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C- Contexte historique

II. L’établissement viking au Groenland (986 AD ca 1450 AD) 1 La colonisation

2. Le fonctionnement de la colonie

À leur arrivée, les premiers colons prirent possession des meilleurs fjords et pénétrèrent loin à l’intérieur des terres afin de se protéger au mieux des intempéries. Ils se séparèrent progressivement et formèrent trois principales colonies vikings, dépendant toujours des centres seigneuriaux de Scandinavie (Figure 11) :

 L’établissement oriental (nommé Østerbygden), situé à proximité de Narsaq. Il est considéré comme l’établissement le plus important des trois avec un total de 560 sites archéologiques inventoriés, comprenant une cathédrale, une douzaine d’églises et environ 200 fermes concentrées autour des fjords d’Igaliku et de Tunulliarfik (Jones, 1986 ; Arneborg, 2007 ; Arneborg et al., 2012b ;Madsen et al., 2014 ; Figure 12). Situé à l’extrême sud du Groenland, il s’agit de l’établissement le plus proche de l’Europe où les conditions climatiques sont les plus clémentes. Ce contexte plus favorable peut ainsi expliquer le fait que cet établissement soit plus attractif pour les colons vikings. Le Landnámabók indique notamment que neuf chefs de clan viking, dont Erik le Rouge, se partagèrent l’ensemble de ces fjords ;

 l’établissement intermédiaire (nommé Mellebygden), situé à proximité d’Ivittut. Environ 35 sites archéologiques comprenant des fermes de petite taille, des enclos et des étables exclusivement situées sur le littoral y ont été identifiés (Edwards, 2013). Nettement moins étudié et connu, cet établissement serait une partie périphérique de l’établissement oriental (Madsen, 2014) ;

 l’établissement occidental (nommé Vesterbygden), actuellement situé le plus au nord, à proximité de Nuuk à environ 575 km de l’établissement oriental. Environ 75 sites archéologiques comprenant un total de quatre églises et de nombreuses fermes y ont été recensés (Arneborg et al., 2012b) ;

La colonisation des terres par les Vikings a suivi une logique à la fois chronologique et sociale : les premiers colons et/ou ceux ayant un haut statut social se sont installés sur les meilleures terres alors que ceux arrivant plus tard, dans les autres vagues de migrations, et/ou ayant un rang social inférieur occupèrent des terres de moindre qualité et moins étendues, indispensables pour les pratiques agropastorales (McGovern, 1980). En se basant sur le nombre de fermes et les différentes modélisations réalisées, un maximum de 1400 à 6000 Vikings auraient été présents au Groenland entre 986 AD et le milieu du XVème siècle (Madsen, 2014).

Contexte historique 43 Figure 11 : Carte de localisation des trois établissements vikings, modifiée d’après Arneborg et al. (2012b). A- Carte du

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Figure 12 : Carte de l’implantation des sites vikings de l’établissement oriental modifiée d’après Madsen et al. (2014).

La civilisation viking groenlandaise se développa, comme la civilisation viking scandinave, sur la base d’une économie agropastorale, initiée à la faveur de l’OCM. Des études archéozoologiques, réalisées sur les deux principaux établissements (Vesterbygden et Østerbygden), mettent en évidence un élevage de bovins, d’ovins et de porcins (McGovern, 1983 ; Mc Govern et al., 1996 ; Enghoff, 2003 ; Edvardsson et al., 2007 ; Arneborg et al., 2012b ; Nelson et al., 2012). Concernant les pratiques agricoles, les vikings récoltent quelques céréales peu exigeantes comme l’orge (Hordeum

vulgare) et du lin (Linum usitatissimum) pour la fabrication de cordes (Fredskild et Humle, 1991 ; Barlow et al., 1997 ; Dugmore et al., 2012 ; Legder et al., 2013). L’agriculture médiévale groenlandaise se résume principalement à une production de fourrage (Fredskild et Humle, 1991 ; Gauthier et al., 2010 ; Dugmore et al., 2012). Afin d’étendre les zones de cultures et de pâtures nécessaires au pâturage des animaux, les vikings défrichent le peu d’arbres et arbustes présents

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(Gauthier et al., 2010), pratiquent la fertilisation par fumure (Commisso et Nelson,2010) et aussi l’irrigation, obligatoire dans cette région froide et aride (Buckland et al., 2009 ; Edwards et Schofield, 2013). Afin d’exploiter au maximum les ressources du milieu, les Vikings ont également développé des pratiques de transhumance (Ledger et al., 2013). Elles ont été mises en évidence par la découverte de structures archéologiques apparentées aux sæters islandais et norvégiens (maisons occupées seulement pendant la transhumance estivale) au cours de prospections archéologiques dans la vallée de Qorlortoq (Albrethsen et Keller, 1986). Ainsi, les troupeaux pâturaient loin des fermes en été pour assurer une production de fourrage à proximité des fermes, indispensable pour l’hiver (Ledger et al., 2013). La taille des exploitations agropastorales est le reflet de leur statut social. A titre d’exemple, Garðar, actuel village d’Igaliku et capitale épiscopale médiévale du groenland, fut de loin la plus imposante ferme du Groenland avec un total de 52 structures archéologiques recensées (Krogh, 1967; Arneborg, 2007; Figure 13). Ce site, situé au centre de l’établissement oriental dans la région du Vatnahverfi (la Terre des lacs), possède de larges zones de pâturages disponibles. L’établissement oriental, situé dans un contexte plus favorable que les deux autres, fut donc le siège du diocèse groenlandais (arrivée du premier évêque dès 1126 AD ; Arnebord, 2007).

Figure 13 : A- Carte recensant les différents sites d’Igaliku modifiée d’après Krogh (1967) et Arneborg (2007). Le nombre en rouge identifie le site archéologique de la cathédrale viking, les nombres en violet les habitations, en orange les entrepôts, en gris les murs, en marron les étables, en vert foncé les enclos, en bleu foncé les digues, bleu clair le réservoir et bleu les conduits d’irrigations. B- Photographie des vestiges de la cathédrale (n°1). C- Photographie de l’enclos n°39. D-

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Bien que l’économie de cette société ait été principalement basée sur des pratiques agropastorales, la chasse et la pêche constituaient, pour la plupart des sites, une part majoritaire des ressources (Madsen, 2014 ; Figure 14). En effet, les conditions climatiques plutôt rudes rendant les rendements agricoles insuffisants, il était nécessaire de compléter leurs ressources alimentaires. L’économie viking requiert en plus une stratégie d’adaptation basée sur des connections économiques et sociales entre les différentes fermes (Adderley et al., 2008). Les fermes situées sur les meilleures terres donc possédant les troupeaux les plus importants, redistribuaient probablement la viande, le lait et la laine pour les autres fermes plus petites qui leur fournissaient en retour des produits de la chasse et de la pêche (Keller, 1990). Les ressources alimentaires domestiques (de type bovins et porcins notamment) étant toutefois réservées en priorité pour les personnes de haut statut social et cela, dès les premières années de colonisation (Arneborg et al., 2012a).

Figure 14 : Etudes archéozoologiques du site E29 (localisé dans l’établissement oriental près de Qassiairsuk) et GUS (localisé dans l’établissement occidental à 80 km à l’Est de Nuuk), compilées par ordre chronologique dans la thèse de

Madsen, (2014) d’après McGovern,(1983), McGovern et al.(1996), Enghoff, 2003etEdvardsson et al. (2007).NSPI = nombre d’espèces identifiées.

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De manière générale, la colonie viking groenlandaise est basée sur les pratiques agropastorales soutenues par des pratiques de chasse et de pêche. Les parts de ressources alimentaires domestiques ou sauvages évoluant selon les facteurs climatiques et environnementaux particulier à chaque région (Dugmore et al., 2012).Le lien économique avec les autres colonies viking européennes est également indispensable économiquement pour ces établissements : en échange d’ivoire (provenant des défenses de morse) et de peaux, ils importent du fer et du bois indispensables pour les armes et la construction de bateaux et de maisons (Dugmore et al., 2009 ; Antunes et al., 2014 ;Madsen, 2014).

À partir d’environ 1300 AD, les données archéozoologiques montrent une proportion d’ossements issus de mammifères marins croissante, au détriment des restes osseux appartenant à des espèces domestiques (McGovern, 1983 ; Mc Govern et al., 1996 ; Enghoff, 2003 ; Edvardsson et al., 2007 ; Madsen, 2014 ; Figure 14). Ce résultat se confirme par des données isotopiques réalisées sur des restes osseux humains, indiquant par une augmentation du δ13C, une nutrition de plus en plus basée sur des ressources d’origine marine (Arneborg et al., 1999, 2012a et b ; Figure 15). Ce changement de régime alimentaire est également synchrone d’une réduction du taux d’érosion des sols autour du lac d’Igaliku, soulignant une réduction du pastoralisme à cette période (Massa et al., 2012 ; Figure 15). Ainsi, l’entrée dans la période climatique du PAG est synonyme d’une réduction des pratiques agropastorales et d’un changement de régime alimentaire tourné vers des pratiques de chasse et de pêche probablement en réponse à des conditions climatiques plus froides.

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Figure 15 : Synthèse des résultats principaux obtenus par Massa et al., (2012a). A- Reconstruction du taux de sédimentation (en barres grisées), de l’état trophique du lac (en points noirs) et de la végétation (en couleur) à partir des travaux paléolimnologiques réalisés sur la séquence d’Igaliku. B- Reconstruction du δ18O d’hiver de Dye-3 d’après Vinther et al.(2010), des anomalies de températures arctiques d’après Kaufman et al. (2009) et de la proportion relative d’os de

mammifères terrestres et marins retrouvés dans le site viking Ø29a mise en parallèle avec le δ13C mesuré sur des squelettes vikings, d’après le travail de Arneborg et al. (1999) etDugmore et al. (2009).

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