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Chapitre III : Caractérisation fonctionnelle et structurale de polysaccharidases de R. baltica

I. A - La famille GH16

Les hydrolases forment l’immense majorité des enzymes de dégradation de saccharides. Leurs mécanismes catalytiques impliquent un ou deux déplacements de groupes nucléophiles selon leur mode d’action, via des intermédiaires réactionnels cationiques (voir Figure III-19). Elles peuvent catalyser l’hydrolyse de toute liaison glysosidique (Koshland, 1953; Sinnott, 1990; Davies and Henrissat, 1995).

Leur mode d’action peut être divisé en deux catégories : un mode qui libère après hydrolyse des saccharides présentant un carbone réducteur dans la même configuration anomérique que la liaison hydrolysée ; et un mode qui inverse la configuration anomérique. Ces deux modes d’actions sont respectivement appelés mécanisme de rétention et

mécanisme d’inversion de la configuration anomérique.

Figure III-19 : Modes d’action des glycoside hydrolases.

Présentation des modes d’action des hydrolases tel que décrit par Koshland en 1953. Figure extraite de (Davies and Henrissat, 1995). a) Mécanisme de rétention

de la configuration anomérique: l’oxygène glycosidique est protoné par un

catalyseur acide et le départ de l’aglycone est assisté par une catalyseur nucléophile. La liaison du glycosylenzyme formé est ensuite hydrolysée par une molécule d’eau et cette seconde substitution nucléophile génère un produit avec la même stéréochimie que le substrat initial. b) Mécanisme d’inversion de la configuration : la protonation de l’oxygène glycosidique est ici concomitante à l’attaque nucléophile d’une molécule d’eau stabilisée par la base. La stéréochimie du produit est ici inversée.

La famille 16 des glycoside hydrolases est une famille multispécifique comprenant actuellement environ 900 séquences. Huit activités enzymatiques y sont actuellement

recensées (Tableau III-14) dont sept ont en commun de dégrader des β-D-glucanes ou des β-D-galactanes. La dernière classe d’enzymes catalyse la transglycolyse des xyloglucanes (activité xyloglucan:xyloglucosyltransferase, XET).

Tableau III-14 : Activités de la famille GH16.

Récapitulatif des activités et structures retrouvées dans la famille GH16.

D’un point de vue distribution, ces enzymes sont présentes dans tous les phyla (bactéries, archées, eucaryotes et virus) et, même si le milieu terrestre est très représenté notamment à travers l’activité XET, certains des polysaccharides-substrats de cette famille sont retrouvés en abondance dans les océans. Une courte présentation de l’ensemble des substrats rencontrés dans cette famille est proposée ci après.

Deux types de glucanes servent de substrats aux enzymes de la famille GH16 : les β-(1,3)-D-glucanes et les β-(1,3)-(1,4)-D-glucanes (également appelés β-D-glucanes à liaisons variées ou « mixed-linked » β-D-glucanes - MLG). Ces glucanes constituent une famille assez hétérogène de polysaccharides retrouvés dans de nombreux organismes avec des fonctions biologiques très différentes. Ainsi, nous pouvons citer parmi eux la laminarine (Figure III-20), qui est un β-(1,3)-D-glucane à chaînes courtes faiblement branchées en β(1,6). Elle présente la particularité d’être le principal polysaccharide de réserve des macroalgues brunes, à l’encontre de la majorité des autres organismes photosynthétiques qui utilisent principalement l’amidon. D’autres types de β-(1,3)-D-glucanes présentant des structures légèrement différentes existent : le pachyman (polysaccharide de la paroi des champignons), le paramylon (polysaccharide de réserve des euglènes) ou encore le curdlane qui est un β-(1,3)-D-glucane bactérien non ramifié. Les β-(1,3)-(1,4)-D-glucanes

sont des polysaccharides linéaires présentant une alternance entre des liaisons 1,3 et β-1,4. Le lichenane (Figure III-21) est un MLG présent chez certains champignons lichénisés dont il est un des constituants pariétaux. Chez les végétaux supérieurs de l’ordre des

Poales, qui contient notamment les céréales, des β-(1,3)-(1,4)-D-glucanes forment des hémicelluloses de la paroi cellulaire. Ces polysaccharides sont alors non branchés et sont formés de 90 % d’unités cellotriose et cellotétraose connectées par des liaisons β(1,3) avec un ratio 2:1.

Figure III-20 : Présentation de la laminarine Présentation de la laminarine β-1,3-D-glucane à chaînes courtes, faiblement branché en β-1,6.

Figure III-21 : Présentation du lichenane. Présentation du lichenane oligoside

Glc-β-1,4-Glc-β-1,3-Glc.

La multitude d’activités enzymatiques, répertoriées dans l’hydrolyse de ces polysaccharides, reflète bien cette diversité. En effet, pour le cas de la famille GH16, les activités 3.2.1.6 (clivage des liaisons β(1,3) dans les β-(1,3)-D-glucanes et des liaisons β(1,4) dans les β-(1,3)-(1,4)-D-glucanes si l’ose non réducteur est substitué en C3), 3.2.1.39 (clivage des liaisons β(1,3) dans les β(1,3)D-glucanes) et 3.2.1.73 (clivage des liaisons β(1,4) dans les β-(1,3)-(1,4)-D-glucanes) sont toutes liées à l’activité β-D-glucanase. Cependant chacune présente une spécificité qui rend ces enzymes souvent inactives sur les autres substrats de ce type. Elles sont retrouvées assez diversement dans la nature, tant chez les procaryotes et certains eucaryotes (champignons, nématodes, plantes, algues brunes, …) que chez les virus.

Les agars sont des galactanes sulfatés présents dans la paroi d’algues rouges, appelées agarophytes, où ils composent la phase amorphe de leur paroi, la phase cristalline étant composée de β-glucanes de type cellulose (Kloareg and Quatrano, 1988). Les agars sont des polysaccharides linéaires constitués de D-galactose et de 3,6-anhydro-L-galactose alternativement liés par des liaisons β(1,4) et α(1,3). Ces unités disaccharidiques peuvent être substituées par des groupements ester-sulfates, méthyles ou encore pyruvates. L’agarose correspond à des agars neutres (Figure III-22). Il est en particulier connu pour ses propriétés hautement gélifiantes (Armisen, 1991; de Reviers, 2002). La famille GH16 ne

contient que des agarases spécifiques de la liaison β(1,4) des agars (d’où leur nom de β-agarases). Elles n’ont été retrouvées jusqu’à présent que dans des espèces bactériennes.

Figure III-22 : Présentation de l’agarose

Présentation de l’agarose oligodioside idéal α-1,3-D-Gal-β-1,4-L-(3,6-anhydro)Gal.

Les carraghénanes forment une large famille de galactanes plus ou moins sulfatés (jusqu’à 30 % de sulfatation), présents das la paroi de certaines algues rouges appelées les carraghénophytes, comme les algues appartenant aux genres Chondrus, Gigartina,

Eucheuma, Hypnea, kappaphycus où ils composent, tout comme l’agar chez les

agarophytes, la phase amorphe de la paroi de l’algue. La différence entre les carraghénanes et les agars, réside dans le fait que le 3,6-anhydro-galactose est en conformation D dans les carraghénanes. L’unité disaccharidique idéale du κ-carraghénanes est le α-(1,3)-D-galactose-4-sulfate-β-(1,4)-3,6-anhydro-D-galactose (Figure III-23). les carraghénanes sont également connus pour leurs propriétés gélifiantes (Kloareg and Quatrano, 1988). L’activité κ-carraghénase est peu représentée au sein de la famille GH16 avec seulement 3 enzymes, toutes de bactéries marines.

Figure III-23 : Présentation du κ-carraghénane

Présentation du κ-carraghénane oligodioside idéal α-1,3-D-(4-Sulfo)Gal-β-1,4-D-(3,6-anhydro)Gal.

Le kératane sulfate (Figure III-24) est un glycoaminoglycane complexe de la matrice extracellulaire des animaux. C’est un polymère linéaire de lactosamine sulfaté dont la structure idéale est le disaccharide β-(1,3)-galactose-β-(1,4)-N-acétyl-glucosamine-6-sulfate. Plus de quinze protéines différentes ont été identifiées dans la fraction peptidique qui lui est liée (Funderburgh, 2000). Sa très grande représentation dans l’ensemble des tissus des animaux a justifié les nombreuses recherches, notamment en médecine, depuis les années

Figure III-24 : Présentation du kératane sulfate.

Présentation du kératane sulfate oligodioside idéal β-1,3-Gal-β-1,4-(6-sulfo)GlcNac.

Enfin, les xyloglucanes (Figure III-25) sont parmi les constituants majeurs de la paroi primaire des plantes supérieures (Carpita and McCann, 2000). Ils sont constitués d’un squelette β-1,4-D-glucane régulièrement substitué avec des résidus α-1,6-D-xylopyranosyl (Baumann et al., 2007).

Figure III-25 : Présentation d’un motif trouvé dans les xyloglucanes.

Est représenté un squelette β-1,4-D-glucane substitué avec des résidus α-1,6-D-xylose (Xyl).

La variété et l’aspect ubiquitaire des substrats des enzymes de la famille GH16 ont fortement contribué à l’essor des études sur cette famille. La famille GH16 est ainsi structuralement étudiée depuis de nombreuses années. La première structure publiée date de 1993, avec la β-glucanase de Paenibacillus macerans (Keitel et al., 1993). Les structures de dix autres enzymes de la famille GH16 ont été caractérisées depuis, dont quatre par notre équipe : la κ-carraghénase pcKcar de Pseudoalteromonas carrageenovora (Michel et al., 2001), les β-agarases AgaA et AgaB de Zobellia galactanivorans (Allouch et al., 2003 ; Allouch et al., 2004) et la xyloglucanase de Tropaleolum majus (capucine) (Baumann et al., 2007). Le repliement est constitué d’une architecture de type sandwich β, et plus précisément du sous-type β-jelly roll. Les Figure III-26 et Figure III-27 présentent les structures de la κ-carraghénase de P. carrageenovora et de la xyloglucanase tmXGH de

Figure III-26 : Structure de la κ-carraghénase P. carrageenovora.

Structure de la κ-carraghénase pcKcar de P. carrageenovora (code PDB : 1DYP).

a) Présentation de la distribution des charges de surface. Le site actif (cercle rouge) est encapsulé dans un tunnel. b) Présentation des éléments de structure secondaire avec mise en évidence des résidus catalytiques.

Figure III-27 : Structure de la xyloglucanase de T. majus.

Structure de la xyloglucanase tmXGH de T. majus (code PDB : 2UWA).

a) Présentation de la distribution des charges de surface. Le site actif (cercle rouge) est exposé vers l’extérieur via une gorge. b) Présentation des éléments de structure secondaire avec mise en évidence des résidus catalytiques.

Des études de mutagenèse dirigée sur les lichenases ont permis de déterminer la nature et la position des acides aminés catalytiques (Malet et al., 1993), qui sont strictement conservés dans la famille GH16. Dans le cas de pcKcar, l’attaque nucléophile est ainsi réalisée par un acide glutamique en position 163 (E163), tandis que le donneur de proton a été identifié comme étant un acide glutamique en position 168 (E168). Un acide aspartique en position 165 (D165) contribue en outre à l’activation de E163 par une liaison hydrogène. Le site actif de l’ensemble des enzymes de cette famille est ainsi constitué d’une des séquences conservées EXDXE ou EXDXXE, où X est un aminoacide hydrophobe (de type valine, isoleucine, méthionine, …). Il apparaît que la différence entre les deux motifs catalytiques est la présence dans le second d’un acide aminé supplémentaire pointant vers

a) b)

entraînant l’apparition d’un renflement β (β-bulge en anglais) (Figure III-28). Sur la base d’arguments phylogénétiques et structuraux, il a été proposé que les enzymes de la famille GH16 présentant les résidus catalytiques dans un brin β régulier auraient divergé à partir d’un ancêtre commun présentant un site catalytique avec un renflement β (Michel et al., 2001). Enfin, il a également été démontré que le mécanisme catalytique de la réaction libérait des produits en rétention de la configuration anomérique (Keitel et al., 1993; Juncosa

et al., 1994).

Zoom sur le site actif de

pcKcar, constitué de la

séquence EIDVVE contenant

le renflement β occasionné par la présence des deux

valines V166 et V167.

Zoom sur le site actif de

tmXGH, constitué de la

séquence EIDIE qui ne

présente pas de renflement β.

Figure III-28 : Présentation des résidus catalytiques la famille GH16.

Noter la conservation des distances entre les trois résidus catalytiques E<--->D<--->E

Un dernier point concerne le contenu en résidus des différents sous-sites du site actif de ces enzymes. En effet, si l’on se base sur les différences entre les deux substrats finalement assez similaires que sont l’agarose et le κ-carraghénane, il apparaît que leur liaison glycosidique β-(1,4) (qui est celle clivée au cours de l’hydrolyse) présente un environnement chimique radicalement différent (Figure III-29).

E163 E168 E98 E94 D165 D96 V167 V166 I164 I95 I97 5,05 Ǻ 2,41 Ǻ 4,68 Ǻ 2,54 Ǻ

agarose κ-carraghénane Figure III-29 : Comparaison de l’agarose et du κ-carraghénane

Mise en évidence des différences de substitution (en rouge) et de configuration (en bleu) entre l’agarose et le κ-carraghénane.

Ces différences sont à l’origine de remaniements majeurs dans les sites de fixation du substrat. En effet, la position des résidus catalytiques étant strictement conservée, la liaison hydrolysée des substrats doit être stabilisée dans des positions identiques. La grande variété de substrat de la famille GH16 implique que les résidus des sous-sites -1 et +1 soient particulièrement critiques pour le maintien de l’activité de ces enzymes. A titre d’exemple, le sulfate du résidu galactose-4-sulfate du carraghénane impose aux κ-carraghénases non seulement un site -1 plus ouvert que celui des agarases, mais également capable de maintenir une charge négative. Ainsi Michel et al. (Michel et al., 2001) ont proposé l'importance du résidu arginine R260 de pcKcar dans l'interaction avec le groupement sulfate. Cette hypothèse a par ailleurs été récemment confirmée par l’obtention de la structure de pcKcar en complexe avec un tétrasaccharide de κ-carraghénane (Czjzek M., communication personnelle). Concernant le sous-site +1, l’inversion de configuration du second résidu de l’oligosaccharide idéal entre l’agarose et le κ-carraghénane impose, quant à elle, que ce sous-site soit radicalement différent, étant donné que les zones hydrophobes et polaires du résidu 3,6-anhydro-galactose sont inversées.

La famille GH16 offre ainsi un large spectre d'activités enzymatiques sur des substrats dont beaucoup sont retrouvés dans le milieu marin. Elle constituait donc une cible très intéressante dans le cadre de l’étude du métabolisme global des carbohydrates d’une bactérie marine présentant un fort potentiel de dégradation de ce type de substrat.