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LE FAIBLE NOMBRE DE CRÉATIONS ENVISAGÉES N’EST PAS DE NATURE À

Dans le document Avis 16-A-18 du 10 octobre 2016 (Page 97-101)

357. Le chiffre d’affaires des offices139, qui fait partie des critères d’offre retenus par le décret n° 2016-215 du 26 février 2016 précité, constitue un indicateur pertinent de leur activité économique, ainsi que du potentiel de développement des nouveaux offices. Même si, pour les avocats aux Conseils, ce lien est moins mécanique que pour les autres professions réglementées compte tenu de la liberté tarifaire, le chiffre d’affaires représente l’indicateur le plus direct de la demande qui leur est adressée. Cette dernière se traduisant, dans la majorité des cas, par le dépôt d’un pourvoi, il rend également compte des critères de demande listés par le décret du 26 février 2016 précité (activité contentieuse des juridictions).

358. Comme pour les officiers ministériels concernés par l’article 52 de la loi, et dans des termes similaires, le Conseil constitutionnel a validé les nouvelles conditions d’installation et rappelé qu’il est loisible au titulaire d’un office antérieurement créé, s’il estime subir un préjudice anormal et spécial résultant de manière directe et certaine de la création de nouveaux offices, d’en demander réparation devant le juge administratif, sur le fondement du principe constitutionnel d’égalité devant les charges publiques140. 359. Saisi par les députés et les sénateurs requérants d’un grief tiré de ce qu’aucun mécanisme

d’indemnisation n’était prévu en cas de préjudice résultant de la création de nouveaux offices, le Conseil constitutionnel a renvoyé au droit commun de l’indemnisation par l’État, sous le contrôle du juge administratif, sur le fondement du régime de la responsabilité sans faute du fait des lois. Ce faisant, il s’inscrit dans la continuité de sa décision n°2010-624 DC du 20 janvier 2010 relative à la loi portant réforme de la

139 Ce chiffre d’affaires ne tient compte que de l’activité en monopole, sachant que celle-ci représente environ 91 % de l’activité des avocats aux Conseils, de manière relativement homogène entre les offices.

140 Décision n° 2015-715 DC, point 96 : « Considérant, en quatrième lieu, que les dispositions contestées n’ont pas entendu exclure que, conformément aux règles de droit commun, s’il résulte de la création d’un office d’avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation un préjudice anormal et spécial pour le titulaire d’un office existant, il sera loisible à ce dernier d’en demander réparation sur le fondement du principe constitutionnel d’égalité devant les charges publiques ; que, par suite, les dispositions contestées ne portent

représentation devant la Cour d’appel, où il avait annulé les dispositions de ladite loi prévoyant la réparation d’un « préjudice de carrière » ou d’un « préjudice économique » qui n’étaient que « purement éventuels141 », et de sa décision n°84-182 du 18 janvier 1985, où il avait considéré142 que le préjudice allégué par les membres de la profession supprimée de syndic-administrateur « ne présente qu’un caractère éventuel », car la loi en cause facilitait leur accès aux nouvelles professions d’administrateur et de mandataire-liquidateur appelées à la remplacer. L’indemnisation du possible préjudice résultant de l’atteinte à la valeur patrimoniale d’un office antérieurement créé est donc possible, mais limitée.

360. Lorsque, comme en l’espèce, il n’est prévu ni la mise en place d’un régime d’indemnisation a priori des préjudices causés par la loi143, ni à l’inverse l’exclusion explicite de toute possibilité d’indemnisation de ces préjudices144, le juge administratif145 impose quatre conditions cumulatives (inhérentes au préjudice et interprétées strictement) pour engager la responsabilité de l’État146 : le préjudice doit être (i) certain, (ii) direct, (iii) anormal et (iv) spécial.

361. En premier lieu, le juge administratif considère que la victime supposée d’un préjudice ne peut en demander la réparation que si celui-ci est certain147. N’est réparable que le préjudice effectivement subi148. Dès lors, la réparation d’un préjudice « purement éventuel149 » n’est pas admise, notamment en cas de perte de bénéfices d’une activité économique ayant échoué par la faute de l’administration150.

362. S’agissant d’offices ministériels, comme l’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt de 1946, « [l[es offices institués dans un intérêt public ne sont pas des propriétés privées et […] le seul élément du patrimoine de leurs titulaires susceptibles de faire l’objet d’une convention intéressée consiste dans la valeur pécuniaire du droit de présentation »151. En conséquence, à supposer que les autres critères soient remplis, seule une dépréciation de

141 Considérant n° 24 de la décision n° 2010-624 DC du 20 janvier 2011.

142 Voir le considérant n°10 de cette décision.

143 Par exemple la loi n°2011-94 du 25 janvier 2011 portant réforme de la représentation devant les cours d’appels a prévu un dispositif d’indemnisation du préjudice causé aux avoués à la cour d’appel du fait de la suppression du droit de présentation dont ils disposaient.

144 CE, 3 avril 1987, Consorts Heugel (en disposant que l’acquisition par l’État d’œuvres d’art proposées à l’exportation se ferait au prix fixé par l’exportateur, la loi du 23 juin 1941 a entendu exclure toute indemnisation du propriétaire auquel une telle acquisition, légalement décidée, aurait causé préjudice, y compris en cas de vente à un prix inférieur à sa valeur réelle).

145 Voir notamment l’arrêt du Conseil d’État, 14 janvier 1938, SA Produits laitiers « La Fleurette » (indemnisation du préjudice causé à une société produisant des produits laitiers insusceptibles de porter l’appellation de « crème » du fait d’une modification législative concernant les conditions à remplir pour pouvoir utiliser cette appellation).

146 Les deux dernières conditions, relatives au caractère anormal et spécial, sont spécifiques au régime de la responsabilité sans faute de l’État du fait des lois, tandis que les deux premières (caractère certain et direct du préjudice) s’appliquent également au régime de la responsabilité pour faute de l’administration.

147 CE, 11 juin 1969, ministre de l’Éducation nationale, n°75385.

148 CE, 7 avril 1933, X c/ commune de Haillicourt, n°4711 ; et CE

149 CE, 19 juillet 1991, Félix Ruaz, n°63886, et CE, 27 mars 1968, X. n°68141.

150 CE, 9 décembre 1983, société d’études d’un grand hôtel international à Paris, n°25555 ; et CE, 21 décembre 2007, région du Limousin et autres, n°293260.

151 C. cass., civ., 9 décembre 1946, Grivel.

la valeur patrimoniale de l’office, qui affecterait la valeur du droit de présentation, serait susceptible de constituer un préjudice certain.

363. En deuxième lieu, la démonstration doit être établie d’un lien de causalité direct entre le fait imputable à l’administration et le préjudice invoqué152. Son appréciation relève de l’appréciation souveraine des juges du fond. Dans l’hypothèse où un élément (ou une personne) s’interpose dans ce lien de causalité, le juge administratif interprète de manière stricte l’exigence de préjudice direct : pour être réparable153, ce dernier doit constituer une conséquence mécanique de la cause du dommage154.

364. S’agissant de la dépréciation de la valeur patrimoniale d’un droit de présentation, le titulaire concerné devra apporter la preuve qu’elle est directement causée par l’installation d’une consœur ou d’un confrère. Or, cette perte de valeur à proportion de la baisse de chiffre d’affaires de l’office, peut résulter d’autres facteurs, comme une évolution conjoncturelle de la demande ou une baisse d’attractivité de l’office due, par exemple, à sa politique tarifaire ou à la perception de la qualité du service rendu perçue par les usagers. Cette dépréciation résulte au moins autant d’une décision économique des clients de l’office que de l’installation d’un nouveau confrère. Dès lors, le lien de causalité entre les recommandations de l’Autorité et le préjudice qui pourrait être invoqué apparaît particulièrement ténu, et ce d’autant plus que ces recommandations ne procèdent pas elles-mêmes à la création d’offices, mais se contentent de la permettre dans la limite d’un rythme recommandé. Là encore, la décision de tiers de se porter ou non candidats à l’installation interfère dans la chaîne de causalité.

365. En troisième lieu, le préjudice doit être spécial. La démonstration d’un tel caractère apparait hautement improbable. En effet, la démonstration du caractère spécial du préjudice implique qu’il concerne un nombre limité de victimes. S’agissant des dispositions d’une loi, en principe de portée générale et impersonnelle, les préjudices causés du fait de l’activité normative de l’État satisfont rarement cette condition. Si le préjudice peut être spécial s’il ne concerne qu’une catégorie de personnes exerçant le même type d’activité155 ou si ces personnes se trouvent dans une situation géographique particulière156, le juge administratif procède à un contrôle strict de ces conditions. Or, à cet égard, la situation des avocats aux Conseils se distingue de celle des notaires : dans chacune des 307 zones d’installation, un petit nombre de professionnels se trouve a priori dans une situation spéciale au regard de l’arrivée sur un marché local d’un ou plusieurs nouveaux officiers. En revanche, tel n’est pas le cas des soixante offices d’avocats aux Conseils, qui exercent sur le même marché de dimension nationale, de sorte que la

152 CE, 28 juillet 1993, consorts Dubouloz, n°117449.

153 CE, 11 juillet 1984, Jonon et autres, n°45921.

154 Arrêt Jonon, précité. Dans cet arrêt, le Conseil d’État a considéré que le préjudice financier subi par un salarié licencié par une entreprise ayant dû cesser son activité à la suite d’agissements de la puissance publique n’a pu résulter que de ses liens contractuels avec cette entreprise. Il était donc dépourvu de lien de causalité direct avec les agissements de la puissance publique.

155 CE, 6 novembre 1985, société Condort-Flugdienst, n°48630. Le Conseil d’État a considéré que le préjudice subi par une entreprise active de transport aérien du fait de la grève et de l’absence de réquisition de contrôleurs aériens par les pouvoirs publics était dépourvu de caractère spécial, puisque la grève avait affecté d’autres entreprises et d’autres usagers des transports aériens.

156 CE, 15 mars 1974, époux Y c/ Ville de Rouen, n°86370. Le Conseil d’État a considéré que le manque à gagner invoqué par des commerçants affectés par la rénovation du quartier dans lequel ils exerçaient leur activité, ne revêtait pas un caractère spécial compte tenu « de la nature de leur commerce et de la situation de

démonstration par chaque cabinet d’avocats aux Conseils que l’arrivée de nouveaux entrants lui a porté un préjudice spécial (au regard de ceux subis par les 59 autres offices installés) apparaît très improbable.

366. En quatrième et dernier lieu, le préjudice doit être anormal, c’est-à-dire excéder les inconvénients normaux de la vie en société. L’anormalité s’apprécie à la lumière de la gravité ou de l’importance particulière du préjudice157, notamment sa durée ou son caractère permanent. Dans ces conditions, la réparation du préjudice anormal se limite à la part de ce préjudice revêtant un caractère anormal158. Plus spécifiquement, les préjudices résultant de la cessation totale d’une activité professionnelle (directement et inévitablement inhérente à l’action de l’administration) sont, en général, considérés comme anormaux159. S’agissant des pertes d’exploitation, le juge n’en prévoit la réparation qu’à hauteur du préjudice excédant les pertes résultant de l’aléa inhérent à l’exercice de l’activité professionnelle concernée160. Aussi, s’agissant d’une baisse d’activité économique ou de la dépréciation d’une valeur patrimoniale, le préjudice n’est considéré comme anormal que si la baisse est particulièrement significative.

367. Pour ouvrir droit à indemnisation, le titulaire doit donc apporter la preuve que la dépréciation de la valeur patrimoniale de son droit de présentation est excessive. Or, dans le cas d’une suppression pure et simple d’un privilège professionnel (monopole des courtiers interprètes et conducteurs de navires), seulement partiellement compensée par un dispositif de reclassement professionnel, le Conseil constitutionnel a considéré qu’une indemnisation fixée à 65 % de la valeur de l’office (afférente aux activités faisant l’objet du privilège professionnel supprimé) n’était entachée d’aucune erreur manifeste161. 368. Un montant équivalent avait également été retenu dans le projet de loi initial relatif à la

réforme de la représentation devant la Cour d’appel, qui prévoyait une indemnisation des titulaires d’offices d’avoués à hauteur des deux tiers de la valeur de leur office (dispositif finalement modifié au profit d’une indemnisation fixée par le juge de l’expropriation).

369. Mais, dans ces deux cas, les professionnels voyaient leur droit de présentation supprimé, ce qui n’est pas le cas des avocats aux Conseils, qui ont conservé l’intégralité de leurs privilèges professionnels : activités exclusives et droit de présenter leur successeur.

370. Ainsi, à supposer que les trois autres critères soient remplis – quod non – un nombre limité de créations (quatre) devrait écarter a fortiori tout risque de préjudice anormal liée à une dépréciation de la valeur des offices existants. Au cas d’espèce, ce risque de

« bouleverser les conditions d’activité des offices existants » est d’autant moins élevé que les titulaires d’offices en place disposent déjà d’une clientèle constituée et fidélisée contrairement aux nouveaux entrants, soumis à davantage d’aléas.

157 CE, 2 juin 1967, ministère de l’équipement c/ veuve Damerval, n°71033 (indemnisation du préjudice résultant de la dépréciation de la valeur vénale d’une propriété du fait que l’existence d’un ouvrage public réduisait les vues et l’ensoleillement de cette propriété et aggravait les bruits dans une proportion assez grave pour modifier sensiblement les conditions d’habitation).

158 CE, 1er février 2012, M. Bizouerne, n°347205.

159 CE, 22 juin 1983, communauté urbaine de Bordeaux et autres, n°22695.

160 CE, 1er février 2012, M. Bizouerne, n°347205 ; CE, 24 mars 1978, Institution interdépartementale des barrages réservoirs du bassin de la Seine c/ Advenier et CE, 18 novembre 1998, société Les Maisons de Sophie, n°172915.

161 Conseil constitutionnel, 10 janvier 2001, Décision n° 2000-440 DC, Loi n° 2001-43 du 16 janvier 2001 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine des transports.

371. En définitive, le risque indemnitaire sur le fondement de la responsabilité sans faute de l’État du fait des lois, déjà très hypothétique pour les notaires, est quasiment nul pour les avocats aux Conseils.

C. UNE AUGMENTATION PRUDENTE ET PROGRESSIVE DU NOMBRE D’OFFICES DOIT

Dans le document Avis 16-A-18 du 10 octobre 2016 (Page 97-101)