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V. Vers une approche globale des paysages agricoles : complémentarité des habitats semi-

V.4. Impact mitigé des cultures entomophiles

V.4.2. Effets de ces abondantes ressources florales sur la pollinisation

En plus de s’intéresser aux conséquences de ces cultures sur la fitness des individus et sur la dynamique des populations qui en découlent, d’autres auteurs se sont penchés sur les interactions entre espèces et les services écosystémiques à la fois dans les parcelles cultivées et dans les habitats semi-naturels. Par exemple, Holzschuh et al. (2011) montrent que l’abondance des bourdons dans des prairies en Allemagne, diminue avec l’augmentation de la proportion de colza dans le paysage en raison d’un effet de dilution des bourdons sur les ressources entrainant une fitness réduite d’une fleur sauvage de ces prairies, Primula veris (figure 33).

Figure 33 : Dilution des abeilles à l’échelle paysagère dans le colza et ses conséquences sur l’abondance des pollinisateurs et la production de graines. Le nombre de points gris indique le nombre de graines produites par une plante de prairie. (a) dans un paysage où le colza est abondant on s’attend à une dilution des pollinisateurs sur l’abondante ressource entrainant une faible reproduction des plantes de la prairie. (b) dans un paysage où le colza est peu abondant, les pollinisateurs se concentrent sur les ressources présentes entrainant une meilleure reproduction des plantes de la prairie. Les effets sur la production du colza ne sont pas indiqués car ils n’ont pas été étudiés (Holzschuh et al. 2011).

En effet, lorsqu’une ressource devient abondante dans le paysage (ici le colza), la population de pollinisateurs se répartit à faible densité sur l’ensemble de l’espace disponible, ce qui peut se

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traduire par une réduction de la taille des populations locales observées (Holzschuh et al. 2010) et donc un service de pollinisation moindre sur l’ensemble de la ressource. Inversement, lorsqu’une ressource est rare ou le devient, comme la ressource florale, la population s’y concentre (Tscharntke et al. 2012) pouvant entraîner une meilleure pollinisation des plantes en présence.

Sur 19 prairies dont le contexte paysager variait en fonction de la quantité de colza, Holzschuh

et al. (2011) ont donc mesuré la production de graine de Primula veris, dont la floraison a

généralement lieu pendant la période de floraison du colza. Cette plante est strictement auto-incompatible et nécessite donc une pollinisation croisée entre deux plants. Les abeilles à langues longues sont les seules à assurer une pollinisation optimale de cette fleur à corolle profonde. Dans les prairies, des plants ont été choisis aléatoirement et marqués. En juillet les graines de ces plants ont été récoltées et séchées en laboratoire. Le nombre de graines par plant a été compté et le poids des graines mesurés. Le nombre de graines par fruit et leurs poids diminuent avec l’augmentation de la surface en colza (figure 33).

Cet exemple illustre bien le phénomène de « distorsion » des interactions plantes pollinisateurs liée à la présence d’une culture entomophile. Lorsqu’il y a floraison simultanée du colza et de

Primula veris (dans cet exemple) on s’attend à un effet négatif sur la reproduction de cette

dernière (Holzschuh et al. 2011) dû à un effet de dilution des pollinisateurs. Par contre, si la floraison de Primula veris est légèrement décalée de celle du colza, on peut s’attendre à un effet positif sur sa reproduction si les pollinisateurs, ici les bourdons, ont vu leurs colonies grossir pendant la floraison de la culture et que les individus se reportent massivement et se concentrent sur les plantes sauvages à la fin de sa floraison (Blitzer 2012).

En effet, Rand et al. (2006) ont émis l’hypothèse que les ressources présentes dans un habitat peuvent favoriser le développement des organismes, les rendant donc plus efficaces dans le second habitat. Ainsi, le mouvement des bourdons de la prairie à la culture est bénéfique dans un premier temps au colza, puis le mouvement dans un second temps qui a lieu de la culture vers la prairie est bénéfique aux plantes de la prairie (concept de « spillover » déjà évoqué plus haut) (figure 34).

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Figure 34 : (A) Mouvement des pollinisateurs depuis les habitats semi naturels jusqu’aux champs de colza lors de sa floraison, (B) mouvement des pollinisateurs dans le sens inverse après la floraison du colza et conséquences sur la reproduction des plantes des deux habitats (Blitzer 2012).

Cependant, le colza ne favorise peut-être pas toutes les espèces de bourdons. Diekötter et al. (2010) ont noté le nombre de visites de bourdons sur une parcelle de trèfle à corolle longue (Trifolium pratense) dans 12 contextes paysagers en Allemagne qui différaient par la quantité de colza cultivée. Ils montraient que la quantité de bourdons à langue longue visitant le trèfle diminuait avec l’augmentation des densités de colza dans le paysage. A l’inverse, la quantité de bourdons à langue courte visitant le trèfle augmentait avec les densités de colza dans le paysage. Les bourdons à langue courte sont en fait favorisés par la culture du colza qui a lieu avant celle du trèfle et leurs colonies se développent sur cette ressource. Une fois que le colza est terminé il faut que les ouvrières se reportent sur d’autres ressources comme le trèfle. Par leur nombre elles entrent en compétition avec les bourdons à langue longue, spécialisés dans l’utilisation des fleurs à corolle profonde. De plus, les bourdons à langue courte trouvent une parade pour dérober le nectar inaccessible de ces fleurs trop profondes en perçant la base de la corolle avec leurs mandibules. Ainsi, ces espèces ne participent pas à la pollinisation de la plante. L’augmentation disproportionnée des espèces à langue courte dans cet exemple peut en effet satisfaire les besoins de l’agriculture dans un premier temps mais également menacer des espèces plus spécialisées et leurs fonctions à long terme.

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V.4.3. Les cultures entomophiles abritent aussi des ressources florales alternatives et