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Fluoration contrôlée par agent fluorant TbF 4

3 Rôle de l’Institut de Chimie de Clermont-Ferrand (ICCF)

3.2 Méthodes de fluoration

3.2.2 Fluoration contrôlée par agent fluorant TbF 4

Comme pour la fluoration directe, le concept est présenté dans ce premier chapitre mais les modes opératoires seront décrits dans le chapitre 2.

Principalement connue pour la synthèse des fullerènes fluorés [75, 76], la fluoration par agent fluorant solide n’a été que peu étudiée pour les matériaux carbonés graphitisés. Cette méthode a pour objectif de fournir exactement la quantité de fluor nécessaire à une matrice, de façon à favoriser la stœchiométrie désirée et à limiter sa décomposition. Cette technique est ainsi également appelée « fluoration contrôlée ».

La fluoration par agent fluorant solide permet une libération par décomposition thermique ou mécanique du fluor atomique F, le but étant de contrôler l’apport de fluor et éventuellement de moduler la covalence de la liaison C-F en jouant sur la différence de réactivité entre fluor atomique et fluor moléculaire. Cette méthode de fluoration a également la particularité de répartir le fluor atomique au sein du matériau de façon homogène comparativement à une fluoration directe. Il s’agit donc d’étudier le comportement thermique des matériaux fluorés selon ce type de fluoration, de manière à conclure sur l’influence de la méthode de fluoration sur la stabilité thermique.

Parmi les différents agents fluorants solides existants, le tétrafluorure de terbium TbF4 a été sélectionné du fait de nombreux avantages. En effet, sa température de décomposition thermique est relativement basse (300-400°C) évitant ainsi sa sublimation synonyme de perte de rendement comme pour CeF4 [77]; la quantification est alors possible selon le mécanisme réactionnel suivant :

TbF4 → TbF3 + F (2)

La Figure 20 présentant une courbe d’analyse thermogravimétrique du TbF4 sous flux d’argon, prouve qu’exactement une mole de fluor atomique est libérée lors de sa décomposition thermique.

Figure 20 : Courbe ATG du TbF4 sous flux d’argon (vitesse de chauffe : 2°C/min)

Des études ont montré que les fluorures de terbium tétravalents présentent un caractère ionique prédominant, et sont à ce titre, des isolants électroniques [78]. Cette caractéristique n’est vraie que pour les composés comportant uniquement du terbium tétravalent qui sont des poudres blanches.

Lorsque deux degrés d’oxydation du terbium sont présents simultanément, les composés colorés peuvent présenter une conduction de type hopping électronique entre Tb3+ et Tb4+

.

Par ailleurs, selon une étude de Chilingarov et al.[79] , TbF4 constitue un excellent générateur de fluor atomique F. Le fluor atomique peut se recombiner en fluor moléculaire et l’équilibre 2F F2

s’établit. La réactivité de Fétant supérieure à F2, il est consommé lors de la réaction avec le carbone et l’équilibre est déplacé dans le sens de sa formation au détriment de F2.Cet équilibre permet de maintenir une concentration constante et un apport régulier de fluor atomique sur une dizaine d’heures dans nos conditions expérimentales.

Le produit de décomposition en fin de réaction (TbF3) est stable à l’état solide. La transformation de TbF4 en TbF3 est systématiquement analysée par DRX ; la raie unique visible à 30,3° en 2Ө sur le diffractogramme de TbF3 permet de différencier les deux fluorures (Figure 21).

Figure 21 : Diffractogrammes X de TbF3 et TbF4

Avant chaque fluoration, le TbF4 doit être fraîchement régénéré car il est hygroscopique. La régénération consiste en une fluoration directe sous F2 à 500°C. Toutefois, la température de régénération ne doit pas dépasser 500°C, car au-delà, la décomposition thermique du terbium tétravalent peut conduire, même sous atmosphère de fluor, à des composés fluorés à valence mixte (Tb4F15, soit TbIIITb3IVF15) qui sont eux, fortement colorés du fait du transfert d’intervalence [78]. Concernant le dispositif utilisé, quelques modifications ont été effectuées sur le banc de fluoration présenté en Figure 18 pour répondre aux conditions de cette méthode de synthèse. Ainsi, le milieu réactionnel est confiné à l’aide d’un système de vannes où les deux extrémités du réacteur sont fermées. Ce dispositif permet de conserver la quantité de fluor atomique libéré par décomposition thermique de l’agent fluorant, contrairement à la fluoration directe, où le flux de fluor gazeux circule librement. Deux nacelles sont placées à l’intérieur du réacteur, contenant respectivement l’agent fluorant (TbF4) et la matrice à fluorer qui seront ensuite chauffées séparément. Une sortie est reliée à

une pompe et un manomètre a été installé avant la sortie du réacteur (Figure 22) ce qui permet de contrôler à la fois la pression dans le réacteur, et de pouvoir placer le réacteur sous vide primaire.

Figure 22: Schéma représentatif d’une fluoration par l’agent fluorant TbF4

Les différences de réactivité entre carbone et fluor sont apparentes sur la Figure 19 en considérant la réaction avec le fluor moléculaire. Le laboratoire dispose d’une gamme élargie d’agents fluorants solides par la possibilité de fluorer différents précurseurs sous F2, par exemple des chlorures, des nitrates, des oxydes de métaux de transition pour former les fluorures correspondants à leur plus haut degré d’oxydation (FeF3 et CoF3 par exemple). Ceux-ci sont aussi identifiés comme agents fluorants susceptibles de libérer du fluor atomique. Le difluorure de xénon (XeF2) est également synthétisé au laboratoire. Son mode d’action diffère par rapport à TbF4. En effet, il se décompose spontanément à la surface du carbone pour libérer le fluor atomique, naissant donc extrêmement réactif vis-à-vis du carbone, et du xénon gazeux, inerte chimiquement. Le mélange direct des cristaux de XeF2 et de la poudre de carbone est donc envisageable mais risque d’induire une fluoration très inhomogène. La méthode privilégiée consiste à séparer l’agent fluorant et le carbone dans le réacteur fermé. L’équilibre de sublimation XeF2(s) XeF2(g) est alors mis à profit. En effet, XeF2 se présente sous la forme d’un solide cristallisé à température ambiante mais possède une pression de vapeur qui augmente drastiquement avec la température passant de 3,8 mm Hg à 25°C à 318 mm Hg à 100°C.

Le fluor atomique possède une réactivité supposée supérieure au fluor moléculaire F2 et une diffusion dans la matrice carbonée facilitée selon ses dimensions. Ainsi, quelle que soit le matrice fluorée, polymère (polyéthylène) [80], carbure (SiC) [81], ou nanotubes de carbone monoparois (SWCNTs) [48] les mécanismes de fluoration diffèrent selon que l’espèce réactive est F ou F2. Ceci est bien illustré par l’exemple de la fluoration des SWCNTs (HiPCO) [48]. La première différence est visualisée par microscopie électronique en transmission (MET). Les tubes fluorés par XeF2

apparaissent plus isolés. De plus, leur surface est moins abimée par la fluoration (image (d), Figure 23). La caractérisation des tubes fluorés par spectroscopie Raman en étudiant les modes de respiration à basses fréquences et l’analyse de propriétés optiques ont démontré que la fluoration par F concernait tous les tubes quelle que soit leur position dans le fagot y compris pour les moins fluorés avec une composition de CF0,05. Au contraire, avec un taux de fluoration similaire (CF0,04) certains modes de

respiration sont conservés pour les tubes traités par F2, probablement à cause des tubes positionnés à l’intérieur des fagots et difficilement accessibles pour le fluor moléculaire. La répartition du fluor à la surface d’un tube est également différente. La fluoration par F2 conduit à des zones fluorées larges coexistant avec des segments non fluorés (image (a) Figure 23). Des calculs selon la théorie fonctionnelle de la densité électronique (Density Functional Theory ou DFT) ont été menés pour expliquer ces différences en considérant un objet formé d’une répétition infinie de segments de tubes (8,8) [82]. L’action catalytique de l’acide fluorhydrique a été prise en compte [83]. Ces molécules sont toujours présentent à la surface du carbone du fait de l’adsorption d’eau, qui se convertit en HF lors de l’apport de fluor. Du fait de la grande différence des énergies de liaison entre la molécule HF et un segment non-fluoré d’une part,(0,15 eV selon un mode d’interaction faible de type physisorption) et un bord de segment fluoré d’autre part, (0,47 eV –chimisorption-), le second processus est privilégié ; la fluoration se poursuit à partir des bords fluorés et ces parties croissent selon une addition 1,2 par l’effet catalytique de HF (image (b) Figure 23). La situation est différente pour le fluor atomique car l’énergie de liaison est forte, (2,38 eV) et l’addition se réalise donc spontanément. Ensuite, du fait de la répulsion électrostatique créée par les fluors greffés, les autres atomes de fluor se répartissent de manière homogène le long du tube (Figure 24 et 25). Ce scénario est en en bon accord avec les données de RMN [48].

Figure 23 : Image de microscopie électronique en transmission de SWCNTs HiPCO fluorés par F2 (a et c) et par XeF2

Figure 24 :Représentation d’un nanotube fluoré par F2

Figure 25 : Mode d’interaction de HF avec les segments non-fluorés (physisorption) et fluorés (chimisorption).

Cette répartition plus homogène soulignée ici par la distribution des atomes de fluor le long du tube monoparois et dans les fagots a aussi été observée pour la fluoration de couches minces de carbure de silicium, mettant ainsi en avant une texture hiérarchisée particulièrement favorable au développement d’un caractère super hydrophobe des couches minces [81]. La nature chimique des produits de la fluoration varie aussi selon l’espèce réactive. Ainsi dans le cas de la fluoration d’un polymère commercial, le polyéthylène, des groupements >CHF sont formés majoritairement lorsque le fluor atomique est employé alors que F2 génère principalement >CF2 [80].

Un des enjeux scientifiques de ce travail est d’évaluer l’impact du mode de fluoration sur la distribution des atomes de fluor, et par conséquence l’effet sur la stabilité thermique et les propriétés tribologiques.

Avec l’optique de disperser les charges lubrifiantes performantes dans une matrice polymérique, notre choix de précurseur carboné s’est orienté vers des matériaux nanostructurés, présentés dans la partie suivante. Le taux de graphitisation devra être le plus élevé possible de manière à aug menter la température de fluoration et ainsi espérer une stabilité thermique étendue. Ces choix initiaux orientent aussi nos méthodes de fluoration : le tétrafluorure de terbium sera privilégié par rapport à XeF2 car sa décomposition se déroule à haute température et il s’avère plus adapté pour des carbones graphitisés.