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III. Déclin des abeilles sauvages

III.3. Conséquences

III.3.1. Pour la flore sauvage

III.3.1.1. Importance de la diversité des abeilles pour les communautés florales

Plusieurs travaux ont déjà montré simplement que la richesse spécifique ou l’abondance en fleurs d’un site étaient corrélées à la richesse spécifique ou l’abondance en abeilles (Holzschuh

et al. 2007, Fründ et al. 2010).

Peu d’études reportent l’impact qu’aurait la disparition des pollinisateurs sur les communautés de fleurs sauvages. En 2006, Fontaine et al. ont mené une étude expérimentale sous cage. Ils ont mis en présence différents assemblages de fleurs et de pollinisateurs. Les pollinisateurs sont séparés en deux catégories en fonction de la taille de leurs pièces buccales qui peut être courtes (syrphes) ou longues (bourdons). Les communautés de fleurs sont également séparées en deux catégories en fonction de la morphologie de la corolle qui peut être plate (forte

Encart 1 : Habitats semi-naturels

Dans le travail présenté ici, nous utilisons la définition de Farhig et al. (2011) pour déterminer ce qu’est un habitat semi-naturel. Les habitats semi-naturels sont des espaces qui doivent suivre 3 critères : (1) la majeur partie de la production primaire n’est pas consommée par les humains (soit directement soit indirectement via le pâturage ou la fauche pour le foin), (2) les principales espèces trouvées ont une histoire évolutive ou sont associées sur le long terme avec le couvert végétal, (3) la fréquence et l’intensité des perturbations anthropiques sont faibles comparées aux espaces cultivés annuellement.

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accessibilité de la ressource) ou en tube (faible accessibilité) (figure 7). Le succès reproducteur des plantes à corolle plate était identique quel que soit le groupe de pollinisateurs présent alors que le succès reproducteur des plantes à corolle tubulaire était nettement plus élevé en présence des bourdons qui sont les mieux adaptés à ce type de corolle. Enfin, lorsque les deux types de fleurs étaient présents, le succès reproducteur global était plus élevé en présence des deux pollinisateurs qu’en présence d’un seul des deux.

Figure 7: Résumé de l’experimentation et des caractéristiques sur lesquelles se fondent les groupes fonctionnels des pollinisateurs (à gauche) et des plantes (à droite). Au milieu, les flèches reliant les têtes d’insectes aux deux types de fleurs montrent le réseau de pollinisation théorique lorsque tous les groupes fonctionnels sont présents (Fontaine et al. 2006).

Plus récemment, Frund et al. (2013) ont mené le même type d’étude sauf qu’ils ont mis en présence de une à cinq espèces d’abeilles (Bombus terrestris, Heriades truncorum, Hylaeus

communis, Megachile centuncularis, Osmia bicornis) dans des communautés de fleurs de 16

espèces. Ils ont montré que le succès reproducteur global des plantes était nettement amélioré lorsque l’on passait de une à deux espèces d’abeilles et plus (figure 8) mais que ce gain était meilleur lorsque les espèces étaient complémentaires dans leurs choix floraux et dans leur période d’activité (fonction de la température). De plus, ils constatent qu’en présence d’autres espèces, les abeilles se spécialisent davantage sur certaines fleurs augmentant ainsi le nombre de visite de chaque fleur (figure 9).

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Figure 8: (a,b) Production de semences de la communauté de plantes (nombre de graines par cage, normalisé par rapport au maximum et moyenné sur 9 espèces de plantes) en fonction du nombre d’espèces d’abeilles présentes dans une cage (chaque cercle représente les données d’une cage, n=39). Traitements contrôles : pas de pollinisateurs, cages fermées et insectes régulièrement enlevés ; cages fermés avec recrutement de syrphes permis ; cages ouvertes, accès à la communauté des pollinisateurs naturels. Les losanges représentent la moyenne +/- l’écart type pour les trois traitements contrôles (N=4 ; 8 and 4 cages). La ligne continue représente la meilleure courbe d’ajustement (Michaelis-Menten saturation). Pour les boîtes à moustaches, la ligne à l’intérieur est la médiane, les extrémités de la boîte sont l’intervalle interquartile ; les moustaches montrent l’étendue des données (Frund et al. 2013).

Figure 9 : Complémentarité fonctionnelle des abeilles dans les choix de visites des fleurs. Les associations d’espèces d’abeilles visitent plus d’espèces de fleurs à la fois en raison de différences fondamentales dans les préférences florales et en raison des interactions spécifiques. Sur la gauche, une illustration conceptuelle du mécanisme de complémentarité ; sur la droite, un exemple tiré de l’expérience, montrant des modèles de visite de fleurs lorsqu’une seule espèce d’abeille est présente (en haut) et lorsque deux espèces sont présentes (en bas). La proportion de visites de chacune des fleurs par chaque espèce d’abeille est représentée par un code couleur. Les associations d’espèces d’abeille réduisent les recouvrements des niches, ce qui amplifie la complémentarité (Frund et al. 2013).

Ces deux exemples mettent en lumière différents mécanismes de complémentarité fonctionnelle des pollinisateurs pour la reproduction des fleurs :

- Complémentarité des traits morphologiques qui rendent les espèces plus efficaces sur certains types de corolles.

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- Complémentarité des périodes d’activité en fonction des conditions environnementales - Complémentarité optimisée par un effet de compétition entre les espèces

A celles-là, on peut rajouter : la complémentarité phénologique des espèces de pollinisateurs qui se succèdent sur la plante et la complémentarité spatiale des espèces sur la plante (Chagnon et al. 1993, Hoehn et al. 2008).

En parallèle une communauté florale diversifiée permet aux pollinisateurs de trouver sur l’ensemble de leurs périodes d’activité les ressources en nectar et en pollen nécessaire pour assurer leur reproduction. Blüthgen et Klein (2011) ont bien illustré ces différents mécanismes à la fois du point de vue des plantes et des pollinisateurs (figure 10).

Figure 10: Conceptualisation de la complémentarité des espèces à différentes échelles et mécanismes d’interactions plantes-pollinisateurs dans la communauté et leurs effets sur les pollinisateurs et les plantes. (d’après Blüthgen et Klein 2011).

A plus grande échelle, les conséquences du déclin des pollinisateurs sur les communautés de fleurs sont illustrées par Biesmeijer et al. (2006) qui montrent qu’au Royaume-Uni, 75 espèces de plantes sauvages pollinisées par les insectes ont régressé tandis que 30 espèces fertilisées grâce au vent ou à l’eau ont gagné du terrain et au Pays-Bas les plantes pollinisées par les abeilles ont également déclinées.

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III.3.1.2. Effet de la dilution des pollinisateurs sur d’autres ressources

D’autres facteurs, en plus du simple déclin des pollinisateurs, pourraient menacer la reproduction d’espèces sauvages, comme la dilution des pollinisateurs sur des ressources compétitrices, telles que les cultures entomophiles présentes en abondance dans le paysage. Par exemple, Holzschuh et al. (2011) ont mesuré l’impact des cultures de colza sur la pollinisation d’une plante sauvage, Primula veris. Ils ont observé que le nombre de graines par fruit et leur poids diminuent avec l’augmentation des surfaces en colza dans le paysage (figure 11). Les effets négatifs d’une floraison simultanée d’une espèce introduite sur le succès reproducteur et le taux de visite d’une espèce native cible ont déjà été démontrés (Morales and Traveset 2009, Bjerknes et al. 2007) mais c’est la première fois entre une espèce cultivée et une espèce sauvage. Ici le colza est un compétiteur fort car : (i) il est très attractif du fait des densités florales importantes ; (ii) les bourdons, qui sont les principaux pollinisateurs de P. veris, pollinisent également le colza, entrainant la dilution des populations de bourdons dans le paysage ; (iii) les abondances de bourdons sont faibles au début du printemps car les reines commencent juste leur colonie.

Figure 11 : Relation entre le pourcentage de colza (% OSR) dans des paysages de rayon 1 km et le succès reproducteur de Primula veris dans les prairies, mesuré par le nombre moyen de graines produites (regression simple : n=19, F=10.3, p=0.005). Le succès de reproduction de différait pas entre des prairies adjacentes au colza et des prairies isolées. Triangle noir= prairie adjacente à des champs de colza, triangle blanc= prairie isolée (Holzschuh et al. 2011)

Pour conclure, la diminution ou des effets de dilution des pollinisateurs sauvages entraineraient une baisse du succès reproducteur des fleurs sauvages, ce qui pourrait entrainer un emballement du système car la diminution des fleurs sauvages entrainerait à sa suite une baisse du succès reproducteur des pollinisateurs (importance de la complémentarité des pollinisateurs et des fleurs pour des effets positifs réciproques).

D’une manière générale ces études ont mis en évidence l’importance de la richesse spécifique des abeilles. Quatre mécanismes théoriques expliquent l’importance de la diversité sur le

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fonctionnement des écosystèmes : (i) la complémentarité interspécifique, qui conduit à la juxtaposition sans recouvrement des niches des différentes espèces pour occuper efficacement la totalité des niches ; (ii) l’effet de nombre, qui est lié au fait que plus le nombre d’espèces est grand, plus la probabilité pour qu’il y ait une espèce « très productive/efficace » est importante ; (iii) la redondance entre espèces, qui permet d’assurer une stabilité de la fonction, puisque la disparition d’une espèce peut être compensée par la présence d’une autre ; (iv) l’unicité de chaque espèce par rapport à son comportement et ses relations avec les autres espèces, qui fait que chaque espèce a un effet unique sur une fonction (Tscharntke et al. 2005a).