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2 Renforcer par les transformations un système d’enseignement public cohérent dans une logique de concurrence

2.1 Un faible investissement de l’État

Les premiers décrets d’érection de collège en lycée qui renvoient à une procédure de demande telle qu’elle a été déinie ci-dessus datent de 1830. Alors que s’installe une certaine stabilité politique, nécessaire à un travail de déinition d’une politique scolaire, les collèges du Puy et de Tours acquièrent le statut de lycée. Ces deux premières opérations

40« [Pour] les établissement secondaires publics, la période 1840-1880 est placée sous le signe de la concurrence avec les établissements privés et avec l’enseignement confessionnel, concurrence acceptée et assumée par les autorités scolaires » ;Savoie,La construction de l’enseignement secondaire (1802-1914),

op. cit., p. 180.

ne sont toutefois pas le signe du lancement d’une politique plus générale, malgré un contexte idéologique favorable à une action publique envers l’instruction publique42. Si les années 1830 sont marquées par l’existence d’un discours en faveur de l’augmentation du nombre de lycées, une telle politique n’est pas assumée par le ministre de l’Instruction publique avant les années 1840 et seules trois nouvelles transformations sont autorisées, celles d’Auch, de La Roche-sur-Yon43 et de Bastia.

Les premiers dossiers, ceux de Tours et du Puy, ne contiennent que peu d’éléments qui permettraient de lier ces transformations à une volonté de l’administration centrale d’engager une extension du réseau des lycées. Les villes renouvellent leur demande depuis le décret de 1813 et, pour Philippe Savoie, ces transformations « résultent de décisions du dernier gouvernement de la Restauration »44. Les acteurs locaux mettent en avant des arguments liés à la dimension éducative de la mesure mais qui ne sont pas prédominants45. La transformation du collège de La Roche-sur-Yon s’explique, quant à elle, dans le cadre spéciique d’édiication de la ville nouvelle46. Tout comme celui de La Roche-sur-Yon, le décret en faveur d’Auch relève d’une « certaine ambigüité statutaire »47. Son étude permet néanmoins de mieux saisir la façon dont la question de l’amélioration de l’enseignement entre en lien avec ces premières érections. Comme les villes précédentes, la municipalité sollicite un lycée depuis le Premier Empire. Au début des années 1830, le ministre ne semble pas opposé à cette transformation mais il ne dispose pas des fonds nécessaires :

Depuis plusieurs années le Conseil municipal de la ville d’Auch demande l’érection de son collège communal en collège royal de 3e classe. Il était im-possible de subvenir aux dépenses ixes d’un nouveau collège royal, M. le Mi-nistre it savoir à M. le Préfet, le 26 septembre 1831 que la demande de la ville d’Auch ne pourrait être accueillie qu’autant que cette ville s’engagerait à faire elle-même les fonds nécessaires pour l’entretien d’un établissement de ce genre48.

42Voir sur ce sujet les travaux de Pierre Rosanvallon sur le « moment Guizot », qui mettent en évidence le cadre conceptuel dans lequel se place le ministre ; Pierre Rosanvallon, Le moment Guizot, Paris, Gallimard, 1985, et notamment le chapitre VII, « Le gouvernement des esprits » et les parties « L’État instituteur » et « Les fonctions de l’éducation ».

43La ville porte le nom de Napoléon-Vendée au moment de sa création puis change plusieurs de déno-mination au cours de la période. Pour une plus grande lisibilité, j’utilise le nom de la Roche-sur-Yon tout au long de l’étude.

44Savoie,La construction de l’enseignement secondaire (1802-1914),op. cit., p. 182-183.

45Le conseil général d’Indre-et-Loire demande ainsi un lycée « ain de procurer aux habitants du Dépar-tement et aux nombreux étrangers qui y ont établi leur séjour des moyens d’instruction plus étendus ». Extrait du procès-verbal du conseil général du département de l’Indre-et-Loire, session de 1829, AN, F/17/8069.

46Roger Lévêque,Napoléon, ville de Vendée : la naissance de La Roche-sur-Yon, La Roche-sur-Yon, Centre vendéen de recherches historiques, 1998 ; Henry Brunetière, La ville de Napoléon : La Roche-sur-Yon 1804-1870, Le Château-d’Olonne, Éditions d’Orbestier, 2006, Cet aspect est également abordé plus en détail dans le chapitre 5, p.307.

47Savoie,La construction de l’enseignement secondaire (1802-1914),op. cit., p. 183. 48Note pour le Conseil royal, datée du 5 janvier 1833. AN, F/17/7704.

La ville d’Auch accepte cette proposition de créer et d’entretenir un lycée à ses frais. L’accord est donné à l’issue de discussions au sein du conseil municipal, les frais sont jugés justiiés par le développement supposé de l’établissement après son changement de statut :

En adoptant le principe de l’érection du collège communal en collège royal, la ville comprend que l’établissement nouveau, par le développement qui doit résulter du concours d’une direction supérieure, secondée par des professeurs distingués, dédommagera des sacriices imposés qui ne seraient point com-pensés par une éducation et des progrès en opposition avec l’attente et les besoins de la localité49.

Les défauts reprochés au collège communal servent de repoussoir et de motivations à l’implantation du lycée50. Le ministère n’est pas non plus opposé aux transformations mais ne peut dégager le budget nécessaire pour assurer le surcroît de dépenses qu’en-gendre la mise en exercice d’un nouveau lycée. Seules des transformations répondant à des conigurations exceptionnelles sont ainsi autorisées. Les diicultés rencontrées par l’enseignement secondaire durant ces années peuvent expliquer la réticence du ministère. Philippe Savoie montre que « [la] crise économique et sociale du début de la décennie prive les établissements de l’État d’une partie de leur clientèle : près de 10 % de perte, au total, entre 1829 (15 087 élèves) et 1832 (13 598). […] L’évolution de l’efectif moyen des collèges royaux semble accuser une crise de langueur plus prolongée : à cet égard, le point bas de la courbe est atteint en 1835 (345 élèves par établissement contre 397 en 1829) et il faut attendre 1842 pour que le niveau de 1829 soit enin retrouvé »51. Les diicultés de recrutement rencontrées par les établissements publics ont un efet immédiat sur les res-sources dont ces derniers disposent puisqu’elles sont composées majoritairement des frais versés par les familles. Dans ce contexte, l’administration centrale soutient les lycées par le biais d’une subvention et, dans la mesure où ses moyens sont limités, elle peut préférer les concentrer sur les établissements existants plutôt que d’en créer de nouveaux.

Malgré le faible nombre de transformations efectives, des demandes sont adressées au ministère de l’Instruction publique, notamment suite aux discussions des projets de loi sur l’enseignement secondaire. L’augmentation du nombre de lycées constitue donc un sujet présent dans les débats de l’Assemblée, selon deux modalités. En premier lieu, l’idée d’une multiplication du nombre de lycées à partir des collèges semble admise sur le principe. Les députés demandent cependant à ce que leur nombre et leur localisation soient l’un des objets de la loi à venir. Le rapport de la commission chargée d’examiner le projet de budget pour l’enseignement secondaire pour l’exercice 1835 demande, à la suite de remarques sur l’érection du lycée du Puy à ce que « le gouvernement ne traite plus de pareilles conversions

49Extrait du registre des délibérations du conseil municipal de la ville d’Auch, séance du 11 no-vembre 1832. AN, F/17/7704.

50Cette motivation doit être comprise comme un élément d’un ensemble plus large de gains escomptés par la ville, qui seront envisagés au fur et à mesure du chapitre.

avec aucune ville. L’organisation des collèges royaux se trouvera dans la loi générale attendue par tous »52. Cette demande est réitérée lors du rapport de la commission sur le projet de budget pour l’enseignement secondaire pour l’exercice 183953. Les ministres successifs s’attachent à réfuter cette idée, notamment Narcisse Achille Salvandy :

Du reste, je dirai que ce point est un de ceux sur lesquels il est impossible que la loi intervienne utilement ; car enin quel est l’efet de la loi ? c’est de poser une règle générale et actuelle. Or, une règle générale et actuelle sur l’établissement des collèges royaux aurait des inconvénients graves54.

Les arguments mis en avant par les députés qui semblent tenir à un règlement de la question des nouveaux lycées par une loi ne relèvent pas prioritairement de questions éducatives mais plutôt à des choix politiques que suppose la sélection des villes où installer un lycée55. Si le développement progressif du réseau des lycées n’est pas remis en cause, c’est davantage sur ses modalités que les députés interviennent, dans la mesure où elles touchent à des questions de répartition d’un équipement sur le territoire.

Du point de vue du ministère, la force de la concurrence exercée par les établissements privés et la question de l’entrée en application de la liberté d’enseignement aboutissent à une rélexion sur l’enseignement secondaire public et la transformation de collèges com-munaux en lycées fait oice de solution admise. Dans le cadre du budget restreint accordé au ministre de l’Instruction publique, les années 1830 ne sont pas propices à une prise en charge de cette question, même si les limites des collèges communaux sont régulièrement dénoncées56. Les transformations et leurs modalités d’application sont néanmoins discu-tées, mais selon un angle qui met davantage en avant les enjeux autres que ceux ayant trait aux questions scolaires et associés aux lycées. Des avancées sont permises, mais à la marge, le ministre ne semblant pas renoncer à une certaine capacité d’action. C’est sans doute ainsi qu’il faut comprendre la transformation du collège de Bastia, qui s’inscrit dans une logique plus large de renforcement du réseau administratif scolaire. Alors que

52Rapport fait au nom de la commission des inances sur le budget du ministère de l’Instruction publique, pour l’exercice 1835, par M. Jean-Landry Gillon, député de la Meuse, annexe à la séance du 28 avril 1834.

53Rapport fait au nom de la commission chargée de l’examen du projet de budget pour l’exercice 1839 par M. Jean-Landry Gillon, député de la Meuse, séance du 23 mai 1838.

54Intervention de Salvandy, ministre de l’Instruction publique, suite de la discussion sur le budget du ministère de l’Instruction publique, séance du 5 juin 1838. Avant lui, François Guizot avait également refusé de voir la question des transformations de collèges en lycées réglée par une loi : « Le projet de loi ne demande rien pour les collèges royaux. J’ai déjà dit qu’il faudrait en augmenter le nombre, et pourvoir aux dépenses nouvelles que leur imposerait la libre concurrence des établissements privés ; mais c’est au budget qu’il appartiendra, la loi une fois adoptée, de résoudre ces questions », Présentation à la Chambre des députés d’un projet de loi sur l’organisation de l’instruction publique, séance du 1erfévrier 1836.

55« [Q]uestion encore moins inancière qu’intéressante sous le rapport des inluences et concurrences à favoriser ou à comprimer ». Rapport fait au nom de la Commission chargée de l’examen du projet de budget pour l’exercice 1839 par M. Jean-Landry Gillon, député de la Meuse, séance du 23 mai 1838.

56Voir notamment le rapport fait au nom de la commission des inances sur le budget du ministère de l’Instruction publique, pour l’exercice 1835, par M. Jean-Landry Gillon, député de la Meuse, séance du 28 avril 1834.

la Corse est rattachée à l’académie d’Aix, un arrêté du 30 mars 183857 crée une nouvelle académie pour l’île et y est nommé un recteur « à part entière »58, Louis Duilhol. Or, l’ensemble des académies dispose d’au moins un lycée, et les villes d’Ajaccio et de Bastia se positionnent donc pour obtenir le nouvel établissement. La justiication par le recteur de la nécessité d’un tel établissement en Corse illustre la façon dont la dimension scolaire de la mesure est comprise, tout au moins à cet échelon :

Les ofres du conseil municipal [de Bastia] sont fort généreuses, et cette nouvelle manifestation de l’opinion publique vient soutenir la conviction où je suis qu’un établissement de cette importance est nécessaire en Corse. Il convient je pense, de détruire cette mollesse que les habitudes venues d’Italie ont jetées dans les études ; il convient de présenter constamment aux hommes du pays un exemple de bonne discipline, de travaux consciencieux ; et d’ap-peler dans l’intérieur de l’Ile un certain nombre de boursiers qui, par leurs relations avec les enfants du pays, propagent de la manière la plus eicace la langue et les habitudes continentales. En outre un Collège Royal donnerait les moyens de résister à l’envahissement complet de l’instruction secondaire par le Clergé du pays59.

Le renforcement de l’enseignement secondaire par la création d’un lycée est ainsi motivé par une volonté de ne pas laisser le champ libre aux établissements ecclésiastiques et de créer des cadres pour la formation des futures élites administratives en adéquation avec les attentes du pouvoir central.

L’administration centrale conçoit ainsi les transformations de collèges en lycées comme un des moyens d’anticiper les conséquences de la liberté de l’enseignement, sans pour autant décider d’engager des sommes plus importantes en faveur de l’enseignement secon-daire. Dans ce contexte, les villes servent de relais et de soutien à une politique nationale. Aux diférentes échelles administratives, les acteurs trouvent donc des intérêts à demander l’obtention d’un lycée.

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