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nationales et européennes

2- En France : hégémonie de la CGB et disparités des intérêts

2.2 Fonctionnement de la CGB

Malgré l’hétérogénéité des planteurs français, la CGB parvient à fédérer quasiment l’ensemble des betteraviers. L’adhésion à la CGB se fait de façon indirecte lorsque chaque planteur livre sa production à l’usine à laquelle il est rattaché. Il s’agit d’adhésion automatique ; le planteur qui refuserait d’être adhérent à la CGB, doit signaler de façon officielle qu’il ne souhaite plus qu’un pourcentage soit prélevé sur sa livraison. La Confédération paysanne a, en 2003, appelé les planteurs à refuser cette cotisation automatique. Officiellement, l’adhésion sert à couvrir les frais du Comité Interprofessionnel des Productions Saccharifères (CIPS) et de la CGB. C’est en effet la CGB qui organise le contrôle des réceptions de betteraves dans les usines et c’est également elle qui négocie les accords interprofessionnels définissant les conditions générales d’achat et de réception, de livraison et de paiement des betteraves par les usines.

Le fonctionnement de la CGB, comme celui de la FNSEA est proche du closing-shop mis en évidence par Mancur Olson46 : l’adhésion n’est pas obligatoire mais fortement conseillée. De plus, l’adhésion à la CGB peut présenter des avantages pour les adhérents, et notamment des incitations sélectives (aides

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juridiques, réseau d‘informations). Cette tradition est liée au monopole de représentation dont ont joui les organisations majoritaires en France depuis leur création. La CGB se veut représentative de l’ensemble des planteurs et souhaite défendre une agriculture familiale et compétitive. Elle est présidée par Dominique Ducroquet, exploitant agricole du Nord-Pas-de-Calais qui produit de la betterave et des céréales sur près de 200 ha, alors même que la surface moyenne des exploitations betteravières est de 12,5 ha selon la CGB et 10,87 selon la CIBE. Le président de la CGB semble peu représentatif de l’ensemble des planteurs. Sylvain Maresca47 a déjà mis en évidence l’éloignement important qui existe entre les représentants agricoles et les agriculteurs. Dominique Ducroquet cumule d’autres fonctions prestigieuses puisqu’il siège dans les organes de direction de la FNSEA et bénéficie, en tant que président du groupe agriculture au Conseil économique et social, d’une reconnaissance importante dans le monde politique, économique et social français.

La CGB s’est dotée d’une assemblée générale dans laquelle le nombre de délégués représentant chaque syndicat est fonction de la surface betteravière de la région, soit environ 500 délégués. On remarque que ce système de représentation tend à surreprésenter les régions où la concentration est forte, c'est-à-dire où les surfaces destinées à la betterave sont étendues. Le poids de chaque région n’est pas calculé en fonction du nombre de planteurs sur le territoire. La CGB dispose également d’un conseil d’administration et d’un bureau. Elle emploie treize salariés ce qui atteste du poids économique important du secteur.

Depuis sa création, la CGB défend un projet agricole spécifique orienté vers le développement et la compétitivité des structures de production. Dirigée par les agriculteurs les plus performants, la CGB s’est rapidement montrée favorable au projet de réforme de la Commission puisque celui-ci favorisait les planteurs les mieux placés économiquement. En même temps la CGB affiche son attachement à certaines valeurs européennes comme la préférence communautaire et la

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souveraineté alimentaire. A travers une campagne d’information menée auprès des planteurs des différentes régions françaises, les représentants de la CGB sont allés expliquer les enjeux de la réforme aux agriculteurs. La CGB oscillait entre deux stratégies. Il s’agissait d’une part de rassurer ses adhérents et de les informer, en rappelant le rôle de la CGB et sa pertinence en tant qu’instance représentative unitaire. D’autre part, il fallait conserver une inquiétude suffisante pour attiser les capacités de mobilisation des planteurs, entretenir le climat de crise et convaincre les agriculteurs de rester unis. La CGB a donc préparé les planteurs à leur intégration sur le marché mondial, tout en assurant aux moins compétitifs qu’elle leur obtiendrait des aides à la restructuration très confortables. Sa position de force au niveau national comme au niveau européen par rapport à l’association des producteurs de betteraves (APB), l’organisation dissidente, lui a permis de convaincre les plus compétitifs du caractère inéluctable et nécessaire de la réforme mais surtout de convaincre les moins compétitifs qu’elle était la seule organisation à pouvoir leur assurer des aides confortables.

Les responsables de la CGB ont rappelé la « solidarité inébranlable qui a toujours marqué le secteur betteravier ». Le travail de manipulation symbolique effectué par l’organisation a reposé sur la réaffirmation des liens dits familiaux qui unissent l’ensemble des planteurs. Les dirigeants ont insisté sur « l’esprit des betteraviers » en invitant « la grande famille » des betteraviers à rester unis et mobilisés. On a célébré l’appartenance au groupe, tout en sachant qu’une partie de ceux qui participaient à cette célébration serait amenée à quitter la filière. La CGB neutralisait, de cette façon, les plus contestataires en imposant le rapport de force que sa position d’organisation représentative lui procure.

Interview de Dominique Ducroquet publiée dans le Betteravier français, décembre 2003. Q : On a assisté à la naissance d’un groupe contestataire, l’APB, l’association des planteurs de betteraves, qu’en dites-vous ?

Dominique Ducroquet : Quelques dizaines de contestataires ont-ils vraiment le souci de l’intérêt collectif ? Quel est leur programme ? Si ça se limite à remettre en cause l’action de la

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CGB, ça ne va pas très loin…la CGB a une capacité d’expertise forte et reconnue qui lui permet de faire des propositions pour défendre le revenu de tous les planteurs.

Idées et intérêts sont étroitement liés. Eve Fouilleux met en évidence leur interdépendance. L’auteur montre qu’on ne peut se restreindre à une approche basée essentiellement sur les intérêts pour expliquer les évolutions des politiques publiques. « Dans le cadre de l’analyse de l’économie politique, les intérêts sont définis comme l’unique moteur de l’action des individus. Ainsi, l’action collective des coalitions de producteurs est considérée comme ressortant uniquement d’une action de défense d’intérêts économiques. Or de nombreux auteurs ont montré au contraire l’importance de la dimension symbolique, des valeurs, des représentations dans l’action du syndicalisme, et tout particulièrement du syndicalisme agricole48. Non seulement ces groupes défendent des intérêts économiques à travers leurs actions collectives, mais également leur identité professionnelle et individuelle»49 . L’analyse en termes d’idée permet donc de prendre en compte les intérêts sans s’y restreindre. L’intérêt des betteraviers français responsables de la filière, à savoir les plus compétitifs, est bien de développer le secteur, de le rendre davantage compétitif et d’assurer parallèlement les conditions de ceux qui doivent le quitter pour permettre aux plus puissants de produire plus. Cette vision entre d’un côté une agriculture compétitive insérée sur le marché mondial et de l’autre, des agriculteurs invités à se recentrer sur des projets locaux tout en participant à l’aménagement du territoire semble particulièrement intégrée par les responsables syndicaux. Cette distinction peut d’ailleurs expliquer en partie un certain malaise agricole puisque les moins compétitifs peuvent avoir des difficultés à dépasser le modèle modernisateur qui a marqué l’agriculture depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Peu à peu la CGB est donc parvenue à construire et à imposer un intérêt commun, propre aux planteurs français, orienté vers la concentration des cultures sur les bassins les plus

48 Muller Pierre, Le technocrate et le paysan, Paris, Economie et humanisme, 1984. Servolin Claude, « Les politiques agricoles », dans Madeleine Grawitz et Jean Leca, (dir.), Traité de science politique (tome 4), Paris PUF, 1985.

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productifs, et la nécessaire reconversion des moins compétitifs comme l’illustrent les propos d’un haut responsable de la CGB :

« Je comprends très bien mes collègues européens qui craignent de voir chuter leur revenu, mais les propositions d’aides à la reconversion sont vraiment respectables…et puis il y a un moment où il faut dire stop, on ne peut pas cultiver de la betterave n’importe où à coup de subventions…ce n’est pas possible…et puis quoi encore, et pourquoi pas faire pousser de la vigne sous serre à Paris… »Entretien CGB novembre2004.

Le travail de manipulation symbolique de la CGB a résidé dans le travail d’imposition de l’idée suivante : la négociation des aides aux moins compétitifs ne peut s’effectuer qu’à travers la CGB, l’organisation la plus à même de représenter leurs intérêts.

La construction d’un intérêt unitaire des planteurs français était particulièrement complexe pour la CGB, dans la mesure où l’Association des planteurs de betteraves (APB), l’association rivale créée quelques mois avant le lancement officiel de la réforme, contestait les orientations du syndicat agricole majoritaire. Selon l’APB, la CGB sacrifiait la majorité des planteurs français. L’organisation majoritaire souhaitait dans ce contexte conserver et affirmer son statut d’acteur représentatif et maintenir l’unité du groupe en rappelant notamment sa place d’organisation légitime.

La CGB parait favorable à la concentration des cultures sur les bassins de production les plus compétitifs, et tout à fait prête à se mesurer au marché mondial. Cette vision de l’agriculture semble plutôt dissonante face aux affirmations de la FNSEA, le syndicat majoritaire auquel la CGB est rattachée.

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