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Des systèmes d’exploitation à la gestion des risques

4. Finalités des travaux

Comme on l’a vu précédemment, ma démarche de modélisation s’appuie entièrement sur une analyse relativement fine des stratégies et des pratiques des producteurs, basée sur le principe d’immersion dans le terrain. Le modèle s’inscrit avant tout dans une approche positive de compréhension des modes de prise de décision des agents en incertitude et non une approche normative de ce qu’il faut faire. Il peut déboucher sur du conseil: attention si vous faites cela, voici les risques encourus ou les potentiels effets positifs, sachant qu’on ne tient pas compte de tel ou tel aspect.

Il s’agit bien entendu de modèles contextualisés ou « locaux », explicatifs d’une dynamique locale, avec une tentative d’identification de facteurs invariants mais sans jamais avoir eu l’ambition de l’extrapolation. Si on a toujours eu le souci de maintenir des niveaux de représentations administratifs dans le choix des types d’exploitation (par exemple, en Inde, on a choisi 5 types par district), l’analyse concerne bien sûr tel ou tel type d’exploitation sachant que la diversité est trop grande. C’est un des freins qui m’a été explicitement souligné par le Chef de cabinet du Ministère de l’agriculture en Algérie. Essayant de généraliser les résultats acquis en Algérie sur les zones arides et semi arides avec lui, celui-ci m’a renvoyée aux spécificités de la communauté. Ce débat m’interroge toujours sur l’extrapolation des résultats. Les décideurs politiques attendent des résultats généraux mais sont les

politique. Vice versa le chercheur imbriqué dans son terrain a toujours du mal à sortir du tissu social et humain qui l’environne. Est-ce que le changement d’échelle n’exige-t-il pas finalement de nouvelles entrées ? L’agrégation est elle soutenable avec des méthodes basées sur la diversité et l’hétérogénéité ? Estce une recherche appliquée et finalisée ? Estce une recherche développement ou une recherche -action ? Quels sont les impacts de nos recherches sur le milieu ? Très difficile de répondre à ces questions tant les concepts de recherche-action, recherche et développement, par exemple, sont flous et souvent extensibles, et tant les impacts sont difficiles à évaluer au niveau des exploitations qu’on ne peut suivre sur suffisamment d’années.

Quelques retours sur le terrain 5 ans après l’avoir quitté m’ont étonnée sur les effets indirects des études de terrain. Au Cameroun, certains planteurs m’ont dit avoir maintenu le cacao suite à notre discussion et ainsi ils ont pu bénéficier de l’augmentation des prix liée à la dévaluation alors que j’étais très pessimiste! Certains m’ont dit toujours vérifier le poids des sacs de cacao suite à mon essai pour tester la fiabilité des balances des commerçants, etc. Mais ces impacts résultent bien évidemment de l’échange dans des milieux où peu de gens sortent et entrent ou simplement passent faute de moyens de communication suffisants. On peut retrouver les mêmes effets dans des régions isolées de France.

A l’échelle des décideurs, les effets sont plus difficilement perceptibles même si on a toujours eu le souci de partager les résultats à l’occasion d’ateliers en partenariat avec les décideurs (comme, par exemple, l’atelier FEMISE de décembre 2004) ou de discussions plus informelles à l’issu de journées d’information dans les administrations ou instituts de développement ou encore de restitutions des résultats auprès des agents de l’administration ou du développement. Au Cameroun, le projet de recherche OCISCA avait associé les décideurs politiques dès le démarrage et ces derniers prenaient note des résultats acquis dans le projet au fur et à mesure.

Tous ces échanges favorisent bien sûr le dialogue : tout d’abord on critique beaucoup le modèle car insuffisant pour comprendre toute la réalité, mais progressivement, face à la connaissance du terrain, les agents écoutent. Du coup le modèle reprend sens. Certains souhaitent se l’approprier comme ce fut le cas de la coopération laitière à La Réunion ; d’autres le considèrent comme outil de la recherche et s’intéressent davantage aux résultats comme en Tunisie ou en Algérie.

La valorisation collective des résultats avec les chercheurs des instituts de recherche nationaux des pays concernés a aussi favorisé le transfert des résultats au niveau des pays concernés. Certains se sont appropriés les résultats pour en faire des nouveaux axes de recherche et de développement.

Cette recherche s’inscrit donc principalement dans un système de « compagnonnage » (selon l’expression de Latour), d’aller-retour entre réflexion et partage de savoir qui agit indirectement sur les regards portés sur les dynamiques, que ce soit en milieu rural, dans les communautés visitées, qu’avec les instituts partenaires : ONG, instituts de développement ou de recherche.

Si ma recherche s’inscrit bien dans le cadre d’une recherche appliquée et finalisée dans la mesure où elle s’intéresse toujours à des questions de politique ou de changement du moment auxquelles elles tentent de fournir des éléments de réflexion, on ne peut parler à proprement parler de recherche-action ou recherche en partenariat -telles qu’elles sont toutes deux définies et où les agents du développement seraient parti prenantes dans une relation formalisée. J’ai largement privilégié l’informel avec toujours le souci de garder mon indépendance. Le seul exemple de recherche-action réellement conduit s’est déroulé à La Réunion avec la coopérative laitière. Celui-ci m’a conduite souvent à de multiples contournements pour éviter de blesser, d’aller à contre sens, de mettre en péril certaines idées conçues qui structuraient le discours de la coopérative. Il est vrai que cette expérience est fructueuse, car elle apprend à considérer le changement non comme une variable exogène mais comme un changement social et politique qui perturbe et dérange.

Conclusion

En résumé, on a élaboré une démarche transversale aux différents terrains : une démarche à la fois inductive et prédictive qui s’appuie principalement sur la connaissance du terrain pour reconstruire une représentation du comportement des producteurs à l’aide d’un modèle prédictif. Le modèle mathématique s’écrit comme on raconte le fonctionnement d’une exploitation. Les contraintes ou les limites de la formalisation surgissent quand il s’agit d’appréhender des dynamiques largement induites par des événements parfois imprévus, de nature le plus souvent familiale (retour d’un enfant, deuil d’un parent proche, décapitalisation pour assurer un mariage). Ces événements expliquent bien souvent l’histoire de l’exploitation et pourtant sont très difficiles à intégrer.

Si, jusqu’à la fin des années 80, la formalisation du risque et donc le choix du modèle de représentation du processus de décision en incertitude ont largement mobilisé la communauté des chercheurs de la théorie de la décision, aujourd’hui la question s’est déplacée sur l’analyse empirique des processus de décision en incertitude. Les efforts pour intégrer la représentation sociale des agents se développent largement à l’interface de l’économie et de la psychologie. « La psychologie du risque

révèle sa sensibilité aux structures du problème de décision soulevé : sensibilité à la structure du risque perçu, sensibilité au contexte, sensibilité à l’environnement de l’individu ou de l’organisation de façon générale (…), sensibilité aussi à la séquentialité des décisions » (Munier, 1995, p59). En

économie du risque, nombre de travaux se développent pour intégrer le concept d’apprentissage (learning process) mais aussi les notions de mémoire, de représentation de la distribution des probabilités présentes et futures de profits (Marra et al., 2003). Ce sont autant de développements théoriques qui sont plus que passionnants de tester dans des approches empiriques des processus de décision des agents.

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UESTIONNEMENT DE LA DEMARCHE DE RECHERCHE

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