement le lexique, mais aussi les catégories juridiques. Organisées en listes ramifiées, proposant aux utilisateurs de naviguer en choisissant des catégories et sous-catégories de problèmes, les interfaces sont autant des outils qui ordonnent le monde. Comme le note Alison Adam dans un article consacré aux listes, « à travers les listes on ordonne et contrôle nous-mêmes et le monde dans lequel on vit » (Alison A., dans Fuller, 2008 : p. 175 traduction). Elle note que la

« culture bureaucratique » (bureaucratic culture) a toujours existé à travers les listes et affirme que la production des listes est une forme de production de pouvoir dans les sociétés

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modernes, avec, notamment, les classifications produites par les scientifiques, économistes, bureaucrates. Jack Goody note également que l’élaboration des listes est caractéristique du travail de l’Etat qui existe à travers les archives, les tableaux et les listes qui lui permettent d’avoir une emprise sur le monde.

Dans ce sens, ériger des « contre-listes », développer les interfaces des applications citoyennes, apparait comme un instrument de réappropriation du problème : classifier pour mieux gérer, pour avoir un contrôle du problème. La spécificité politique de ces contre-listes que constituent les applications citoyennes étudiées, tient de l’usage du langage des administrations, de la réutilisation des documents administratifs et techniques de référence dont le statut légal et réglementaire renforce la capacité d’action de ces classifications citoyennes. Pour le dire avec une métaphore guerrière, les applications citoyennes emploient la stratégie et les armes de leurs adversaires.

2.3.2. PARLER EN LANGAGE DES ADMINISTRATIONS : APPLICATIONS

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 157-160)

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