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Facteurs de stabilité des pentes et mécanismes déclenchant des glissements sédimentaires sous-marins

I.3. Les glissements sédimentaires sous-marins : état des connaissances

I.3.2. Facteurs de stabilité des pentes et mécanismes déclenchant des glissements sédimentaires sous-marins

Plusieurs facteurs ont été reconnus comme pouvant déclencher des glissements sous- marins, ou établir des conditions favorables à la rupture. Ils sont variés et c’est souvent la conjonction de plusieurs facteurs qui détériore la stabilité de la marge jusqu’à occasionner un glissement (Hampton et al., 1996 ; Mienert et al., 2002). La stabilité d’une pile sédimentaire dépend de deux facteurs : la résistance au cisaillement du matériel constituant la pile sédimentaire, et la contrainte cisaillante à laquelle il est soumis. Toute augmentation de la contrainte cisaillante et/ou toute diminution de la résistance au cisaillement de la pile sédimentaire vont réduire la stabilité de la marge, la rupture se produisant lorsque la contrainte cisaillante dépasse la résistance au cisaillement (Hampton et al., 1996 ; Canals et al., 2004).

Il existe des phénomènes déclenchant à court terme, qui sont les facteurs de forçage nécessaires pour provoquer le glissement dans une pile sédimentaire sujette à l’instabilité suite à l’action de facteurs de causalité à long terme (Sultan et al., 2004a). La première condition pour qu’apparaisse un glissement gravitaire est bien entendu qu’il existe une pente

qui génère une contrainte cisaillante. Cependant un glissement ne se produit pas nécessairement lorsque la pente est élevée si d’autres facteurs (comme une cémentation rapide par exemple) augmentent sa résistance au cisaillement et donc sa stabilité (Kenter, 1990), et souvent, la pente seule ne permet d’expliquer ni pourquoi ni où la rupture sédimentaire advient ou non (McAdoo et al., 2000 ; Mienert et al., 2002). Par ailleurs des glissements se produisent couramment alors que la pente est très faible (inférieure à quelques degrés), que ce soit sur des marges silicoclastiques (McAdoo et al., 2000 ; Talling et al., 2007) ou carbonatées (Spence & Tucker, 1997). L’angle de la pente (i.e. la force de gravité) est donc un facteur de causalité à long terme, incapable de déclencher à lui seul la rupture mais condition nécessaire à celle-ci (Hampton et al., 1996 ; Sultan et al., 2004a). Les autres facteurs de causalité à long terme qui peuvent intervenir sont l’héritage sédimentaire de la marge, comme par exemple des niveaux salifères (Loncke et al., 2006), ou des niveaux riches en gaz (Bünz et al., 2005 ; Minisini et al., 2007), la progradation des deltas (Prior & Coleman, 1978, 1982, 1984), ainsi que les glissements précédents (Sultan et al., 2004a).

Diminution de la résistance au cisaillement Augmentation de la contrainte cisaillante

Taux de sédimentation élevé Séismes

Percolation / infiltration / injection d’un fluide Variations du niveau marin relatif

Action des vagues Marées Activités humaines Différences de lithification - aquifères confinés

Couches salifères

Gaz et hydrates de gaz dans les sédiments Erosion en bas de pente

Processus biologiques/biochimiques

Augmentation de l'angle de la pente

tectonique flexure de la croûte

diapirisme processus volcaniques

Surcharge sédimentaire brusque Surcharge sédimentaire

(glaciation, progradation des deltas)

Fig. I.12 : Tableau récapitulatif des principales causes et éléments déclencheurs des instabilités sédimentaires.

Outre ces facteurs à long terme, la littérature avance un nombre conséquent de facteurs à plus ou moins court terme pour expliquer l’instabilité des marges (Fig. I.12), toujours en augmentant la contrainte cisaillante et/ou en diminuant la résistance au cisaillement des matériaux (voir en particulier Hampton et al., 1996 ; Canals et al., 2004) :

(1) un taux de sédimentation élevé entraînant la formation de pression de fluide interstitiel élevée (couches en surpression) et de niveaux sous-consolidés peu résistants au

cisaillement (Mandl & Crans, 1981 ; Postma, 1983; Gardner et al., 1999; Mourgues & Cobbold, 2003 ; Vendeville & Gaullier, 2003 ; Bartezko and Kopf, 2007) ;

(2) des vitesses de lithification différentes et la présence d’aquifères confinés (Hilbrecht, 1989 ; Spence and Tucker, 1997) ;

(3) la présence de couches salifères (Brun & Fort, 2004 ; Loncke et al., 2006 ; Vernhet et al., 2006) ;

(4) une brusque surcharge sédimentaire, par exemple suite à un glissement de terrain subaérien en amont ;

(5) la création de pente jusqu’à atteindre l’angle de rupture des matériaux (oversteepening). Cette augmentation de la pente peut avoir différentes causes :

- des processus tectoniques, en extension (rejet de faille, blocs basculés ; Callot et al., 2008) ou en compression (Barnes & Lewis, 1991 ; McAdoo et al., 2000 ; Cochonat et al., 2002) ;

- une flexure de la lithosphère (Hoffman & Hartz, 1999 ; Sempere et al., soumis) ; - du diapirisme et de la tectonique salifère (McAdoo et al., 2000) ;

- une croissance volcanique ou des processus d’îles volcaniques (Urgeles et al., 1997, 1999) ;

(6) l’activité sismique en général et ses conséquences (tsunamis, liquification ; Nichols, 1995), et un séisme de forte magnitude en particulier (e.g. le glissement des Grands Bancs de 1929 ; Piper et al., 1999) ;

(7) une érosion à la base de la pente (par des courants marins par exemple) ;

(8) la production de gaz (généralement du méthane) dans les sédiments par décomposition de la matière organique (Prior & Coleman, 1978 ; Barnes & Lewis, 1991 ; Bünz et al., 2005), et la déstabilisation d’hydrates de gaz (Laberg & Vorren, 2000 ; Sultan et al., 2004b) ;

(9) les glaciations continentales (Mulder & Moran, 1995 ; Locat & Lee, 2002), de part la surcharge de la glace ancrée sur les sédiments sous-jacents ;

(10) la percolation / infiltration / injection d’un fluide (liquide ou gaz) à travers la pile sédimentaire (Mourgues & Cobbold, 2003 ; Vendeville & Gaullier, 2003) ;

(11) les variations du niveau marin (Vernhet et al., 2006), notamment les chutes relatives du niveau marin d’après certains auteurs (Hilbrecht, 1989 ; Spence and Tucker, 1997 ; Dreyer et al., 1999) car elles ont pour conséquence d’augmenter la surcharge sédimentaire en bordure de plateau, là où la pente est la plus forte ;

(12) La progradation des sédiments, notamment au niveau des deltas (Prior & Coleman, 1978, 1982, 1984 ; Dreyer et al., 1999 ; Callot et al., en révision) ;

(13) l’action de vagues de tempêtes (Spence & Tucker, 1997 ; Locat & Lee, 2002) ;

(14) l’activité des marées entraînant des variations de la pression de fluide interstitiel (Spence & Tucker, 1997) ;

(15) des processus biologiques (Shaikh et al., 1998) ou biochimiques (Volpi et al., 2003) ; (16) des activités humaines, en affectant les fonds ou en surchargeant la pile sédimentaire, comme par exemple la catastrophe de l’aéroport de Nice en 1979 (Gennesseaux et al., 1980 ; Piper & Savoye, 1993).

La ou les cause(s) et surtout le ou les facteur(s) déclenchant(s) sont souvent complexes à déterminer car certains facteurs ont un effet sur d’autres. Le rôle et l’importance de chacun sont très variables suivant les cas.

Liquefaction Regime Fluidisation / Liquefactio n Regime

Vibration

Pore fluid flow

Body Shear

Mass Flow Fluidisation Regime Liquefaction / shear Liquification Regime Shear Regime Shear / Fluidisation Regime Liquefaction Regime LIQUIFICATION

Fig. I.13 : Représentation graphique des

trois types de liquification : la

liquefaction (par vibration du corps sédimentaire), la fluidisation (par injection d’un fluide à travers le corps) et la liquification cisaillante (par application d’une force cisaillante sur le corps). Adapté d’après Nichols (1995).

Un phénomène particulièrement important dans le déclenchement des instabilités sédimentaires est la liquification des matériaux clastiques, qui se produit lorsque les grains ne sont plus supportés par leur contact intergranulaire, ce qui rend la résistance au cisaillement du matériau pratiquement nulle (Fig. I.13 ; Nichols, 1995). La liquification survient lorsque la conjonction de plusieurs des facteurs déclenchants vus précédemment conduit à la fluidisation ou à la liquéfaction des matériaux (Lowe, 1976) :

- la liquéfaction survient lors des séismes, lorsque le sédiment est vibré. Les grains s’entrechoquent, ils deviennent momentanément suspendus dans le fluide interstitiel. Il se produit alors une brusque chute de la résistance au cisaillement des matériaux, la cohésion devenant nulle car les grains perdent leur contact les uns par rapport aux autres. Le matériau

est alors libre de s’écouler comme un fluide (Nichols, 1995 ; Maltman & Bolton, 2003). Cela explique parfois la mise en mouvement des matériaux lorsque la pente est très faible.

- la fluidisation des sédiments a lieu lorsque des fluides s’injectent entre les grains à travers un corps sableux (Nichols, 1995 ; Maltman & Bolton, 2003). Elle est liée soit à des séismes, soit à la compaction des sédiments sous-jacents. Dans ce cas, si une couche peu perméable, telle que des argiles, recouvre ces sédiments, l’eau ne peut pas s’échapper progressivement et le gradient de pression augmente à mesure que la subsidence se produit (Fig. I.14). Lorsque le gradient de pression devient trop important, il y a rupture de la couche peu perméable, ce qui entraîne la remontée du fluide. Celui-ci peut être canalisé par des failles qu’il emprunte ou qu’éventuellement il aide à se former (Cartwright et al., 2003). Le fluide peut aussi s’échapper de façon diffuse dans la masse, en faisant flotter les grains si sa vitesse de remontée est supérieure à la vitesse de chute des grains due à la pesanteur. Cette fluidisation peut former des dykes clastiques (Dixon et al., 1995 ; Mulder & Alexander, 2001). Si elle concerne toute une couche, c’est tout un ensemble sédimentaire qui peut être mobilisé. Malgré une pente très faible, les fluides provoquent une instabilité gravitaire et permettent un glissement en masse.

- la liquification cisaillante se produit lorsqu’une force cisaillante unidirectionnelle est appliquée sur un corps sableux, qui se liquifie par réduction de la résistance au cisaillement du matériau granulaire. La liquification cisaillante est très proche de la liquéfaction, mais dans le cas de la liquéfaction la contrainte et le mouvement des grains qui en résulte sont cycliques avec de rapides changements de directions, tandis que dans le cas de la liquification cisaillante la contrainte est unidirectionnelle et résulte du déplacement en masse du corps sableux dans la direction de la contrainte. Niveau de la mer Plancher océanique Aquifère confiné Aquifère confiné Niveau imperméable Niveau imperm éable Niveau de la mer Sédiment fluidisé Sédiment fluidisé Niveau de la mer Aquifère confiné Plancher océanique

Aquifère sous pression Aquifère sous pression Aquifère sous pression Aquifère sous pression

Surcharge sédimentaire Surcharge sédimentaire

A B C

Fig. I.14 : Formation d’aquifère confiné sous-pression pouvant provoquer des instabilités sédimentaires (modifié d’après Spence & Tucker, 1997). Un niveau imperméable (par exemple des argiles ou des calcaires rapidement cimentés) se dépose au-dessus de sédiments riches en eau (A). Cet aquifère se retrouve sous pression par exemple à cause d’une surcharge sédimentaire (B). Le fluide peut alors être expulsé violemment, fracturant la couche imperméable qui scellait l’aquifère (C).