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La famille du parent d’accueil : espace intime ou espace professionnel ?

CHAPITRE 5 DISCUSSION

5.2 L ES THÈMES TRANSVERSAUX

5.2.2. La famille du parent d’accueil : espace intime ou espace professionnel ?

Tout comme la parentalité, l’équilibre familial s’impose comme un thème important dans les entrevues. Plusieurs parents d’accueil parlent de l’impact du placement sur leurs enfants, et ce, que l’impact soit positif ou négatif. Plusieurs font aussi mention de leur conjoint : certaines mères d’accueil mettent l’emphase sur leur complicité ou à l’inverse, expliquent qu’elles souffrent d’un divorce récent qui engendre beaucoup de difficultés et d’insatisfaction. Dans le même sens, la recension des écrits suggère que lorsque l’équilibre familial est fragilisé, non seulement la satisfaction est compromise, mais le placement peut l’être également. Il importe donc de s’attarder à ces autres individus qui gravitent autour du parent d’accueil et de l’enfant placé.

Peu d’écrits s’intéressent spécifiquement à la famille du parent d’accueil et aux enjeux relationnels présents dans cette famille. Néanmoins, certaines réflexions ont lieu sur le sujet dans le contexte du système français d’accueil familial. Notamment, Neyrand (2005) souligne qu’en France, l’assistante familiale est la seule interlocutrice avec laquelle font affaire les services d’aide à l’enfance. Selon cet auteur, cet état de fait entraîne une négation de la place du père d’accueil et de la fratrie d’accueil, et aussi une négation de l’importance de la dimension affective en jeu dans la dynamique relationnelle présente entre les membres de la famille. La situation est différente au Québec, puisque les deux membres du couple de parents d’accueil peuvent être reconnus au contrat. Ainsi, le rôle du conjoint n’est pas nié sous l’angle contractuel. Toutefois, la négation de la dimension affective des relations entre tous les membres de la famille dont parle Neyrand (2005) mérite d’être explorée.

Djaoui (2012) apporte un éclairage intéressant pour aborder cet enjeu. Elle s’intéresse au fait que pour les assistantes familiales (l’auteure s’intéresse elle aussi au

contexte français), l’espace intime devient un espace professionnel. De ce fait, la famille entière de l’assistante familiale en vient à appartenir au domaine professionnel, alors que généralement, la famille relève du domaine privé. Mundweiler-Le Navéaux (2012) va dans le même sens, soulignant que pour l’assistante familiale, le domicile n’est pas anodin. Selon cette auteure, le domicile fait même l’objet d’une certaine instrumentalisation, puisqu’il est mobilisé à des fins professionnelles, soit pour atteindre l’objectif de l’intervention auprès de l’enfant. Selon ces deux auteures, le cercle familial devient donc le théâtre d’un tiraillement constant entre l’intime et le professionnel. À quoi donner accès? Où mettre la limite? Les mères d’accueil sont constamment confrontées à ces questions.

Neyrand (2005) propose que la négation des enjeux affectifs au sein de la famille du parent d’accueil provient de l’absence de statut légal du conjoint et des enfants. Or il se pourrait que cette dénégation provienne également de cette frontière floue entre l’intime et le professionnel. En effet, imaginons qu’une mère d’accueil constate que son équilibre familial est compromis par la présence d’un enfant placé particulièrement difficile. Son conjoint est exaspéré et distant, les conflits se multiplient entre les enfants, et la pression monte sans cesse. Ce déséquilibre et les difficultés relationnelles sont associées à l’enfant placé, soit à la composante professionnelle du domicile familial. Toutefois, la mère d’accueil peut aborder ces difficultés en considérant qu’elles sont d’ordre intime, ou qu’elles sont d’ordre professionnel. Si l’on affirme que les difficultés sont d’ordre intime, on considèrera qu’elle doit elle-même trouver une solution à son problème. Par contre, si l’on affirme que les difficultés sont d’ordre professionnel, la mère d’accueil devra en parler avec les intervenants, et la solution sera d’ordre professionnel.

Selon Mundweiler-Le Navéaux (2012), il devrait y avoir une reconnaissance du fait que si on utilise le domaine familial (à prime abord intime) pour en faire un espace professionnel, voire un outil de travail, on doit reconnaître dans l’intervention les enjeux affectifs qui s’y jouent. Par cet extrait, elle exprime bien à la fois l’importance et la complexité que cela sous-tend :

« On l’aura repéré, les limites évoquées des assistants familiaux à l’exercice de leur profession résident majoritairement et en premier lieu dans leur domaine familial. Si des incidences fâcheuses pour la famille devaient survenir, alors serait remis en question l’accueil de l’enfant, voire la poursuite de l’activité professionnelle. «Ce travail comporte un

vrai risque de retentissement trop important des problèmes de l’enfant sur la vie familiale et notamment sur les propres enfants de la famille d’accueil. Ceci dit, il est difficile de préciser à partir de quand la vie de famille est submergée » exprimait une assistante familiale. De l’avis de plusieurs professionnels, cela ne se mesure pas mais se ressent. » (p.53)

Si les professionnels nomment que cela «ne se mesure pas, mais se ressent», alors on peut croire que ces difficultés demeurent de l’ordre du non-dit, qu’elles ne font pas l’objet d’une intervention consciente et planifiée. On peut croire également que les parents d’accueil sont aussi dans ce non-dit.

Ces réflexions ont cours dans le contexte français, mais la réflexion peut certainement s’appliquer aux autres contextes occidentaux. En effet, peu d’études portant sur l’expérience du parent d’accueil ou sur sa satisfaction parlent de la dynamique familiale. Ce silence met en lumière une préoccupation importante : la dynamique de la famille d’un parent d’accueil doit être considérée comme faisant partie des éléments à considérer lorsqu’on parle du placement familial.

La question est entière au Québec aussi. Les cadres de référence encadrant pratique clinique auprès des familles d’accueil parlent peu des enjeux liés à la dynamique familiale.

Dans le Guide d’orientation de la pratique professionnelle auprès des ressources de type familial (MSSS, 2003), il semble qu’une certaine attention est accordée à la dynamique familiale lors de l’évaluation. Il y est précisé que lors de l’évaluation des postulants à titre de famille d’accueil, il est important d’évaluer la motivation et l’adhésion au projet de tous les membres de la famille. Une attention particulière doit être accordée à la dynamique familiale; à ce sujet, le guide propose « d’évaluer le fonctionnement du système familial car celui-ci peut être perturbé par l’arrivée d’un usager. Il importe de bien connaître ce système pour évaluer les conséquence éventuelles du placement sur la famille et sur l’usager» (p.41). Concernant le suivi de la ressource, le guide mentionne uniquement qu’on peut cibler, dans le cadre d’un plan de soutien, des mesures visant à appuyer la famille d’accueil en ce qui concerne sa dynamique familiale. Or depuis l’arrivée de la Loi de la représentation des ressources (LRR), l’interprétation de l’entente collective a fait en sorte que le plan de soutien n’est plus un document qui est utilisé pour travailler auprès

des familles d’accueil. Selon la LRR, l’entente collective doit mettre de l’avant la primauté des besoins de l’usager (l’enfant placé) (Gouvernement du Québec, 2009, article 1-3.03), ce qui fait que depuis la signature de l’entente, le suivi de la ressource s’articule autour de la réponse aux besoins de l’enfant. Les nouvelles pratiques ne sont pas encore complètement développées, mais pour l’instant, aucun mécanisme n’est prévu pour tenir compte de la dynamique familiale dans le suivi de la ressource.

Le danger est donc réel pour qu’il y ait négation des enjeux affectifs de la famille d’accueil, tel que soulevé par Neyrand (2005). Si rien n’est établi, le risque est que les situations soient traitées au cas par cas, et que plusieurs en viennent à considérer les difficultés familiales comme étant de l’ordre de l’intimité, laissant au parent d’accueil le fardeau d’y trouver seul une solution, au risque de compromettre un placement ou l’engagement d’une ressource.

La même réflexion peut d’ailleurs se poser pour tous les enjeux qui peuvent sembler de l’ordre de l’intimité, mais qui sont affectés par le rôle professionnel du parent d’accueil, que ce soit l’équilibre personnel ébranlé par un deuil difficile suite au départ d’un enfant, ou l’estime de soi diminuée suite à un «échec» à aider un enfant. Wilson, Sinclair et Gibbs (2000) rappellent d’ailleurs, en conclusion d’une étude sur les défis auxquels sont confrontés les parents d’accueil, toute l’importance d’offrir un soutien émotionnel aux parents d’accueil en détresse car les difficultés viennent directement de l’exercice de la parentalité d’accueil:

« Fostering is a job which intrudes into family life and which can produce accute distress. The events we have described can simultaneously assault a carer’s picture of her or himself as a caring and effective person, destroy the sense of being supported by people they may have seen as colleagues in social services and produce acute tensions among family members. In some cases, foster carers may feel they have a choice between damaging their own families and failing their foster children […] In such circumstances, the provision of an effective support becomes a moral imperative.”

Aux yeux de ces auteurs, il relève donc d’un impératif moral d’offrir du soutien aux parents d’accueil. Considérer que les parents d’accueil acceptent de faire de leur vie intime un espace professionnel vient apporter du poids à la proposition.

5.2.3. La reconnaissance et la Loi sur la représentation des ressources