• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 4 : Résilience

7) Locus de contrôle

4.5 Facteurs de risque

Un suivi détaillé d’environ 400 garçons d’une banlieue londonienne illustre la notion probabiliste de risque dans l’origine et l’évolution des troubles psychopathologiques. Cette recherche s’est penchée sur cinq facteurs – compétences non verbales faibles, discipline parentale inadéquate, casier judiciaire d’un ou des deux parents, pauvreté et famille nombreuse – et a montré que plus ces garçons avaient ces facteurs de risque entre 8 et 10 ans, plus il était probable qu’ils commettent un ou plusieurs actes violents pendant l’adolescence. « Seuls 3 % des garçons qui n’avaient aucun de ces cinq facteurs avaient commis de tels actes, comparés à 8 % de ceux qui en avaient un, 15 % de ceux qui en avaient deux ou trois et 31 % de ceux qui en avaient quatre ou cinq (Farrington, 1997). D’autres études longitudinales […], rapportent des résultats semblables (Ribeaud et Eisner, 2010 ; Shaw, Winslow, Owens et Hood, 1998) » (Dumas, 2015, p. 41).

En règle générale, selon Dumas, plus les facteurs de risque sont nombreux et moins ils sont contrés par des facteurs de protection, plus la probabilité est forte qu’un trouble se développe et, une fois établi, se prolonge malgré une intervention. Il a démontré ce dernier point dans un suivi de 67 familles ayant un enfant agressif avec lequel elles avaient participé à une intervention psychosociale. Cette étude s’est penchée sur six facteurs de risque : revenu familial faible, scolarité maternelle interrompue, structure familiale monoparentale, famille nombreuse, résidence dans un quartier défavorisé et intervention des services de protection de la jeunesse. Il est ressorti qu’une année après la fin de l’intervention, les enfants et les familles qui en avaient bénéficié le plus avaient 0 ou 1 facteur de risque uniquement. Les problèmes de comportement des enfants provenant de familles exposées à un nombre plus élevé de facteurs de risque avaient beaucoup moins souvent évolué de manière positive (Dumas, 2015, p. 41).

Les recherches sur les origines et l’évolution des troubles psychopathologiques illustrent que ces troubles ne sont que rarement la conséquence d’une ou deux causes directes. Ils sont beaucoup plus souvent le résultat d’un cumul de risque. C’est en fait souvent moins la nature des facteurs défavorables que leur nombre qui prédit la trajectoire développementale de ces troubles à long terme. Deuxièmement, ce cumul n’est jamais déterministe. « Plus de deux tiers des garçons qui avaient quatre ou cinq facteurs de risque dans l’étude de Farrington (1997) ne sont pas devenus violents. De même, près de la moitié des enfants agressifs exposés à 2, 3 ou 4 facteurs de risque dans la recherche de Dumas et Wahler (1983) ont bénéficié de l’intervention à laquelle ils ont participé avec leur famille. De nombreux travaux sur la résilience mettent ce dernier point clairement en évidence (Cyrulnik, 2001 ; Sameroff, Gutman et Peck, 2003) » (Dumas, 2015, p. 42).

Enfin, les effets de nombreux facteurs de risque sont non spécifiques. Parce que ces facteurs sont en transaction constante les uns avec les autres – comme nous l’avons évoqué dans les concepts théoriques convoqués – ils augmentent la probabilité de troubles divers plutôt que celle d’un seul trouble uniquement. « Des pratiques parentales inadéquates, par exemple, contribuent au développement de problèmes intériorisés autant qu’extériorisés – la nature des difficultés observées dépendant, entre autres, de la manière dont cette discipline se manifeste et des réactions qu’elle provoque chez l’enfant (Berg-Nielsen, Vikan et Dahl, 2002 ; Dumas et La Frenière, 1993) » (Dumas, 2015, p. 42).

Les travaux de Werner (698 enfants sur l’île de Kauaï) et d’autres théoriciens de la résilience comme Michaël Rutter (enfants de parents présentant des troubles mentaux et issus de milieux défavorisés), Norman Garmezy, Anne Masten et bien d’autres (Cyrulnik et Jorland, 2012; Ionescu, 2011a, 2011b; Pourtois et al., 2012) sont en phase directe avec ce que nous venons d’évoquer. Mais il nous semblait intéressant d’adopter un regard par le prisme psychopathologique pour illustrer que les problématiques psychosociales des enfants et adolescents sont des pentes dangereuses qui mènent vers des issues qui peuvent être fatales pour l’épanouissement de l’adulte en devenir. Les limites de la résilience sont difficiles à tracer et c’est une bonne chose si

on considère l’impératif du principe d’éducabilité (Meirieu, 2009). Mais il est malheureusement des frontières avec des zones très floues entre psychopathologie et carences éducatives. Quelles sont les trajectoires des enfants qui sont pris dans une tourmente psychosociale délétère telle que le rapport au réel devient trop difficile, voire impossible. Bien souvent sous médication, ou vivant en transit entre hospitalisations psychiatriques et dispositifs pédagogiques spécialisés, ces jeunes deviennent prisonniers d’une vie hors de la vie. Déscolarisés, désocialisés, n’ayant plus ou trop peu la possibilité de côtoyer une altérité généralisée leur permettant de se comparer à une autre forme de socialisation, ces jeunes s’engluent dans un milieu et un mode de vie passif qui leur colle à la peau. « Garmezy souligne le rôle pathogène potentiel du pattern additif des adversités chroniques qui accompagnent la pauvreté, adversité qui constituerait les précurseurs de la vulnérabilité psychiatrique des enfants » (Ionescu, 2011a, p. 6).

Oui, la résilience est un concept qu’il ne faut pas perdre de vue, même dans les cas les plus difficiles, avec un enkystement et une chronicisation sévère. Et la pauvreté semble faire cause commune avec des difficultés de parentalité de plus en plus sévères touchant toutes les catégories socioéconomiques et culturelles. Les causes évoquées pour cette contamination de la précarité psychosociale sont nombreuses et prennent souvent le qualificatif de crise. Qu’elle soit économique, morale, démographique ou sous toute autre forme, ces crises semblent avoir un effet de plus en plus durable et systémique. A titre d’exemple, et touchant particulièrement notre domaine des sciences de l’éducation, nous pouvons citer la crise de l’autorité qu’Erick Prairat analyse sous l’angle d’une érosion de l’autorité éducative et qui n’en demeure pas moins un « enjeu anthropologique qui est au cœur du procès éducatif » par ce « sacre du présent », omniprésence du présent et de ce qui l’accompagne (mode, consommation, publicité) affecterait l’autorité dans les sociétés post-modernes (Prairat, 2009).

Mais il faut rester réaliste pour éviter aux praticiens de l’accompagnement éducatif, sociopsychosocial et du soin en général de sombrer dans le désespoir de l’impuissance ou dans le cul-de-sac de la résignation. Tout comme pour le pari de l’éducabilité, si la clinique s’avère difficile, voire impossible dans

certains cas, les leçons à en retirer seront utiles pour aider à la mise en place de dispositifs pédagogiques à mettre à la disposition des parents, des éducateurs, des politiques et de tous ceux qui ont ou auront un jour une influence sur un quelconque domaine de l’éducation.