• Aucun résultat trouvé

Les efets de la loi Falloux : une recomposition forcée du réseau (1850-1880)

1 Une déinition réglementaire des collèges communaux fondée sur les lycées

1.3 Les efets de la loi Falloux : une recomposition forcée du réseau (1850-1880)

Les mesures d’encouragement de la part de l’État sont également à lire à l’aune de la promulgation de la loi Falloux en 1850. Celle-ci fait suite à la bataille des années 1840 entre les partisans de l’Université et le clergé et marque une rupture dans la période étudiée46. La loi supprime l’Université comme personne morale et, de ce fait, abolit le monopole d’État sur l’enseignement secondaire. La liberté de l’enseignement avait toutefois été inscrite dans la Charte de 1830 et ses efets ont pu être anticipés avant sa mise en application. Des mesures allant dans le sens de la liberté de l’enseignement avaient déjà été prises, comme la suppression de la rétribution universitaire47 en 1844. La loi modiie néanmoins l’équilibre du réseau des établissements secondaires et représente un troisième temps dans l’évolution du cadre réglementaire des collèges communaux. La loi Falloux vient en efet légiférer sur les rapports entre municipalités et collèges communaux et mettre un terme à la situation incertaine de ces établissements qui attendaient chaque année le renouvellement du vote de la subvention par le conseil municipal.

Pour conférer plus de stabilité aux collèges communaux, la loi instaure un régime contractuel : les municipalités doivent s’engager à garantir le traitement des enseignants de leur collège communal pour cinq ans. Le principe de l’autoinancement, dont les li-mites sont désormais prises en compte, est ainsi remis en cause. La loi Falloux simpliie par ailleurs les démarches nécessaires pour l’ouverture d’une école secondaire libre, tout en permettant aux communes de subventionner ces écoles. Ainsi, l’instauration d’un prin-cipe de contractualisation pour les collèges communaux force les communes à prendre position. Elles peuvent accepter l’engagement quinquennal, choisir d’alléger leur budget en renonçant à subvenir à un quelconque établissement d’enseignement secondaire, ou airmer leur préférence envers un établissement privé.

Ces modiications entraînent, au niveau national, la disparition ou la conversion en établissement libre de 48 collèges communaux48. Dans les 43 départements du corpus étu-dié dans le cadre de ma thèse, le nombre de collèges communaux, qui était de 168 en 1848, passe à 153 en 1852. Trois collèges sont toutefois transformés en lycées dans l’intervalle49. Les cas de substitution par un établissement libre s’expliquent généralement par l’étude

46Milbach,Les chaires ennemies,op. cit.;Gerbod,La vie quotidienne dans les lycées et collèges au XIXe siècle, op. cit., Voir notamment le chapitre VII - Le poids du monde.

47Il s’agit de la taxe dont devaient s’acquitter les établissements privés pour chaque élève accueilli Aulard,Napoléon Ier et le monopole universitaire, op. cit., p. 356-362.

des contextes locaux. Paul Raphaël et Maurice Gontard ont décrit les modalités de cette substitution : le clergé, qui s’oppose majoritairement à l’enseignement de l’État et à l’Uni-versité depuis le début du XIXesiècle50, ouvre des écoles libres dans les villes où les conseils municipaux sont acquis aux catholiques ou qui cherchent à diminuer leur apport inancier au collège51. Ces deux auteurs montrent ainsi comment le collège communal peut être fragilisé par « l’ofensive catholique ». Cette dernière débute par « l’ouverture d’un éta-blissement libre qui concurrence le collège communal. Le clergé local est mobilisé pour lui recruter des élèves »52. Des collèges communaux qui accueillaient un nombre suisant d’élèves peuvent ainsi cesser d’exister dans des localités où un établissement privé est préféré par les familles. Le collège communal de Saint-Lô disparaît ainsi en 1851 alors même qu’il était fréquenté par 80 élèves environ avant la loi Falloux. L’évêque joue éga-lement un rôle important puisqu’il peut refuser de désigner un aumônier pour le collège, comme il le fait à Villefranche-sur-Saône alors que s’ouvre un établissement tenu par les Jésuites53. L’administration centrale ne cherche pas non plus à défendre l’ensemble des collèges communaux : Hippolyte Fortoul, ministre de l’Instruction publique du début du Second Empire à 1856, recommande dans une circulaire du 5 juillet 1852 de ne pas intervenir systématiquement en faveur des collèges menacés, notamment pour les plus languissants54. Il ne faut toutefois pas généraliser la volonté des municipalités d’arrêter de subvenir aux besoins de leur collège ou de se désengager de l’enseignement secondaire. Les disparitions d’établissements après 1850 compensent les créations ou recréations. En 1854, le conseil municipal de la ville de Saint-Pol (Pas-de-Calais) choisit de demander la réorga-nisation de son collège communal, fermé en 1833 pour laisser place à une école secondaire libre. Cette nouvelle école ferme au début de l’année 1854 « par suite de la diiculté de remplacer le dernier directeur »55. La réouverture n’est cependant pas immédiate car elle doit être validée par le Conseil impérial et suppose un long processus administratif56. Un accord provisoire est tout d’abord donné, qui permet à l’établissement d’accueillir des élèves dès la rentrée 1855.

La promulgation de la loi Falloux marque néanmoins une rupture dans l’élabora-tion du système d’enseignement secondaire en entraînant une recomposil’élabora-tion des réseaux d’établissements. Elle a aussi pour conséquence une augmentation du nombre d’élèves dans l’enseignement privé. Le rapport de 1854 sur les établissements d’enseignement

se-50Gerbod,La vie quotidienne dans les lycées et collèges au XIXe siècle,op. cit., p. 179-181.

51Paul Raphael et Maurice Gontard, Hippolyte Fortoul : 1851-1856 un ministre de l’Instruction publique sous l’Empire autoritaire, Paris, Presses universitaires de France, 1975, p. 189.

52Ibid., p. 189.

53Un aumônier est nommé pour l’école normale mais l’évêque refuse qu’il exerce au collège communal. Lettre du recteur de l’académie du Rhône, l’abbé Vincent, au ministre de l’Instruction publique, datée du 22 septembre 1851. AN, F/17/8659.

54RaphaeletGontard,Hippolyte Fortoul,op. cit., p. 190.

55Note pour le ministre de l’Instruction publique, datée du 17 août 1854. AN, F/17/8588.

56Le dossier du collège communal aux Archives nationales, F/17/8588, garde la trace de ce processus qui engendre une correspondance entre le ministre, le recteur et le préfet d’un côté et le maire, le recteur et le maire, de l’autre.

condaire tend toutefois à nuancer les conséquences de la mise en place de la liberté de l’enseignement sur le réseau des établissements publics57. L’enquête efectuée à l’échelle nationale produit des statistiques de scolarisation dans les établissements publics et privés et montre une augmentation, certes faible mais réelle, du nombre moyen d’élèves scolari-sés dans les lycées58. Il faut rappeler que, d’une part, les conséquences de la loi Falloux avaient été partiellement anticipées par l’ordonnance de 1839 et l’ouverture d’un fonds d’encouragement aux collèges communaux. D’autre part, l’application du monopole était déjà imparfaite, ce qui a limité les efets de la loi Falloux sur les réseaux d’établissements. Ainsi, malgré les mesures prises par les autorités scolaires, le nombre d’élèves scolari-sés dans les établissements privés a toujours représenté une part importante de l’efectif total. Antoine Prost rappelle que l’enseignement privé l’emporte sur l’enseignement pu-blic : « de 1842 à 1854, il double ses efectifs et il maintient son avance de 1854 à 1865 »59. L’évolution du nombre d’élèves dans le privé — défavorable aux établissements publics — relève davantage d’une tendance sur le moyen terme que d’une rupture provoquée par la loi Falloux.

L’obligation du inancement sur cinq ans et l’augmentation de la concurrence des établissements privés entraîne la disparition des collèges supposés être les plus fragiles. Cette recomposition du réseau devait favoriser une plus grande homogénéité. Néanmoins, même si la loi Falloux crée un statut plus clairement identiié pour les collèges commu-naux — en réairmant la spéciicité de leur mode de inancement, préexistante à la loi — elle n’est pas précédée d’une déinition plus précise de leurs missions. L’organisation des plans d’études ou l’ofre de cours en plus des humanités classiques ne sont pas des éléments retenus dans la réglementation par l’administration centrale. Hormis la question cruciale de la subvention, la distinction réglementaire établie entre collèges et lycées porte principalement sur la rigidité du cadre de fonctionnement. Le ministère se satisfait d’une caractérisation en fonction de celle des lycées sans forcer la délimitation d’un champ de compétences des collèges communaux. La faible participation inancière de l’État à ces structures et l’importance de ne pas s’aliéner la participation municipale rendent dii-cile cette uniformisation des conditions d’enseignement dans les établissements publics par une imposition par le haut. Les collèges communaux évoluent donc dans un cadre relativement indéterminé du point de vue de l’application des règlements. Leur capacité d’adaptation face à la concurrence exercée par les établissements à proximité constitue davantage une caractéristique propre.

57Rapport à l’Empereur sur les établissements particuliers d’enseignement secondaire, le 4 avril 1854,

BAIP, n°5.

58Voir, sur cette question et sur l’impact de la loi Falloux de façon plus générale, l’analyse proposée par Philippe Savoie dans Savoie, La construction de l’enseignement secondaire (1802-1914), op. cit., p. 185-187.

2 Les efets de la concurrence scolaire : les possibilités

Outline

Documents relatifs