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LES FEMMES SONT DES ANIMAUX

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CHAPITRE 1 : ASPECTS THÉORIQUES

1.3 Métaphore du genre

1.3.2 LES FEMMES SONT DES ANIMAUX

En se fondant sur le cadre théorique de Lakoff et Johnson (1980), Hines (1999) a étudié les termes d’animaux adressés aux femmes dans la littérature. Elle montre la métaphore des

FEMMES FATALES (WOMEN AS FEMME FATALE), mettant en lumière le fait que les femmes sont souvent conceptualisées comme des créatures irréelles, fabuleuses, séduisantes ou destructrices (e.g. siren, wildcat, vixen). Un autre de ses travaux démasque la métaphore LA FEMME DÉSIRÉE EST UN ANIMAL DE PETITE TAILLE (DESIRED WOMAN AS SMALL ANIMAL. e.g.

alley cat, doe, bird), (Hines, 1996). Ces animaux chassés ou possédés évoquent

particulièrement non seulement le désir sexuel mais aussi le contrôle des hommes. En outre, cette métaphore montre également une iconicité entre des traits phonétiques et des caractéristiques sémantiques d’après ces termes dépréciatifs.

Nilsen (1996) est l’une des premières études à avoir demandé aux participants (environ 100 étudiants à l’université, dont les deux tiers étaient de sexe féminin et un tiers de sexe masculin) d’associer 20 noms d’animaux aux humains afin d’examiner comment ces noms sont liés spécifiquement à un certain genre et quelles sont leurs caractéristiques associées. Les résultats montrent les stéréotypes genrés connotés par les noms d’animaux en anglais comme la taille, la force, et l’intelligence. Néanmoins, cette étude ne précise pas les différentes perspectives des locuteurs et des locutrices.

Le travail de James (1998) pose la question suivante : comment les femmes et les hommes (90 femmes et 35 hommes à l’université) utilisent-ils différemment 15 termes dépréciatifs en anglais (y compris des insultes non-métaphoriques et métaphoriques) ? En premier lieu, l’auteur démontre l’usage d’images idéales construites pour les deux sexes en attestant l’utilisation d’insultes envers ceux qui ne correspondent pas aux attentes de la société. En deuxième lieu, elle remarque que les femmes acceptent la création des définitions de la masculinité et de la féminité d’un point de vue androcentrique, mais elles résistent aussi par la création de termes négatifs adressés aux hommes.

Baider et Gesuato(2003) testent la validité inter-linguistique des conclusions de Hines sur les métaphores anglaises des animaux. Ces études montrent que des métaphores comparables sont également disponibles en français et en italien. Ces métaphores se concentrent sur le désir physique et le dénigrement sexuel des femmes, de plus l’aspect trivial est montré dans ces deux langues.

La même année, Fontecha et Catalán (2003) présentent une analyse cognitive contrastive de dérogation sémantique en examinant les métaphores des femmes et des hommes en anglais et

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en espagnol. Ils ont constaté que, même si les mêmes métaphores d’animaux des deux sexes sont présentes en anglais (fox/vixen et bull/cow) et en espagnol (zorro/zorra et toro/vaca), les significations métaphoriques des termes des femmes véhiculent des connotations et des stéréotypes plus négatifs que ceux véhiculés dans les métaphores des hommes.

Un autre travail sur les métaphores des femmes en anglais et en espagnol est mené par López Rodríguez (2009). Elle étudie comment les femmes sont conceptualisées en termes d’usage comme animaux de compagnie, animaux de ferme, et animaux sauvages. Ces métaphores renforcent les caractéristiques stéréotypées des femmes qui sont considérées comme désirables pour les hommes, telles que la jeunesse, la beauté et la sveltesse, et indiquent le besoin des hommes de conquête, de domestication et de contrôle étroit.

Kiełtyka (2005) présente l’histoire sémantique et le développement des métaphores de trois catégories qui sont destinées aux êtres féminins en se basant sur les sources des dictionnaires : les canidés (e.g. bitch, puppy, minx), les félins (e.g. cat, pussy, gib) et les équidés (e.g. jade,

nag, mule). L’auteur conclut que les comportements sexuels des femmes sont le thème

principal quand on les compare aux animaux. De plus, leur laideur et leur âge sont également des domaines qui subissent une attention négative.

En plus des données recueillies dans la littérature et des dictionnaires, la presse fournit un contexte d’utilisation des métaphores des femmes. López Rodríguez (2007) effectue une analyse diachronique sur la métaphore FEMME EN TANT QUE POULET (WOMEN AS CHICKEN)

en adaptant les données du magazine féminin Cosmopolitan. L’auteure montre qu’il existe un décalage entre le sens apparent et le sens profond. D’un côté, ces expressions sont utilisées par les adolescentes afin d’exprimer leur identité sociale ; d’un autre côté, l’association entre les femmes et l’expression chicken réside dans des attributs négatifs qui correspondent aux valeurs patriarcales comme « petite, dépendante, faible, têtue, pas intelligente, bavarde », qui pond des œufs et offre leur viande pour l’utilité des humains.

En outre, la métaphore LES FEMMES SONT DES ANIMAUX est associée à une autre qui concerne leurs chasseurs. L’article de Maestre (2015) discute les métaphores de l’amour et du désir où les hommes sont conceptualisés comme des chasseurs et les femmes comme des proies en analysant les données de sources diverses, y compris la littérature et des magazines féminins. L’auteure signale qu’utiliser les métaphores L’AMOUR EST UNE CHASSE (LOVE IS A HUNT) et LE DÉSIR SEXUEL EST UNE CHASSE (SEXUAL DESIRE IS A HUNT), construit et renforce les idéologies genrées disant que les femmes sont plus faibles et qu’elles deviendront les proies des hommes. De plus, certaines expressions pourraient jouer un rôle de normalisation

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de la violence sexuelle sur les femmes, en valorisant la chasse masculine comme positive et ramenant les femmes au statut de proies sexuelles dont on peut jouir.

Le travail de Rudman et Mescher (2012) fait écho à ce point de vue en utilisant un test d’association implicite sur deux formes de déshumanisation : comparer les femmes aux animaux et aux objets. Le résultat montre que les hommes qui associent automatiquement les femmes aux animaux ou aux objets ont plus tendance à justifier des agressions et le harcèlement sexuel.

L’étude de Tipler et Ruscher (2019) montre également que l’utilisation des métaphores influence notre attitude en testant deux types des métaphores animales s’adressant aux femmes : LES FEMMES SONT DES PRÉDATRICES (WOMEN ARE PREDATORS) et LES FEMMES SONT DES PROIES (WOMEN ARE PREYS). Le premier type comprend des animaux sauvages tels que cougar, vixen et tiger, tandis que le second concerne des animaux de compagnie et des animaux de ferme comme bunny et mules. En se basant sur la théorie du sexisme ambivalent développée par Glick et Fiske (1996, 1997), les auteures supposent qu’en lisant des articles où des métaphores de type différent sont intégrées, des locuteurs développeront un degré différent de sexisme hostile 29 (hostile sexism) par rapport au sexisme bienveillant 30 (benevolent sexism). Les résultats signalent effectivement que les participants (locuteurs et locutrices) exposés à des métaphores de prédatrices montrent plus d’accord avec le sexisme hostile que ceux qui sont exposés à des métaphores de proies. Bien que ce travail ne montre pas d’impact en fonction du genre des participants, les auteurs supposent une possibilité que le genre pourrait avoir un effet sur l’utilisation des métaphores, dans la mesure où les hommes sont plus susceptibles que les femmes d’approuver des attitudes hostiles envers les femmes. Silaški (2013) examine les métaphores LES FEMMES SONT DES ANIMAUX en Serbie en prenant le sexe des participants en considération. Vingt noms d’animaux ont été sélectionnés, y

29 Le sexisme hostile a besoin de peu d’explication : il s’agit de « l’hostilité envers les femmes (i.e., affect hostile et stéréotypes négatifs) et l'approbation des rôles traditionnels de genre (i.e., restreindre la conduite des femmes pour correspondre aux prescriptions de la société et confiner les femmes à des rôles accordant moins de statut et de pouvoir que ceux des hommes). » (Glick et Fiske, 1997 : 119).

« Definitions of sexism generally emphasize two components: hostility toward women (i.e., hostile affect and negative stereotypes) and the endorsement of traditional gender roles (i.e., restricting women’s conduct to fit societal prescriptions and confining women to roles according less status and power than those of men). » 30 Définition du sexisme bienveillant (Glick & Fiske, 1996 : 491, traduction de l’auteure) : « Nous définissons le

sexisme bienveillant comme un ensemble d'attitudes interdépendantes envers les femmes qui sont sexistes en

termes de perception des femmes de manière stéréotypée et dans des rôles restreints, mais qui ont un ton subjectif positif (pour le percepteur) et qui ont également tendance à susciter des comportements généralement classés comme prosociaux (par exemple, aider les femmes) ou recherche d'intimité. »

« We define benevolent sexism as a set of interrelated attitudes toward women that are sexist in terms of viewing women stereotypically and in restricted roles but that are subjectively positive in feeling tone (for the perceiver) and also tend to elicit behaviors typically categorized as prosocial (e.g., helping) or intimacy seeking. »

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compris des animaux domestiques et sauvages, afin de savoir lesquels sont associés positivement ou péjorativement aux caractéristiques psychologiques et physiques des femmes. De plus, l’auteure formule l’hypothèse que des locuteurs de sexes différents signaleront des attitudes différentes par rapport à l’utilisation de ces métaphores : les locuteurs de sexe masculin ont montré un niveau plus élevé de dérogation sémantique au regard des locutrices, en se basant sur la prémisse que des expressions métaphoriques d’animaux ont été créées par les hommes et sont utilisées, à l’origine, pour leur propre bénéfice.

Les résultats montrent que même si la plupart des noms sont utilisés négativement par les deux sexes une fois associés aux femmes, les connotations présentes à l’esprit les deux sexes peuvent être différentes. Par exemple, selon le point de vue masculin, tigrica « tigresse » représente les femmes sexy et lubriques, alors que pour les locutrices, cela implique une femme fatale, belle et dangereuse, parfois vaniteuse. Par ailleurs, les locutrices n’utilisent aucun de ces noms d’animaux pour seulement dénoter positivement des caractéristiques entre elles, alors que les locuteurs masculins les utilisent plus souvent d’une façon positive pour désigner leurs homologues, particulièrement la beauté et l’attraction31. L’auteure infère que même si les métaphores animales portent une valeur androcentrique, les femmes ont tendance à suivre et à intérioriser ces principes, ce qui conserve et reproduit la norme masculine dans la société serbe.

Cette étude (Silaški, 2013) est une des premières à tenir compte du sexe des locuteurs pour ce qui concerne l’utilisation des métaphores du genre. Même si l’échelle est petite et homogène (30 femmes et 30 hommes à l’université), le résultat diversement appliqué par des locuteurs et des locutrices à des expressions genrées est une source d’inspiration pour notre étude sociolinguistique.

En se fondant sur ce travail effectué en Serbie, Kilyeni et Silaški (2014) effectuent une autre étude en incluant la langue roumaine. La méthodologie est identique à la précédente : 30 noms d’animaux ont été choisis et les locuteurs de sexe masculin ainsi que féminin ont dû lier ces noms aux femmes et donner des caractéristiques correspondantes. L’analyse met l’accent sur la comparaison interculturelle de l’utilisation des métaphores entre ces deux langues. En outre, les auteures essayent également d’intégrer la perspective des participants mâles et femelles sur l’emploi de ces expressions métaphoriques. Le résultat montre que dans les deux langues, même si les femmes subissent plus de dérogation sémantique, les locutrices sont encore plus critiques envers les femmes. Cela indique qu’elles associent plus fréquemment

31 Les caractéristiques qui sont classées comme « positives » dans l’article de Silaški (2013) concernent en effet la sexualité et la séduction des femmes, qui ne sont pas considérées comme positives dans cette présente étude.

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des noms d’animaux aux femmes de manière péjorative que ne le font des locuteurs masculins. Enfin, les locutrices roumaines sont encore plus critiques que les locutrices serbes.

Ces études impliquent deux choses. Premièrement, dans deux langues et deux cultures différentes, les mêmes noms d’animaux impliquent des associations différentes. Cela apparaît de façon notoire dans une étude interculturelle comme le souligne López Rodríguez (2009 : 94, notre traduction)32 : « les métaphores d’animaux n’ont pas seulement une base cognitive mais elles sont également motivées par la culture, c’est-à-dire qu’elles reflètent les attitudes et les croyances d’une communauté spécifique envers certains animaux, et cela varie donc dans chaque culture, dans le temps et dans l’espace. » Deuxièmement, les locuteurs de sexes différents peuvent développer des attitudes diverses envers les mêmes noms d’animaux destinés aux femmes.

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