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Figures de mérite et films de CNTs

Nous avons vu au chapitre 3 que quatre caractéristiques sont essentielles pour évaluer le potentiel d’un matériau pour une utilisation dans des bolomètres résistifs : sa conductivité

3Itkiset al., « Bolometric Infrared Photoresponse of Suspended Single-Walled Carbon Nanotube Films ».

4Koechlinet al., « Potential of carbon nanotubes films for infrared bolometers ».

8.2 Figures de mérite et films de CNTs 109

thermiqueλth, sa résistivité électriqueρ, saT CR, et son niveau de bruit 1/f caractérisé par sa constante de Hooge (ou viaKf à volume donné). En effet, en ne prenant en compte que les "paramètres matériaux", la réponse et les rapports signal à bruit s’écrivent :

- Pour la réponse :

< ∝T CR ρ λth

(8.2)

- Pour les rapports signal à bruit (SNR) dans les cas des bruits de Johnson et 1/f : SN RJT CR

ρ λth

SN R1/fT CR

pKf λth (8.3)

Nous allons maintenant faire le point sur ces quatre caractéristiques, et les comparer à celles des matériaux utilisés actuellement dans l’industrie (Cf. § 3.3.2) : le silicium amorphe et les oxydes de vanadium.

Nous ne faisons volontairement pas référence aux propriétés optiques des films de na-notubes de carbone décrites au chapitre 4, car l’absorption dans un bolomètre dépend plus de l’optimisation de paramètres géométriques pour adapter son impédance que des proprié-tés du matériau constitutif. Rappelons néanmoins que nous avons montré la possibilité de réaliser des absorbants performants sur la bande 8-12µm (Cf. § 4.4).

8.2.1 Conductivité thermique

La conductivité thermique des nanotubes uniques a été l’objet de nombreux papiers aussi bien théoriques qu’expérimentaux. En effet les valeurs reportées sont exceptionnellement élevées : de l’ordre de 250 à 6600 W/mK pour des SWCNT5678 et de 300 à 3000 W/mK pour des MWCNT91011. A titre de comparaison, un métal avec une très bonne conductivité thermique, comme l’or, présente des valeurs de l’ordre de 318 W/mK.

Néanmoins, comme nous l’avons vu précédemment pour la conductivité électrique, la forte conductivité thermique des tubes uniques ne présage pas de celle des films de CNT à cause du rôle des jonctions inter-tubes. Hone et al.12 ont reporté pour ces derniers une valeur de λth = 30W/mK, et Gonnet et al.13, λth = 18W/mK. Ces deux auteurs ont également montré que ces valeurs pouvaient être augmentées en alignant les tubes. Le groupe

5Berberet al., « Unusually high thermal conductivity of carbon nanotubes ».

6Yuet al., « Thermal conductance and thermopower of an individual single-wall carbon nanotube ».

7Honeet al., « Thermal conductivity of single-walled carbon nanotubes ».

8Popet al., « Thermal conductance of an individual single-wall carbon nanotube above room tempera-ture ».

9Kimet al., « Thermal transport measurements of individual multiwalled nanotubes ».

10Fujiiet al., « Measuring the thermal conductivity of a single carbon nanotube ».

11Choiet al., « Measurement of the thermal conductivity of individual carbon nanotubes by the four-point three-ωmethod ».

12Hone et al., « Electrical and thermal transport properties of magnetically aligned single wall carbon nanotube films ».

13Gonnetet al., « Thermal conductivity of magnetically aligned carbon nanotube buckypapers and na-nocomposites ».

110 Potentiel des films de CNTs pour la bolométrie IR

d’Itkis14 a lui aussi mesuré la conductivité thermique des films de SWCNTS en utilisant le même dispositif que celui ayant servi à mettre en évidence un effet bolométrique. En effet, connaissant le flux absorbé et la T CRde leur film, il est possible de remonter à son échauffement et donc à la conductivité thermique. Une valeur de λth = 75W/mK a ainsi été mesurée pour leur film "purifié", et une valeur de λth = 30W/mK pour leur film "as prepared". Ces valeurs sont donc plusieurs ordres de grandeur en-dessous de celles des tubes uniques. Comme expliqué par Itkis et al., la cause probable est la présence des jonctions entre tubes.

En effet, ces derniers se sont également intéressés au nombre de Lorentz λth/σT (oùσ est la conductivité électrique) de leurs échantillons "purifiés" et "as-prepared". Il constitue une mesure de la contribution des phonons par rapport à celle des électrons. Les valeurs mesurées sont respectivement 100 fois supérieures, et 1000 fois supérieures à celle du nombre de Lorentz d’un métal pur, où le transport thermique est purement dû aux électrons. Ceci signifie que les rapports des contributions électroniques et phononiques dans la conductivité thermique sont respectivement de 1 : 100 et 1 : 1000. A titre de comparaison, ce rapport est de 1 : 3 dans les tubes uniques. Les auteurs en déduisent donc que les barrières intertubes réduisent de façon beaucoup plus drastique la contribution des électrons à la conductivité thermique que la contribution des phonons, et que cet effet est accentué en présence de dopants et d’impuretés.

Les conductivités thermiques reportées pour les films de CNT sont au moins un ordre de grandeur plus élevées que celle des matériaux utilisés classiquement en bolométrie : de l’ordre de 2 W/mK pour le silicium amorphe1516et de 4.5 W/mK pour le Nitrure de Silicium17. Cela signifie que, toutes choses égales par ailleurs, des bras d’isolation thermique en film de CNT seront 10 fois moins performants pour assurer un échauffement efficace de la membrane. La perspective d’une structure monolithique (i.e membrane et bras constitués uniquement de film de CNT) ne paraît donc pas intéressante du point de vue des performances thermiques.

25 µm

SiN CNT

Figure 8.4– Schéma d’un bolomètre à membrane hétérolithique (SiN/CN T /SiN).

De plus les films de CNT étant un matériau "mou", la fabrication de membrane micro-structurée d’épaisseur sub-micronique à haut facteur de remplissage apparaît difficile d’un

14Itkiset al., « Thermal conductivity measurements of semitransparent single-walled carbon nanotube films by a bolometric technique ».

15Wadaet al., « Thermal conductivity of amorphous silicon ».

16Zinket al., « Thermal conductivity and specific heat of thin-film amorphous silicon ».

17Eriksson et al., « Thermal characterization of surface-micromachined silicon nitride membranes for thermal infrared detectors ».

8.2 Figures de mérite et films de CNTs 111

point de vue technologique. En revanche des structures hétérolithiques, comme représentées sur la figure 8.4 (similaires aux empilementsSiN/V Ox/SiN) à base de silicium amorphe ou deSiNxOy, servant de support et encapsulant le film de CNT (permettant ainsi le retrait d’un couche sacrificielle organique) paraît envisageable.

8.2.2 TCR : Temperature Coefficient of Resistance

LaT CRest la figure de mérite essentielle pour caractériser les performances d’un matériau comme thermistor. Comme nous l’avons vu au chapitre 6, laT CR des CNT est gouvernée par l’activation thermique de champs électriques transitoires aux barrières inter-tubes qui permettent leur transmission par les porteurs. LesT CR des films de CNT que nous avons mesurées et celles reportées dans la littérature n’excèdent pas 0.2%K−1 (Cf. § 6.6), alors que les matériaux utilisés actuellement dans l’industrie présentent des valeurs de l’ordre de 2%K−1 (Cf. § 3.3.2). Cet écart d’un ordre de grandeur est une limitation drastique pour l’utilisation des films de CNT comme thermomètre sur une membrane bolométrique.

8.2.3 Résistivité électrique

Les films de CNT possèdent des résistivités relativement faibles (ρ <0.1 Ω.cm) comparées à celle du silicium amorphe18,19a−Si'50 Ω.cm) et de l’oxyde de vanadium20,21,22V Ox ' 1−10 Ω.cm), (pour des niveaux de dopage utilisés dans les bolomètres). D’après les équations 8.2 et 8.3, cette faible résistivité est un avantage en terme de réponses et de rapport signal à bruit de Johnson dans le cas où le thermistor est polarisé via une tension et lu via le courant (et un désavantage dans l’autre cas).

Cependant, le rapport signal à bruit dans les bolomètres est toujours limité, non pas par le bruit de Johnson, mais par le bruit 1/f surtout quand on tend à diminuer la taille des pixels (diminution du volume de détection et donc augmentation du bruit 1/f d’après la loi de Hooge, Cf. Eq. 2.28). Dans ce cas d’après l’équation 8.3, une faible résistivité ne présente aucun avantage, seuls la T CRet leKf comptent.

Enfin, d’un point de vue composant, une trop faible résistance du pixel peut poser un problème d’adaptation d’impédance avec le circuit de lecture.

8.2.4 Niveau de bruit 1/f

Nous avons effectué dans cette thèse une caractérisation du bruit 1/f de films de CNT (Cf.

Chapitre 7). Nous avons montré qu’il suivait la loi de Hooge tant que les dimensions n’étaient

18Tissotet al., « LETI/LIR’s amorphous silicon uncooled microbolometer development ».

19Vedelet al., « Amorphous silicon based uncooled microbolometer IRFPA ».

20Jeromineket al., « 64 x 64, 128 x 128, 240 x 320 pixel uncooled IR bolometric detector arrays ».

21Dem’yanenkoet al., « Uncooled 160×120 microbolometer IR FPA based on sol-gel VO ».

22Verleuret al., « Optical Properties of VO_{2}between 0.25 and 5 eV ».

112 Potentiel des films de CNTs pour la bolométrie IR

pas proches de leur seuil de percolation. Nos résultats et la littérature reportent des Kf

relativement élevés pour des dispositifs micrométriques. Néanmoins, leurs valeurs dépendant du volume de matériau, la comparaison est toujours difficile. Il est donc plus rigoureux de comparer les constantes de Hooge. Les fabricants de bolomètres gardent jalousement les valeurs qu’ils sont capables d’atteindre.

Néanmoins, nous avons pu faire une comparaison grâce à l’un des rares papiers qui mentionnent des constantes de Hooge23. Nos films de quelques centaines de nanomètres d’épaisseur présentent des constantes de Hooge de couche de l’ordre deαshCN T = 10−13 m2, alors que des films de même épaisseur de VOx présentent des valeurs de l’ordre deαshV Ox= 10−22 m2. Le niveau de bruit 1/f dans les films de CNT apparaît donc relativement élevé, ce qui n’est pas surprenant pour un matériau à la fois désordonné, et très poreux. Ceci est un inconvénient majeur pour tout capteur à base de CNT nécessitant une polarisation électrique.