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Chapitre 1 : La protéine suppresseur de tumeurs ARF

III. Fonctions de ARF

2) Les fonctions d’ARF indépendantes de p53

Nous venons de voir dans le paragraphe précédent que l’inactivation de la protéine ARF mime la perte de fonction de p53 et accélère le processus tumorigène. Incontestablement, la voie de régulation ARF-MDM2-p53 reste la voie principale de contrôle du cycle cellulaire médiée par ARF. Pourtant, la caractérisation de nouveaux partenaires (Tableau 2 ci-après) et la mise en évidence d’un contrôle dans des cellules déficientes en p53, ont ouvert la voie à la découverte de mécanismes alternatifs.

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2a) Mise en évidences de voies alternatives

Trois arguments expérimentaux indiquent l’existence d’un rôle suppresseur de tumeurs d’ARF indépendamment de p53 :

- Dans des MEFs triples KO (TKO) où p53, MDM2 et ARF sont absents, la prolifération cellulaire est stoppée en phase G1 par la réintroduction de la seule protéine

p19ARF (Carnero et al., 2000).

- De plus, les souris TKO développent de multiples tumeurs à une plus grande fréquence que celle observée chez des animaux déficients en p53 et MDM2 (double KO) ou p53 seul (simple KO), démontrant que p19ARF peut agir indépendamment de la voie MDM2-p53 pour la surveillance des tumeurs (Weber et al., 2000).

- Enfin, chez l’homme, en l’absence de p53, p14ARF est capable d’interagir avec E2F1 pour inhiber son activité transactivatrice nécessaire à la transition G1/S (Eymin et al., 2001).

Toutes ces données indiquent clairement l’existence de voies alternatives à la voie ARF-MDM2-p53.

2b) Régulation en G

1

/S

Dans les paragraphes précédents, nous avons rapporté l’existence de mécanismes de régulation de l’expression transcriptionnelle du gène ARF par les facteurs de transcription E2F1 et c-Myc. Dans l’objectif d’induire un arrêt du cycle cellulaire, la protéine ARF doit en retour contrer l’activation transcriptionnelle de ces gènes nécessaires à la progression du cycle cellulaire. Les mécanismes mis en jeu et décrits ci-dessous ne requièrent pas l’expression de p53.

31 ARF et le complexe E2F1/DP1

Les membres de la famille E2F sont principalement connus pour leur rôle dans la transition G1/S et la réplication. Plusieurs mécanismes permettent à ARF de contrer la

progression du cycle :

- Il a été montré que la protéine E2F1 humaine est capable de s'associer avec p14ARF, même en l'absence de p53 et de MDM2 (Eymin et al., 2001). L'interaction physique ainsi que l'activité inhibitrice sur E2F1 mobilisent la partie N-terminale de la protéine ARF ainsi que la partie N-terminale d'E2F1. Un mutant de p14ARF dépourvu du site de localisation nucléolaire situé dans l’exon 2 continue à se lier et à inhiber E2F1, indiquant que la séquestration nucléolaire d'E2F1 n’intervient pas dans l'activité inhibitrice de p14ARF sur E2F1.

- Par ailleurs, ARF est capable de s’associer physiquement avec la protéine DP1 (DNA binding Protein 1) qui est nécessaire à la formation des complexes transcriptionnels E2F1/DP1. L’une des voies de contrôle implique la modification de la dynamique d’hétérodimérisation entre ces deux facteurs E2F1 et DP1 et régule ainsi négativement la progression de la phase G1 à la phase S (Datta et al., 2002; Datta et al.,

2005).

- En outre, l'association de p19ARF avec E2F1, 2 et 3 (mais pas E2F6) induit la protéolyse de ces facteurs selon un mécanisme passant par le protéasome (Martelli et al., 2001).

ARF et Myc

De la même manière que pour E2F1, l’interaction entre ARF et Myc révèle un mécanisme de contrôle négatif indépendant de p53. Dans certaines lignées cellulaires dans lesquelles Myc est surexprimée, ARF associée à Myc est délocalisée du nucléole

32 vers le nucléoplasme. A l’inverse, dans d’autres modèles cellulaires, ARF délocalise Myc vers le nucléole. De telles différences peuvent s’expliquer par le niveau relatif d’expression de chacune de ces protéines dans les différentes lignées étudiées. Quoiqu’il en soit, ces interactions et délocalisations modifient les fonctions de Myc (Datta et al., 2004; Gregory et al., 2005; Qi et al., 2004).

De façon plus surprenante, il a été montré que p19ARF peut s’associer à Myc sur la chromatine et exercer une action antagoniste sélective sur la transactivation de gènes cibles impliqués dans la progression du cycle cellulaire (nucléoline ou CDK4). A l’inverse, aucun effet n’est observé sur la transactivation par Myc de gènes antiprolifératifs (p15ink4b) puisque ARF n’a jamais été retrouvé associé à Myc sur ces promoteurs (Gregory et al., 2005; Qi et al., 2004).

Plusieurs mécanismes ont été proposés pour expliquer de quelle manière ARF inhibe les fonctions transactivatrices de Myc :

- L’un d’entre eux semble impliquer ARF dans la sumoylation des complexes impliquant Myc (Shiio & Eisenman, 2003). Brièvement, rappelons que la sumoylation est une modification post-traductionnelle aboutissant à la liaison covalente d'une ou plusieurs protéines SUMO sur une lysine acceptrice d'une protéine cible. Le processus de sumoylation est très proche biochimiquement de celui de l'ubiquitination, notamment en impliquant une cascade similaire d'enzymes. En revanche, alors que l'ubiquitination entraîne principalement la dégradation de la protéine ciblée par le protéasome, la sumoylation semble plutôt réguler les propriétés biochimiques des protéines cibles (trafic intracellulaire, interaction protéique, interaction ADN-protéine, activité transcriptionnelle...). Ainsi, ARF sumoylerait différentiellement les complexes transactivateurs impliquant Myc selon la nature des cofacteurs et donc des promoteurs cibles.

33 - Un autre mécanisme pourrait dépendre de la protéine ARF-BP1 (ou HectH9), une E3 ubiquitine ligase avec laquelle ARF interagit directement (Chen et al., 2005a). La liaison d’ARF à ARF-BP1 inhibe la poly-ubiquitination de Myc sur sa lysine 63 et par là même, le recrutement de co-activateurs (comme p300) (Adhikary et al., 2005).

- Enfin, en liant TIP60 (une histone acétyl-transférase) sur le même domaine qui lui permet normalement de lier Myc, ARF empêche son recrutement dans le complexe de co-activation de Myc et ainsi l’acétylation de certaines protéines cibles (Amente et al., 2006; Eymin et al., 2006b; Frank et al., 2003; Leduc et al., 2006).

2c) Régulation en G

2

/M

A l’issue de la phase S du cycle cellulaire au cours de laquelle a lieu la synthèse d’ADN, l’activation de la kinase p34cdc2 (Cyclin Dependant Kinase 1, CDK1) est un préalable à l’entrée en G2/M. Cette activation s’effectue en plusieurs étapes qui sont la

déphosphorylation de la tyrosine 15 de CDK1 par la phosphatase CDC25C, l’expression de la cycline B, la liaison CDK1/cycline B et la translocation nucléaire du complexe.

Un rôle d’ARF dans la régulation de la transition G2/M a été mis en évidence par

plusieurs équipes.

L’équipe de Sylvie Gazzeri a ainsi montré qu’ARF peut induire l’arrêt du cycle en G2 puis l’apoptose dans des lignées tumorales humaines déficientes en p53 (Eymin et al., 2003). Cet arrêt est corrélé à l’inhibition de l’activité de CDK1, l’inactivation de

CDC25C par phosphorylation et dégradation par le protéasome, et l’induction de p21Cip1 (inhibiteur de CDK). L’activation du clivage de la caspase-3 et de PARP est responsable de l’apoptose subséquente. De plus, la croissance de tumeurs humaines dans des souris nude p53-/- est inhibée par les mêmes mécanismes (Eymin et al., 2006a).

34 D’autres travaux réalisés sur des cellules humaines de cancer de poumon déficientes en p53 et/ou p21, ont montré que la surexpression de p14ARF est associée à une perte de localisation nucléaire de la kinase dépendante des cycline p34cdc2 (CDK1), alors même que les deux protéines ne semblent pas interagir. Cette délocalisation est associée à une diminution de l’expression de CDK1 et de son activité kinase (Normand et al., 2005). La diminution d’activité de CDK1 est due à l’effet inhibiteur de p14ARF sur la phosphatase CDC25C, empêchant la déphosphorylation de la tyrosine 15 de CDK1, maintenu ainsi sous forme inactive. En l’absence de transition G2/M, p14ARF

active la voie mitochondriale de l’apoptose (Hemmati et al., 2008).

2d) ARF et le contrôle de la biogenèse des ribosomes.

La manière dont les cellules coordonnent l’inhibition de croissance et la division cellulaire au cours d’événements oncogéniques, en particulier les mécanismes qui lient la régulation de la synthèse d’ADN et la biogenèse des ribosomes restent mal connus. Ces dernières années, trois études ont démontré l’implication d’ARF dans la maturation des ARN ribosomiques (ARNr) et éclairé ainsi son rôle au sein du nucléole (Bertwistle et al., 2004; Itahana et al., 2003; Sugimoto et al., 2003). L’expression de la protéine p53 n’intervient pas dans ces différents mécanismes.

Rappel sur la biogenèse des ribosomes

Les cellules eucaryotes possèdent 3 ARN polymérases, chacune d’elle dédiée à la transcription d’un type spécifique d’ARN. L’ARN polymérase 1 (Pol1) est spécifique de la transcription des gènes de l’ADN ribosomique (ADNr) dans le nucléole (Hernandez-Verdun & Louvet, 2004). Ces gènes donnent naissance à un transcrit précurseur de grande taille (47S) qui sera ensuite maturé et clivé pour former les trois

35 ARNr 18S, 28S et 5,8S. L’ARNr 5S est synthétisé hors du nucléole par l’ARN polymérase III (Figure 8).

La maturation du précurseur 47S fait intervenir différents complexes ARNases (Mitchell et al., 1996) qui éliminent séquentiellement les régions transcrites externes (5’ et 3’ ETS) et internes (ITS 1 et 2) de l’ARNr immature lors de nombreuses étapes de digestion endo- et exonucléolytiques.

A la fin de ce processus les séquences additionnelles dites espaceurs seront éliminées conduisant aux formes matures des ARNr 5,8S, 28S et 18S. Une des endonucléases impliquée dans la maturation de l’ARNr est la Nucléophosmine (NPM/B23/NO38/Numatrin) (Chen & Huang, 2001). NPM peut se lier aux acides nucléiques grâce à sa partie C-terminale avec une préférence pour l’ADN simple brin ou l’ARN (Wang et al., 1994). En plus de son activité ARNase, NPM possède une activité d’endonucléase dans le nucléole qui lui permet de cliver le domaine ITS2 (internal transcribed sequence 2) au cours de la maturation du 47S (Savkur & Olson, 1998).

Par la suite, les ARNr matures s’associent séquentiellement avec plus de 70 protéines ribosomiques et forment la petite (40S contenant l’ARNr 18S) et la grande sous-unité (60S contenant les ARNr 28S, 5,8S et 5S) des ribosomes (Figure 8).

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Figure 8 : Schéma simplifié de la biogenèse des ribosomes montrant les différentes étapes de maturation du transcrit 47S.

NPM : Nucléophosmine ; ITS : région transcrite interne ; ETS : région transcrite externe. D’après (Hernandez-Verdun & Louvet, 2004).

ARF régule la maturation du transcrit 47S

Chez la souris, l’analyse in vitro de la transcription et de la maturation des ARN ribosomiques a permis de montrer que p19ARF est capable d’inhiber partiellement la maturation de l’ARNr précurseur 47S en ARNr 28S, 18S et 5,8S (Sugimoto et al., 2003). Afin de comprendre les mécanismes moléculaires mis en jeu, les complexes ribonucléoprotéiques impliqués dans la biogenèse des ribosomes ont été isolés dans des fibroblastes embryonnaires murins. Ces complexes de très haut poids moléculaire (5MDa) sont des particules pré-ribosomiques, au sein desquelles p19ARF interagit plus particulièrement avec l’ARN 5,8S et la nucléophosmine (NPM/B23/Numatrin/NO38),

37 endonucléase qui permet le clivage du précurseur 32S en 5,8S et 28S (Figure 8) (Bertwistle et al., 2004).

Il est clairement établi aujourd’hui que le niveau d’expression de cette phosphoprotéine nucléolaire de 37 kDa est directement corrélé à l’état prolifératif de la cellule (Figure 9) (Feuerstein et al., 1988) :

- NPM est fortement exprimée dans les cellules en prolifération et effectue des navettes entre nucléole, noyau et cytoplasme afin de faciliter le transport des sous-unités ribosomiques vers le cytoplasme pour permettre la synthèse des protéines (Borer et al., 1989; Hingorani et al., 2000).

- A l’inverse dans les cellules quiescentes, la biogenèse des ribosomes est atténuée et le niveau d’expression de NPM diminue.

- En réponse à un stress oncogénique, la protéine p19ARF est induite et va former des complexes stables avec NPM et l’ARNr 5,8S.

Selon que les cellules sont déficientes ou non en p53, 2 mécanismes peuvent alors être envisagés :

1) ARF stabilise p53 qui induit l’arrêt du cycle cellulaire par la voie classique ARF- MDM2-p53 et ralentit de ce fait la biogenèse des ribosomes.

2) En l’absence de p53, ARF séquestre NPM dans le nucléole et diminue la synthèse protéique en bloquant le trafic des sous-unités ribosomiques, par un mécanisme non encore élucidé (Figure 9).

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Figure 9 : Interaction p19ARF-NPM et biogenèse des ribosomes.

(Sherr, 2006).

Parallèlement à ce modèle murin, Itahana et ses collaborateurs proposent un autre mécanisme. Ils ont montré dans des lignées humaines infectées par un adénovirus recombinant exprimant p14ARF, une diminution significative de la quantité de nucléophosmine et ce, dès 24 heures après l’infection (Itahana et al., 2003). Cette diminution est corrélée à l’ubiquitination de la protéine NPM/B23 et sa destruction par le protéasome 26S. En revanche, ni HDM2, ni p53, n’affectent NPM/B23 dans ces mêmes cellules suggérant que ce mécanisme fonctionne indépendamment de la voie ARF-MDM2-p53 (Itahana et al., 2003).

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