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Flux de matière et d’énergie dans les marais intertidaux et à leurs interfacesleurs interfaces

Fonctionnement écologique des zones intertidales estuariennes

3. Flux de matière et d’énergie dans les marais intertidaux et à leurs interfacesleurs interfaces

3.1. Diversité des flux de matières

Les zones intertidales estuariennes échangent de la matière avec plusieurs compartiments écologiques : l’atmosphère, les zones terrestres adjacentes, les eaux souterraines et l’estuaire (e.g. Childers et al., 2000 ; Rozema et al., 2000). L’estuaire est lui-même en échange perma-nent avec, d’une part, le bassin versant qui l’alimente et la mer d’autre part. Les moteurs de ces échanges sont le mouvement des marées, les écoulements de subsurface, les eaux sou-terraines, l’atmosphère et le déplacement des organismes. Les matières sont échangées sous

forme dissoute, particulaire ou gazeuse ; elles sont de nature minérale et organique. Les flux de carbone impliquent la matière organique détritique (sous forme dissoute et particulaire), les organismes vivants (phytoplancton, zooplancton, phases dispersives du zoobenthos, necton, vertébrés et invertébrés terrestres, oiseaux) et le carbone atmosphérique. Les organismes des zones intertidales utilisent, directement ou indirectement, deux sources d’énergie exogènes : l’énergie solaire, utilisée in situ par les producteurs primaires (plantes vasculaires et microphy-tobenthos, essentiellement), et l’énergie contenue dans la matière organique d’origine exogène, vivante ou morte, apportée par les marées.

3.2. Réseaux trophiques et flux de carbone

Les travaux pionniers de Teal (1962) sur l’île de Sapelo ont conduit au paradigme selon le-quel (1) la forte production primaire des marais intertidaux soutient une production secondaire tout aussi remarquable, et (2) le transfert de l’une à l’autre s’effectue principalement à travers la décomposition des plantes vasculaires. Cette représentation d’un réseau trophique qui repose sur la matière détritique, en particulier les détritus produits par les plantes vasculaires, a été re-mis en question quelques décennies plus tard (Haines, 1976, 1977 dans Odum, 2000 ; Boesch et Turner, 1984 ; Kwak et Zedler, 1997 ; Kreeger et Newell, 2000). Il est aujourd’hui admis que les réseaux trophiques des marais intertidaux sont alimentés de manière plus complexe que le simple modèle basé sur la production et la décomposition des détritus, et sur la consommation des organismes détritivores (Boesch et Turner, 1984).

Dans les marais intertidaux, les sources d’énergie à la base des réseaux trophiques sont les producteurs primaires (photosynthèse autochtone) et, potentiellement, la matière organique détritique d’origine terrestre apportée par les marées (photosynthèse allochtone ; Odum, 1988). Parmi les producteurs primaires, la contribution des plantes vasculaires et du microphytoben-thos dépasse nettement, en règle générale, celle des macroalgues et du phytoplancton (Kree-ger et Newell, 2000 ; Sullivan et Currin, 2000 ; Wainright et al., 2000). Nous avons recensé très peu d’informations concernant l’importance de la matière organique allochtone dans les ré-seaux trophiques des marais intertidaux, en comparaison avec celle de la production primaire locale.

Le transfert des ressources énergétiques de base vers les organismes du necton (pois-sons en particulier) s’effectue en grande partie par l’intermédiaire des invertébrés benthiques (Deegan et al., 2000). Les voies de ces transferts sont multiples et complexes (Mann, 1988 ; Fig. 2.8).

Le transfert de la matière détritique produite par les plantes vasculaires vers les consomma-teurs est relativement long et peu efficace, par rapport à la consommation directe des algues (Mann, 1988). Les microorganismes décomposeurs augmentent la valeur nutritive de cette ma-tière détritique en la colonisant. La production secondaire des mycètes, issue de la décompo-sition des plantes vasculaires, contribue de manière substantielle à l’alimentation de quelques groupes d’invertébrés comme les gastéropodes et les amphipodes (Kreeger et Newell, 2000). De même, la production secondaire bactérienne remplit un rôle alimentaire potentiellement im-portant pour les invertébrés, mais les informations sur le transfert de cette production sont rares. Enfin, s’agissant de la valeur nutritive intrinsèque des macrodétritus, plusieurs expériences en mésocosmes ont montré qu’elle ne suffisait pas pour soutenir la croissance de plusieurs ca-tégories d’invertébrés benthiques. En consommant les détritus, les invertébrés accélèrent la décomposition de la matière organique (Frid, 1988 ; Lefeuvre et al., 2000). En particulier, le

Code couleur : Vert, Producteurs primaires ; Noir, Matière organique non vivante ; Violet, Décomposeurs ; Marron, Consommateurs. Abréviations : MOD, Matière organique dissoute ; MOP, Matière organique particulaire.

Figure 2.8 – Principaux flux de carbone au sein des marais intertidaux. Le necton est divisé en trois sous-groupes (necton omnivore, poissons zooplanctonophages et poissons macroin-vertivores) en fonction des comportements trophiques dominants dans les marais intertidaux (Green et al., 2009). Les oiseaux ne sont pas représentés sur le schéma mais consomment, selon les espèces, des végétaux, des invertébrés et/ou des poissons.

passage des détritus dans l’appareil digestif des annélides a un effet physique de fragmenta-tion et facilite la colonisafragmenta-tion des particules excrétées par les microorganismes décomposeurs (Frid, 1988).

L’importance respective des plantes vasculaires et du microphytobenthos dans la produc-tion secondaire des marais intertidaux apparaît très variable selon les sites, sans que les fac-teurs expliquant cette variabilité n’aient été identifiés (Quan et al., 2007). Dans certains cas, les plantes vasculaires représentent plus de 50% du carbone assimilé par les invertébrés et les poissons (Quan et al., 2007) ; dans d’autres cas, le microphybenthos est la source principale du carbone (Sullivan et Currin, 2000). De manière triviale, la source majoritaire de carbone dépend du régime alimentaire des consommateurs étudiés mais celle-ci reste, dans les faits, difficile à prédire. En effet, les consommateurs des marais intertidaux ont souvent un compor-tement alimentaire opportuniste, qui change en fonction des saisons et de la disponibilité des ressources. Par ailleurs, les consommateurs dépositivores ingèrent souvent les particules de manière non sélective, ne distinguant pas, par exemple, les microalgues des particules détri-tiques. Ces mêmes particules détritiques peuvent avoir une origine autochtone ou allochtone. Dans l’estuaire du Tijuana, sur la côte Est des États-Unis, la spartine est la source principale de matière organique pour les poissons, les microalgues ayant une importance secondaire. Pour les invertébrés et le râle gris (Rallus longirostris levipes), les principales sources sont les ma-croalgues et, dans une moindre mesure, les mima-croalgues ; le lien avec la spartine est faible ou inexistant pour ces groupes taxonomiques. Dans la lagune intertidale de San Dieguito (États-Unis), où la spartine est absente mais d’autres espèces de plantes vasculaires présentes, les

micro- et les macroalgues sont les sources principales de carbone pour les poissons (Kwak et Zedler, 1997). Dans l’estuaire du Yangtze, en Chine, plus de 50% du carbone organique5

d’une espèce de mulet (Chelon haematocheilus) et de gobie (Synechogobius ommaturus) pro-vient de Spartina alterniflora. Les autres plantes vasculaires des marais contribuent à hauteur de 12%. La contribution probable des microalgues benthiques se situe aux alentours de 20% (Quan et al., 2007). Pour d’autres espèces comme le bar Lateolabrax maculatus et la crevette Palaemon carinicauda, les sources de carbone, sans doute diversifiées, n’ont pas pu être cor-rectement estimées (Quan et al., 2007). D’après plusieurs références citées par Mann (1988), le carbone incorporé dans les tissus des invertébrés provient davantage des différentes caté-gories d’algues – benthiques, périphytiques et planctoniques – que des plantes vasculaires, même dans les zones densément couvertes par la végétation (Haines, 1976 ; Haines et Mon-tague, 1979 ; Hughes et Sherr, 1983 dans Mann, 1988). Selon les espèces, 10% à 40% du carbone assimilé par les poissons dans les marais intertidaux proviendrait de la spartine. La spartine représenterait environ 25% des apports de carbone pour différentes catégories d’inver-tébrés comme les crabes, les crevettes et les polychètes (Hughes et Sherr, 1983 dans Mann, 1988). Dans la baie de l’Aiguillon (France), les halophytes contribuent peu aux besoins en carbone et en azote des bivalves Macoma balthica, Scrobicularia plana et Mytilus edulis, qui se nourrissent plutôt de microalgues benthiques et planctoniques. Les nématodes et Carcinus maenas ont quant à eux un régime alimentaire complexe difficilement traçable (Riera et al., 1999). Sur la côte Est des États-Unis, une grande partie du carbone assimilé par Fundulus heteroclitus provient des plantes vasculaires. Cette source représente 39% des apports totaux dans les marais dominés par Spartina alterniflora, et jusqu’à 73% dans les marais dominés par Phragmites australis. Le microphytobenthos apporte également une contribution significative, tandis que le phytoplancton a une importance marginale (Wainright et al., 2000). Une étude précédente portant sur Fundulus heteroclitus avait néanmoins établi que la majeure partie du carbone incorporé par cette espèce provenait du microphytobenthos, les plantes vasculaires ayant une importance secondaire (Sullivan et Moncreiff, 1990 dans Wainright et al., 2000).

La structure de base des réseaux trophiques ne change pas avec la position des marais intertidaux dans le continuum fluvio-maritime (Odum, 1988). Dans les marais intertidaux d’eau douce, les sédiments ont majoritairement une origine terrestre et proviennent de l’amont des fleuves. Dans les marais intertidaux salés, les sédiments proviennent du milieu marin.

3.2.1. Théorie du relais trophique

D’après la théorie du relais trophique, les organismes du necton transfèrent horizontale-ment la production des marais intertidaux vers les zones subtidales de l’estuaire, à travers une succession d’interactions prédateurs-proies entre des organismes exploitant des zones partiel-lement disjointes (Kneib, 1997). D’après ce modèle, les organismes du necton qui s’aventurent et s’alimentent sur les parties les plus terrestres des marais – c’est-à-dire les moins fréquem-ment submergées – sont consommés, lorsqu’ils regagnent des zones plus profondes, par des organismes moins mobiles latéralement. Ce schéma, en se répétant, assure le transfert latéral de la productivité des marais entre différents types de sous-habitats, i.e., les zones végétali-sées, les retenues tidales, les chenaux de marée intertidaux et subtidaux.

3.2.2. Particularités des vasières intertidales

Sur les vasières intertidales, en l’absence de plantes vasculaires, la production microphyto-benthique représente l’essentiel de la production primaire (Montagna et al., 1995). La produc-tion microphytobenthique est transférée dans le réseau trophique par l’intermédiaire essentiel des bactéries, de la macrofaune – les gastéropodes notamment – et de la méiofaune (Monta-gna et al., 1995 ; Middleburg et al., 2000).

3.3. Le cycle de l’azote dans les zones intertidales

L’azote est importé et exporté des zones intertidales sous forme dissoute, particulaire et ga-zeuse (Fig. 2.9). D’autres nutriments que l’azote sont échangés (e.g. le phosphore et le soufre) mais l’azote est souvent le principal élément nutritif limitant la production primaire des marais intertidaux, et plus généralement des zones côtières (Teal et Howes, 2000). Les principaux ap-ports (flux nets) dans les marais intertidaux ont trois origines principales : 1) les apap-ports par les eaux estuariennes lors des submersions tidales, sous forme de nitrates (NO3) et d’azote organique dissout (NOD) et particulaire (NOP) ; 2) la fixation du diazote atmosphérique par les cyanobactéries et les bactéries diazotrophes) ; 3) les dépôts atmosphériques, en particulier sous forme ammoniacale (NH4). Les principaux exports d’azote depuis les marais (flux nets) correspondent aux cinq processus suivants : 1) la dénitrification, principalement à partir des nitrates ; 2) l’enfouissement dans les sédiments sous forme de matière organique réfractaire (NOP) ; 3) l’entraînement (lessivage) de composés réduits dissouts (NH4, NOD) par les eaux tidales ; 4) l’entraînement de débris végétaux (NOP) ; 5) le déplacement, sous forme de matière assimilée ou de métabolites, des organismes du necton qui ont utilisé la production primaire ou secondaire des marais. Les quatre principaux processus de transformation de l’azote au sein des marais sont : 1) l’assimilation de l’azote par les végétaux, préférentiellement sous forme de nitrates pour les plantes et sous forme ammoniacale pour les algues ; 2) la minéralisation de l’azote organique, dans les sédiments (ammonification) ; 3) l’oxydation de l’ammonium en nitrate en conditions aérobies (nitrification), près de la surface, au-dessus des sédiments ou au niveau de la rhizosphère ; 4) la réduction des nitrates en ammonium en conditions anoxiques (dissimilation). L’azote enfoui dans les sédiments des marais intertidaux sous forme de matière organique réfractaire ne constitue pas une forme d’export définitive, mais il devient indisponible pour les systèmes biologiquement actifs (Merrill et Cornwell, 2000).

Malgré d’importantes disparités entre les sites étudiés, les bilans annuels effectués sur les flux d’azote entrants et sortants – via les marées – des marais intertidaux en Europe et aux États-Unis montrent les tendances générales suivantes (Table 2.3) : un import de nitrates (3 à 40 kg N.ha-1.y-1), un export d’azote ammoniacal (2 à 61 kg N.ha-1.y-1), un export d’azote orga-nique dissout (16 à 87 kg N.ha-1.y-1) et un import d’azote particulaire (9 à 241 kg N.ha-1.y-1; références multiples dans Rozema et al., 2000). Dans la Mer des Waddens, les marais interti-daux tendent à importer de l’azote, les flux entrants de nitrates et d’azote particulaire excédant les flux sortants d’azote ammoniacal, d’azote organique dissout et d’azote particulaire (Rozema et al., 2000). Les bilans annuels masquent néanmoins d’importantes disparités saisonnières ; par exemple, le bilan des flux d’azote peut s’inverser en automne et montrer une tendance nette à l’export lors de la sénescence des plantes vasculaires (Teal et Howes, 2000).

Abréviations : NOD, Azote organique dissout ; PN, Azote particulaire ; Réduction ass. des nitrates, Ré-duction assimilatrice des nitrates.

Figure 2.9 – Cycle de l’azote dans les marais intertidaux (Redessiné à partir de Rozema et al., 2000).

3.4. Piégeage et transformation du silicium

Plus rarement considéré que le carbone, l’azote et le phosphore, le silicium a un rôle dé-terminant dans la production primaire (microalgale) des rivières, des estuaires et des eaux côtières (Struyf et al., 2006). Les diatomées utilisent en effet la silice dissoute pour édifier leur enveloppe siliceuse (test). La silice se retrouve par ailleurs dans les tissus épidermiques des feuilles des plantes vasculaires, sous forme d’incrustations microscopiques rigides appelées phytolithes (Bartoli et Souchier, 1978). Ainsi, la silice d’origine biogène (i.e. fabriquée par des organismes vivants) comprend l’enveloppe des diatomées (test) et les incrustations épider-miques des feuilles des plantes vasculaires.

La silice dissoute est souvent l’élément limitant qui contrôle la production primaire des di-atomées dans les hydrosystèmes continentaux et côtiers (Hackney et al., 2000 ; Jacobs et al., 2008). Une diminution de la disponibilité en silicium par rapport aux autres éléments nu-tritifs (azote, phosphore) modifie la composition du phytoplancton. Ce changement s’effectue au détriment des diatomées et au profit d’autres espèces du phytoplancton comme les cyano-bactéries et les dinoflagellés toxiques. Ces dernières espèces soutiennent moins efficacement les maillons trophiques supérieurs des écosystèmes estuariens et côtiers (Struyf et al., 2006 ; Jacobs et al., 2008).

Les sédiments des marais intertidaux renferment d’importantes réserves de silice amorphe, alimentées par la sédimentation des tests de diatomées et l’incorporation de la silice des plantes vasculaires. Une partie de la silice amorphe des sédiments et de la litière se dissout dans les eaux interstitielles des marais, avant d’être exportée par transport advectif de l’eau. Avec le temps, la concentration en silice dissoute dans les marais augmente car les eaux interstitielles ne sont pas totalement évacuées à chaque cycle de marée, lors du jusant (Hackney et al., 2000).

l’ex-Table 2.3 – Estimation des flux d’azote entrant et sortant des marais intertidaux (d’après Ro-zema et al., 2000).

Bilan Processus

d’import/export Forme Valeur desflux (kg N.ha-1.an-1)

Commentaires

Import

Apports d’azote par les

marées NO3 3−40 Divers marais intertidaux en Europe et aux États-Unis.

NOP 9−241 Divers marais intertidaux en Europe et aux États-Unis.

28−735 Marais intertidaux de la Mer des Waddens, avec une différence entre les îles (28−195 kg N.ha-1.an-1) et le continent (285−735 kg N.ha-1.an-1). Le flux net est la résultante entre le flux entrant de particules qui sédimentent

(43−750 kg N.ha-1.an-1) et le flux sortant des macrodétritus produits par les plantes (5−15 kg N.ha-1.an-1). Fixation de l’azote

atmosphérique (cyanobactéries et bactéries

diazotrophes)

N2 6 Marais intertidaux de la Mer des Waddens.

6−171 Marais intertidaux au Royaume-Uni et aux États-Unis.

Dépôts atmosphériques

(en particulier NH4) NHNOx4, 30 Valeur pour l’Europe où 80% aux émissionsde NH3proviennent des déjections animales (élevage). Les dépôts

atmosphériques aux États-Unis ont été évalués à 8 kg N.ha-1.an-1.

Export

Exports d’azote par les

marées (flux nets) NH4 2−61 Divers marais intertidaux en Europe et aux États-Unis.

NOD 16−87 Divers marais intertidaux en Europe et aux États-Unis.

Dénitrification N2 8 Valeur mesurée à Colne Point

(Royaume-Uni). Pas d’autre référence en Europe. Aux États-Unis :

70−140 kg N.ha-1.an-1. Des valeurs atteignant 3 500 kg N.ha-1.an-1ont été mesurées dans les marais d’eau douce. (Fenaison) N-Org 16−131 Valeur estimée aux Pays-Bas. Aux

Pays-Bas, la fenaison n’est pas une pratique commune dans les marais intertidaux.

(Pâturage) N-Org faible La plupart de l’azote consommé est restituée au marais.

portent sous forme dissoute. L’export continu de silice dissoute vers les estuaires, notamment à des périodes de faible concentration en silice dissoute dans les eaux estuariennes, soutient la production des diatomées planctoniques et benthiques. Par ailleurs, les exports de silice dis-soute ont lieu lorsque les concentrations sont les plus faibles dans les milieux estuariens et côtiers ; par exemple en été dans la baie des Veys et dans l’estuaire de l’Escaut. Inversement, les exports sont plus faibles en hiver lorsque les concentrations des eaux fluviales et estua-riennes sont plus élevées (Struyf et al., 2006 ; Jacobs et al., 2008). Plusieurs auteurs (Hackney et al., 2000 ; Struyf et al., 2006 ; Jacobs et al., 2008) proposent ainsi un nouveau paradigme dans lequel le silicium serait le lien essentiel entre la production primaire des marais intertidaux et la production des écosystèmes estuariens et côtiers.

3.5. L’hypothèse de l’outwelling

3.5.1. Les vecteurs abiotiques

L’hypothèse de l’outwelling des marais intertidaux, selon laquelle ces milieux exportent de la matière organique, des nutriments et des organismes vers les eaux estuariennes et côtières, a fait l’objet d’un débat de plusieurs décennies dans la communauté scientifique (Nixon, 1980 ; Childers et al., 2000). Les tentatives de généralisation concernant les flux nets de matière en provenance ou en direction des marais intertidaux se heurtent à la grande variabilité des résul-tats obtenus dans des contextes et selon des méthodologies différents (Childers et al., 2000). Au lieu de porter un intérêt disproportionné au bilan des flux entrants et sortants, Rozema et al. (2000) proposent de focaliser sur les deux catégories de processus qui interviennent sur ces bilans : d’une part, les processus de rétention-relargage (fonctionnement de type « puits-source ») et, d’autre part, les processus de transformation de la matière (fonctionnement de type « réacteur »).

En règle générale, les marais intertidaux importent des matières oxydées dissoutes (NO3) et exportent des matières réduites dissoutes contenant de l’énergie (NH4, NOD, COD). Les ma-tières particulaires (COP, NOP) sont davantage importées qu’exportées (Valiela et al., 2000). Plusieurs facteurs influencent le bilan entrée-sortie des marais intertidaux, dont le plus impor-tant semble être la maturité des marais. Lors de leurs premiers stades de développement, les marais tendent à importer toutes les matières, dissoutes et particulaires, ce qui leur permet de produire et d’accumuler de la matière organique. En approchant de la maturité, les flux entrants et sortants s’équilibrent et les marais ont même tendance à exporter particules et substances dissoutes (Dame et al., 1992 dans Dame et al., 2000 ; Childers et al., 1994 dans Childers et al., 2000 ; Valiela et al., 2000). À un niveau intermédiaire de développement, les marais importent les matières particulaires et exportent les matières dissoutes (Dame et al., 1992 dans Dame et al., 2000). Différents critères ont été utilisés pour évaluer le degré de maturité des marais intertidaux, par exemple le ratio entre la surface végétalisée et la surface en eau libre (Valiela et al., 2000). Trois autres facteurs influencent les flux nets de carbone organique dissout (COD) et de matières en suspension (MES) : le marnage, la superficie du complexe de marais et la distance à la mer (Childers et al., 2000). Odum (2000) souligne sur le caractère fondamen-talement pulsatile de l’outwelling : l’export de matière organique et de nutriments des marais intertidaux vers les eaux côtières ne se produit pas à chaque marée mais essentiellement lors des périodes de vives-eaux et de fortes pluies.

Si les marais intertidaux exportent des matières riches en énergie vers les eaux estua-riennes et côtières, se pose la question du devenir des matières exportées et de leur contribu-tion à la produccontribu-tion autochtone des écosystèmes receveurs (Valiela et al., 2000). Cette contri-bution ne dépend pas uniquement de la valeur des flux de matière exportée par les marais ; d’autres paramètres, comme la labilité des composés et leur biodisponibilité, entrent en compte. Par exemple, la matière organique détritique réfractaire est exportée en plus grande quantité que l’ammonium vers les eaux estuariennes et côtières mais elle a probablement moins d’im-portance que l’ammonium, immédiatement utilisable par les algues. Les vecteurs abiotiques ne sont pas les seuls impliqués dans les échanges entre les marais intertidaux et les systèmes adjacents : les ressources énergétiques des marais sont également exportées par les orga-nismes qui viennent s’y alimenter et qui en repartent ensuite (Kneib et Wagner, 1994 ; Teal et