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PARLER EN LANGAGE DES ADMINISTRATIONS : APPLICATIONS CITOYENNES COMME MACHINES DE TRADUCTION CITOYENNES COMME MACHINES DE TRADUCTION

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 160-166)

Feuille de route de l’observateur : un outil de mnémotechnique et d’inscription

2.3.2. PARLER EN LANGAGE DES ADMINISTRATIONS : APPLICATIONS CITOYENNES COMME MACHINES DE TRADUCTION CITOYENNES COMME MACHINES DE TRADUCTION

Qu’est-ce qu’une anomalie urbaine et comment ériger une liste de catégories de problèmes qui pourraient être adressés à l’aide d’une application ? L’exemple de l’application « Alerte Voirie » (première version de « Dans Ma Rue », étudié dans le chapitre 4 a démontré qu’il peut être très inefficace de bâtir les listes de catégories en ne s’appuyant que sur le sens commun : les catégories de problèmes conçues par les développeurs de cette première version n’ont pas été acceptées par les services de la ville, car elles ne pouvaient pas rentrer dans la classification établie par la ville. Cela rendait très compliquée la réponse aux plaintes.

Il est donc très important de trouver un langage de description qui pourrait être compris par les services de la ville.

Pour les fondateurs de l’application RosZKH c'est dans le texte des « Règles et Normes de l'exploitation technique du Fond de Logement » qu'on retrouve les descriptions très précises de la norme. « L'état idéal » des immeubles et des cours – espaces pris en compte par l’application RosZKH – est défini dans ces documents. Pendant mon entretien avec Dimitri L.

il m’a cité un passage de l’article 4.7.4 du présent texte : « tous les détails métalliques des portes d'entrée - les poignets, les paumelles, les cadres – doivent périodiquement être frottées jusqu'à l'éclat. Tout le reste c’est une infraction, c’est une violation du code administratif en fait. On a donc le droit de porter plainte, et on doit le faire, parce qu’on paie de nos impôts pour que ce genre de détails soit dans les normes ».

La définition de la norme et de l’anomalie sont basées sur un bouquet de textes administratifs, techniques et juridiques. C’est en se référant à ce cadre normatif que Dimitri L., fondateur de l’application RosZKH, a érigé la liste de problèmes traités par l’application.

L'application RosZKH s'est concentrée uniquement sur les anomalies liées à l'immeuble. Tous

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les problèmes sont regroupés en trois grandes catégories : « l'appartement », « le hall d'immeuble » et « l'immeuble » avec une dizaine de sous-catégories pour chaque des trois groupes.

Figure 16 Image 7 : Les listes de catégories de problèmes organisées en trois grands groupes : appartement, hall d’immeuble, immeuble, référence capture

L'utilisateur doit tout d'abord choisir la catégorie et la sous-catégorie qui décrit en mieux son problème. RosZKH prévoit des pages spécifiques pour chaque type de problème. Dès que l'utilisateur a fait son choix, il est redirigé vers la page avec la déclaration. Le texte en haut de la page le rassure : « L'équipe RosZKH envoie par elle-même vos déclarations aux fonctionnaires. Vous devez juste remplir le formulaire et appuyer sur le bouton « Envoyer ».

Aucun enveloppe ni queue au bureau de la poste ». Le texte de la déclaration est donc déjà écrit par l'équipe juridique sauf les quelques champs vides relatifs aux informations personnelles de l'utilisateur.

Même si les textes des déclarations sont pré-écrits et inscrits dans le code-source de l’application, l'équipe de développeurs et juristes reste réactive par rapport aux changements de la réalité juridique et s’occupe de la maintenance et mises jour des textes des plaintes. Dimitri L. précise : « Les déclarations qu'on a sur le site sont déjà écrites par notre équipe. On ne les change pas, sauf en cas où la législation change. A vrai dire, depuis deux ans il y a eu une vingtaine d'amendements dans le Code de logement, et un nouvel article rajouté. On s'adapte, on essaie d'être au courant ».

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Le texte de la déclaration est en effet une dénonciation d'une infraction administrative. C'est indiqué en haut du formulaire en référence à l'article 7.22 du Code Administratif, « Violation des normes de maintenance et des travaux dans les immeubles d'habitation ». C'est ce même article 7.22 qui reste la base de toutes les déclarations, mais d'autres sources juridiques sont mobilisées pour le compléter et préciser, en fonction de types de problèmes, comme par exemple les Normes Sanitaires et Épidémiologiques pour les problèmes de moisissure sur les murs ou les Règles et Normes d'exploitation technique de Logement pour le balcon qui s'écroule etc. L'idée, selon Dimitri L., était de créer un texte qui serait complet du point de vue juridique, pour rendre difficile son détournement par les fonctionnaires : « Dans le texte de cette déclaration à part les références aux articles précis du code immobilier et la description de ce que doit faire la société gestionnaire dans tel ou tel cas, il y a les explications de la cour suprême... Bref, c'est un vrai acte introductif d'instance. Et le fonctionnaire n'a pas de possibilité, au sein du champ juridique, de trouver une échappatoire. Parce que déjà dans cette première déclaration nous avons éliminé toutes les échappatoires possibles ».

L’application Krasiviy Peterburg utilise également les catégories des services publics dans son menu et dans les textes de plaintes générées par l’application. Steve K., co-fondateur de l’application, note à ce propos : « Nous sommes obligés de parler la même langue que les administrations, sinon elles ne comprennent pas ce qui se passe. On s’est basés sur les textes des lois pour sélectionner les bonnes expressions pour l’appli. Par exemple, on doit écrire

« zones vertes » et non pas « herbe » ou « fleurs ». Les créateurs de l’application Krasiviy Peterburg voient donc cette traduction de l’expérience ordinaire vers les termes officiels des administrations comme une opération nécessaire qui pourrait, selon eux, amener à un dialogue efficace entre les utilisateurs d’application et services de la ville.

Cependant, KP a une démarche différente quant à la construction des catégories. Le développeur de l’application web, Alexey K., explique son approche :

« Je suis allé dans le camp d’été des Observateurs de Saint-Pétersbourg [événement annuel convivial et militant qui se déroule en dehors de la ville, où les activistes des Observateurs se retrouvent pour des séminaires hors les murs], j’ai pris mon laptop avec et j’ai fait la grande partie de boulot là-bas, j’ai écrit la partie serveur de l’appli.

J’avais l’exemple d’autres projets comme RosYama, et je pouvais emprunter des idées, par exemple, la carte de plaintes [carte collaborative qui représente les anomalies déclarées par les utilisateurs] et aussi l’idée de pouvoir sélectionner le type de problème. Mais on avait une tâche beaucoup plus compliquée. RosYama n’avait que les routes, leurs problèmes sont très homogènes [RosYama a 4 types de problèmes, tous liés à la qualité de la surface des routes]. Nous on a un spectre très large de problèmes, et on ne savait pas comment tout mettre en place. Voilà. Il y a une théorie de gestion automatique, tu sais, et là-dedans t’as trois approches : déterministe, c’est quand tu as un problème et tu sais exactement quelle en est la solution, deuxième

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approche c’est l’approche adaptive, c’est quand tu ne sais pas trop quels seront tes problèmes et solutions, et la troisième c’est entre les deux. Bon dans notre cas, c’était l’approche adaptive. Je ne savais pas quels pourraient être nos problèmes, ni quelles solutions on pourrait trouver, alors j’ai écrit un système d’arborescence qui permettait de créer de nouveaux types de problèmes et de nouveaux textes de plaintes. Les administrateurs peuvent donc créer de nouvelles catégories, sans avoir besoin d’un développeur ».

[Entretien Alexey K., développeur de l’application web KP, date]

Figure 17 Source : Git Hub de RosYama, 29 décembre 2011. Exemple d’un bout de code qui introduit une nouvelle catégorie (« neige ») et supprime 5 sous-catégories

Exemple d’un bout de code qui introduit une nouvelle catégorie (« neige ») et supprime 5 sous-catégories : passage piéton, absence de marquage au sol, dos d’âne, bordure, feux. Ces sous-catégories ne sont pas nécessaires pour le type de défaut

« neige », le développeur est donc obligé de créer une exception pour cette catégorie.

Le travail d’introduction d’une nouv elle catégorie a demandé plus de mille lignes de code, référence capture.

A la différence de RosYama dont le système n’est pas flexible et nécessite donc un travail pour introduire toute nouvelle catégorie, le back-end de l’application KP contient un système d’arborescence ouvert, qui peut être adapté sans devoir réécrire le code. Le collectif de Krasiviy Peterbourg a déjà introduit de nouvelles catégories plusieurs fois depuis le développement de l’application. Par exemple, au printemps 2014 la catégorie « Publicité illégale et commerce de rue illégale » a été rajoutée, suite à une action de masse menée par les militants de Krasiviy Peterburg, destinée à la lutte contre la publicité illégale (majoritairement les petites affiches collées aux murs, souvent des immeubles au centre historique de la ville, qui sont des annonces proposant des services de prostituées).

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L’expérience et le feedback des utilisateurs sont également capables à modifier le système de classification de problèmes. Steve K. commente sur cette particularité adaptive de l’application :

« Bien sûr on prend en compte toutes les propositions qu’on nous envoie sur Vkontakte (Vk.com). On les analyse pour comprendre quels problèmes sont réellement actuels pour les gens. Et c’est là qu’on a compris par exemple que nombreuses catégories concernent des problèmes différents. Les flaques par exemple. Elles peuvent être sur les routes, sur les trottoirs, ou par exemple sur les pelouses. Donc la nouvelle version du site aura un système de tags : dans les grandes catégories on aura le même problème doublé, pour que la personne ne perde pas son temps à chercher à quelle catégorie correspond son problème ».

[Entretien avec Steve K., co-fondateur de l’application KP]

Figure 18 Page d’accueil de l’application web Krasiviy Peterbourg avec le choix de catégories.

12 grands groupes : zones vertes, trottoirs, routes, vélos, aires de jeux et terrains de sport, monuments, bouches d’égout, arrêts de bus, déchets, façades des immeubles, publicité et commerce, piliers et câbles, référence

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Le développeur de l’appli Web KP, Alexey K., a noté avec l’ironie une certaine nonchalance dans l’organisation même des catégories de problèmes dans KP : « On se voit une fois par mois pour parler qu’est-ce qu’on fait avec les catégories, comment on les regroupe… parce que tu sais, il peut y avoir infiniment de combinaisons possibles d’éléments, quelle sous-catégorie appartient à quelle sous-catégorie… Comment les mettre, par ordre alphabétique ou par popularité ? Et on y est toujours là ».

Comme le notent John Law et Anne-Marie Mol, à propos de la classification chinoise des animaux de Borges (en épigraphe à cette section de chapitre) : « Une liste ne doit pas imposer un seul modèle d’ordonnance des éléments inclus en elle. Les unités ne sont pas nécessairement des réponses à la même question, mais peuvent être liées entre elles d’une autre manière… la liste est différente d’une classification scientifique car elle reconnaît sa propre incomplétude. Elle ne doit pas chercher de complétude. Si quelqu’un vient avec quelque chose pour le rajouter dans la liste, quelque chose qui émerge comme important, alors il faut le rajouter dans le liste » (Law, J. and Mol, A., 2002 : p. 14).

Comme je viens de le montrer, les classifications et l’arborescence des applications (architecture informationnelle) se basent sur des documents de référence, comme des lois et normes techniques. Le choix d’un cadre de description (les mots sélectionnés pour désigner les problèmes) a une importance pour les utilisateurs : les applications redécrivent leurs problèmes, en produisent des comptes rendus en s’appuyant sur des bases légales. Une autre signification des classifications concerne le fonctionnement technique de l’application.

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2.3.3. DE LA FONCTION TECHNIQUE DES CLASSIFICATIONS : ENTONNOIRS

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