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Les enjeux de la parentalité multiple en contexte de placement à long terme

CHAPITRE 5 DISCUSSION

5.2 L ES THÈMES TRANSVERSAUX

5.2.1. Les enjeux de la parentalité multiple en contexte de placement à long terme

Un aspect surprenant de la présente étude a été de constater que les parents rencontrés souhaitaient majoritairement créer un lien de nature filiale avec l’enfant, c'est-à-dire qu’ils souhaitent être considéré comme le parent de l’enfant placé. Il est donc pertinent de s’attarder à la parentalité en contexte de placement à long terme, dans ses enjeux à la fois symboliques et concrets.

5.2.1.1. La filiation, la parentalité et les enjeux d’exclusivité

Le désir des parents d’accueil rencontrés d’être considéré comme le «véritable parent» n’est peut-être pas représentatif de la totalité des parents d’accueil. En effet, les parents d’accueil interrogés dans la présente étude sont nombreux à vivre un placement à long terme (n=12). Il n’en demeure pas moins qu’au Québec, un nombre important d’enfants sont sous une ordonnance de placement à majorité. Il est donc important de se pencher sur ces parents d’accueil qui souhaitent accueillir un enfant à long terme. Que souhaitent-ils en terme de lien? Comment la nature de ce lien influence-t-elle la satisfaction des parents d’accueil dans leur rôle ? Est-il possible de les accompagner en tenant compte à la fois de leur souhait de filiation et des besoins de l’enfant?

Avant d’aller plus loin, il importe de clarifier les concepts en présence. La filiation, sur le plan juridique, est définie comme le lien qui unit l’enfant à ses parents (Joyal, 2006). Présentement, l’ensemble des sociétés occidentales repose sur un

système de filiation qui est fondé sur le modèle généalogique, c’est-à-dire sur le principe d’exclusivité, où il n’est possible de n’avoir qu’un seul père et qu’une seule mère (Neyrand, 2005, 2007; Ouellette, 2000). Or le placement familial pose un problème lorsque nous considérons cette conception de la filiation. En effet, dans le contexte du placement, de nouveaux adultes qui jouent le rôle de parent au quotidien s’ajoutent aux parents d’origine. Ils peuvent prendre une place importante dans la vie de l’enfant. Dans ce contexte, les parents d’accueil ne doivent pas se substituer aux parents biologiques, mais s’additionner à eux. Or le concept de filiation, tel que défini au Québec, ne permet pas de faire place en même temps aux parents biologiques et aux « parents psychologiques » de l’enfant (ce que sont souvent les parents d’accueil, qui exercent le rôle parental au quotidien, auprès de l’enfant).

Le concept de parentalité permet de dénouer cette impasse. Il s’agit d’un concept utilisé depuis quelques années pour comprendre les réalités familiales en dépassant la notion de filiation. Il reflète les changements survenus dans les sociétés occidentales où les modèles familiaux sont de plus en plus variés. Par exemple, la notion de parentalité permet de rendre compte de la réalité des familles recomposées, ou encore des familles homoparentales, où une personne peut jouer le rôle de parent, mais sans avoir de lien génétique avec l’enfant. Neyrand (2007) propose de définir la parentalité comme étant un « espace de mise en œuvre de relations parentales appréhendées dans leur concrétude, permettant d’identifier différentes catégories d’acteurs ayant une fonction parentale sans forcément directement participer du système de parenté » (p. 72). Ainsi la notion de parentalité permet d’apporter un éclairage intéressant sur la parentalité d’accueil.

Il ne fait pas de doute que les parents d’accueil sont influencés par la conception occidentale de la filiation. Le risque, si les parents d’accueil considèrent leur rôle parental en fonction du concept de filiation (qui ne permet que la reconnaissance de deux parents), est qu’ils se retrouvent en compétition avec le parent biologique pour gagner la position légitime de parent. Or c’est exactement ce qu’indiquent certains parents rencontrés lorsqu’ils associent leur satisfaction dans leur rôle à plusieurs facteurs qui se rapportent au lien (tel l’importance à leur yeux de se faire appeler maman, ou le fait de voir la présence des parents d’origine comme une entrave au lien). Ce qu’ils semblent nous dire par ces propos, c’est qu’ils souhaiteraient être reconnus comme la seule figure parentale.

Une particularité ressort toutefois des propos des parents d’accueil. Tel que mentionné dans le chapitre des résultats, il semble que lorsque prend fin l’incertitude concernant l’avenir de l’enfant, les parents d’accueil changent d’attitude et deviennent en mesure de conjuguer avec cette parentalité multiple. L’insatisfaction liée à la présence du parent biologique diminue soudainement. Par exemple, certains parents acceptent de donner des conseils au père biologique pour que ses sorties se passent bien (parent d’accueil #4), ou encore un père d’accueil envisage former une sorte de « famille reconstituée » avec les parents biologique (parent d’accueil #2). Ces parents montrent bien cette acceptation d’une parentalité multiple; ils retrouvent une plus grande satisfaction car leur place étant assurée, ils n’ont plus peur de composer avec les parents biologiques.

Ces propos des parents d’accueil viennent soutenir une hypothèse de Pagé (2012), qui s’intéresse aux enjeux de parentalité pour les parents d’accueil du programme banque mixte. L’auteur soulève la réflexion suivante :

« Il est possible que ce qui différencie les familles d’accueil régulières des familles Banque-mixte ne soit pas tant le sentiment de filiation, mais plutôt le besoin d’exclusivité qui ressort clairement, à plus ou moins grande intensité, dans le discours des participants à la présente étude [parents d’accueil en vue d’adoption] et qui est probablement une moins grande nécessité pour les parents de familles d’accueil régulières. » (p.244)

En effet, pour les parents d’accueil rencontrés qui souhaitent un placement à long terme (ce qui constitue la majorité de l’échantillon), l’ordonnance de placement à majorité vient faire une grande différence. Or si on s’attarde à ce moment charnière à la lumière du concept d’exclusivité, il est clair que ce n’est pas la présence du parent biologique dans la vie de l’enfant qui change, puisque le parent biologique reste souvent présent dans la vie de l’enfant suite au jugement. Il n’y a donc pas de gain au plan de l’exclusivité relationnelle.

Ce qui change plutôt, avec l’ordonnance de placement à majorité, c’est que le parent d’accueil se voit confirmé qu’il conservera la place de parent de premier plan (de parent psychologique) auprès l’enfant. Il n’a pas l’exclusivité totale, mais visiblement, pour les parents rencontrés, cela importe peu. Ils nous le confirment par

leur capacité à conjuguer davantage avec le parent biologique dès que le tribunal statue que l’enfant restera avec eux « pour toujours ».

Le sentiment de filiation pour le parent d’accueil serait possible, malgré l’absence d’exclusivité. En théorie, cela rend possible la construction, pour l’enfant placé, d’un modèle familial différent, à parentalité multiple. Le principal défi qui demeure est donc d’atteindre, pour tous les parents impliqués, une acceptation réciproque de la place de l’autre.

5.2.1.2. Départager le symbolique du concret

La discussion sur les concepts de filiation, de parentalité et d’exclusivité a une grande importance puisqu’elle permet de mettre des mots sur plusieurs enjeux auxquels sont confrontés les parents d’accueil. La pertinence de sensibiliser les parents d’accueil à ces notions ne fait pas de doute.

Toutefois, un accompagnement de nature symbolique risque fort d’être insuffisant pour les parents d’accueil aux prises avec les enjeux qui entourent la clarification du projet de vie de l’enfant. En effet, les parents d’accueil rencontrés dans le cadre de la présente étude ont aussi parlé de difficultés très concrètes en lien avec la présence des parents biologiques. Notamment, ils nous ont dit à quel point les comportements étaient difficiles au retour des visites, combien il fallait sécuriser l’enfant après chaque contact, combien l’horaire des visites pouvait bouleverser leurs habitudes, ou encore combien certains parents pouvaient être envahissants. Devant de telles difficultés, un accompagnement concret devient nécessaire.

Par exemple, il se peut qu’un parent d’accueil, à l’origine ouvert au parent biologique, change sa vision des choses lorsqu’il constate les effets négatifs des contacts sur l’enfant. Or si le parent d’accueil en vient à être en colère contre les parents biologiques, se pourrait-il qu’il alimente à son insu le conflit de loyauté? Il devient important d’intervenir pour éviter l’escalade : comment l’enfant doit-il être accueilli au retour des visites? Quel geste le parent d’accueil peut-il poser pour minimiser l’effet des transitions? Y a-t-il moyen d’aménager les visites à des moments qui conviennent bien au parent d’accueil, en fonction des activités familiales? Intervenir pour diminuer les effets des contacts avec le parent biologique aura sans doute un effet positif sur la satisfaction du parent d’accueil.

L’intervention doit donc se situer à deux niveaux : une explication des enjeux symboliques de la parentalité d’accueil, et des actions concrètes pour atténuer les défis associés à la présence des parents biologiques. Par cela, le parent d’accueil pourra se sentir plus efficace face aux comportements difficiles associés aux visites et comprendra mieux les enjeux relationnels associé au placement à long terme. Conséquemment, sa satisfaction s’en trouvera augmentée.

5.2.2. La famille du parent d’accueil : espace intime ou