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Chapitre 4 : Résultats obtenus

4.4 Éclairage sur les stratégies de résistance mises en œuvre dans le quotidien

4.4.4 Se fixer des limites

Les cinq participantes parlent d’ailleurs de moments dans leur parcours où elles ont dû faire respecter leurs propres limites. Certaines expriment que cela n’a été possible qu’en prenant du recul sur leur vécu, en prenant conscience des enjeux qu’elles rencontraient et en apprenant à se connaître elles-mêmes. Jasmine l’illustre ainsi : toute sa vie, même dans les moments les plus difficiles, elle a tracé des lignes à ne pas franchir. Elle souligne n’avoir jamais offert de services sexuels pour avoir un toit, se faire apprécier ou se procurer des substances illicites.

L’idée d’imposer ses limites revient dans tous les entretiens des participantes, à différentes intensités et dans différents contextes de vie. Il s’agit parfois de responsabilités qui leur incombent et qu’elles ne se sentent pas en mesure d’assumer. Par exemple, deux participantes indiquent ne pas ou ne plus s’être sentie en mesure d’être responsable d’un

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enfant, ce qui les a menées à confier leur garde ou à interrompre volontairement une grossesse. À d’autres moments, les jeunes femmes expliquent modifier certains de leurs comportements jugés préjudiciables lorsqu’elles prennent conscience des enjeux. Une participante raconte avoir falsifié son discours pour être admise en psychiatrie et, du même coup, obtenir une stabilité alimentaire, résidentielle et médicale à court terme. Elle décide par la suite d’avouer sa ruse lorsqu’elle entrevoit la possibilité d’être internée à plus long terme : elle ne pouvait pas tolérer cet environnement plus longtemps, malgré ses avantages initiaux.

De la même façon, lorsque certaines participantes considèrent avoir atteint leurs limites dans une relation interpersonnelle, elles confrontent la personne ou mettent un terme à la relation. Au fil de leur parcours, elles laissent tomber des groupes d’amis qui ne concourent pas à les amener vers la vie qu’elles souhaitent ou encore quittent des partenaires ne leur offrant pas une relation qu’elles jugent saine. Bianca confronte également plusieurs personnes au sujet de son cancer, bien qu’elles n’aiment pas en parler :

Pis j'aimais pas ça avoir à me justifier comme ça, mais un moment donné moi j'aime pas ça m'faire passer pour une menteuse. Fait que j'ai pas eu l'choix. Pis quand (à l’organisme d’hébergement) ça pognait une discussion, y'a une d’elle qui m'connaissait pas.

Pis que finalement voyait que j'tais tout l'temps malade, m'posait des questions, pis ça blablatent vite icitte, c'est des filles. C'tait comme ‘Ah ouais, mais pourquoi Bianca t'es tout l'temps malade ?’ ‘Ah, Bianca a l'cancer’. Bin oui a l'a l'cancer, fait que là j'me pointais avec ma feuille (de diagnostic) ‘Arrête de faire chier’.

Quatre participantes explicitent dans leur récit leur choix conscient de ne pas consommer. Elles expliquent comprendre les conséquences que les drogues et l’alcool peuvent avoir, soit en l’ayant expérimenté ou en l’ayant constaté chez des membres de leur entourage, adhérant ainsi à l’idée que ne pas consommer est plus bénéfique que nuisible. Jasmine et Bianca précisent quant à elles que c’est leur condition médicale ou leur grossesse qui les a incitées à arrêter. Bianca explique que ce choix l’a même amené à briser certains liens d’amitié qu’elle entretenait depuis plusieurs années :

Fait que t'sais moi j'me t'nais énormément avec des gens en ville, surtout des gens que j'ai connus quand j'étais jeune, quand j'étais en fugue, ou qui étaient là quand j'étais dans rue. Fait qu’un moment donné, j'ai viré le dos à pas mal de

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personnes, parce que moi d'être tout l'temps dans un party, pis que bin tout l'monde est g'lé comme une balle pis que moi j'consomme pas, j'comme ‘J'ai rien à faire là’. Fait que j'ai tassé énormément d'monde.

Jasmine décrit les réflexions qu’elle a eu tout au long de son parcours, qui l’ont amenée entre autres à moduler progressivement ses habitudes de consommation. Elle explique ce dont elle est témoin lors de sa fugue :

Puis c'est à c'moment-là que j'ai connu une jeune fille qui avait à peu près le même âge que moi. Que elle justement à s'prostituait pour pouvoir payer sa drogue. Elle était aux aiguilles. Ça aussi c't'une étape que j'ai jamais voulu franchir, ça allait trop loin pour moi ça. J'étais pas prête à m'détruire à c'point- là. Pis j'étais aussi consciente des répercussions qu'ça pouvait avoir par la suite.

Ainsi, il y a certaines substances auxquelles elle ne touchera jamais, d’autres dont elle cessera la consommation au fil du temps en redéfinissant ce qu’elle juge acceptable. Son récit met également en lumière les délimitations qu’elle s’impose à certaines périodes, où elle veut se concentrer par exemple sur son avenir ou bâtir une vie familiale. L’arrêt complet de sa consommation aura, selon elle, permis de se présenter sous son vrai jour aux gens qui l’entourent, de faire la paix avec certains éléments de son passé et de se reconstruire. Elle explique avoir ainsi adopté une nouvelle stratégie :

Étant enfant, j'bloquais mes émotions parce que quand j'les vivais on riait d'moi. Après ça, bin, j'me suis mis à les g'ler, fait que j'les ai jamais vécu mes émotions. J'ai jamais vécu ça. J'veux dire ça fait à peu près 1 an ½ que j'vis des émotions, pis que j'fais comme ‘Hen… Je vis des émotions’. En fait, je vis tout court, depuis 1 an ½.

La jeune femme considère que, bien qu’elle soit sobre depuis plus d’un an au moment de l’entrevue, elle ne sera jamais « guérie de sa dépendance » et qu’elle devra toujours rester vigilante à ce sujet.

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