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CHAPITRE I : LA PROBLÉMATISATION

1.3 LES ENJEUX DE LA PROTECTION DE L’ENFANCE AUTOCHTONE

1.3.1 Les enjeux liés à la situation de prise en charge

1.3.1.3 Des facteurs de risque liés à des conditions de vie dégradées

Actuellement, la plupart des chercheurs canadiens s’entendent pour dire que ce sont des facteurs structurels, principalement la pauvreté et les risques qui en découlent, qui expliquent en grande partie la surreprésentation des enfants autochtones en protection de la jeunesse (Blackstock et al., 2004; Sinha et al., 2011; Trocmé et al., 2004; Tourigny et al., 2007).

Les données de l’ECI (1998; 2003; 2008)3 ont permis de comparer les éléments liés à la

situation de prise en charge des enfants autochtones à celle des enfants non-autochtones et révèlent que les différences se situent particulièrement au niveau des caractéristiques du foyer et des facteurs de risque associés aux parents. En ce qui a trait aux caractéristiques du foyer, les familles autochtones ont plus d’enfants (quatre ou plus dans 29% des familles autochtones comparativement à 15% dans les familles non autochtones); elles sont plus souvent dirigées par un seul parent (47% par rapport à 38% pour les non-autochtones) et majoritairement par la mère (90% par rapport à 86% pour les non-autochtones); elles sont plus susceptibles de vivre dans des logements loués, subventionnés et non sécuritaires; elles ont plus de chances de vivre de l’instabilité résidentielle (45% des familles autochtones ont déménagé au moins deux fois dans les 6 mois précédant l’enquête comparativement à 21% pour les autres familles); et leur source de revenus est plus souvent l’aide sociale, l’assurance emploi ou d’autres prestations gouvernementales (49% chez les familles autochtones par rapport à 26% chez les familles allochtones) (Blackstock et al., 2004; Sinha et al., 2011; Trocmé et al., 2004). En ce qui concerne les caractéristiques des parents, de multiples facteurs de risque sont plus souvent associés aux parents autochtones (56%), comparativement aux parents non-autochtones (34%): la consommation abusive d’alcool est le problème le plus souvent noté chez les familles autochtones (40% comparativement à 8% chez les familles allochtones), suivi de la consommation abusive de drogue (25% comparativement à 10%), des antécédents de placement dans une famille d’accueil ou un foyer de groupe (13% par rapport à 5%) et la présence d’activités criminelles (21% par rapport à 11%) (Blackstock et al., 2004; Sinha et al., 2011). Au Québec, Tourigny et ses collègues (2007) ont comparé des familles autochtones et non-autochtones de même niveau économique et ont fait ressortir que l’occupation d’un logement subventionné et les problèmes d’abus de substances chez les parents sont les facteurs caractérisant le plus les signalements impliquant des enfants autochtones.

À la lumière de ces données, ces chercheurs concluent que ce sont principalement la pauvreté, des conditions de logement inadéquates et l’abus de substance qui sont à la source de la surreprésentation des enfants autochtones en protection de la jeunesse. Ils expliquent qu’il faut

3 Certaines nuances doivent être apportées lorsqu’on compare les données de l’ECI-1998 à celles de l’ECI-2003 et l’ECI-2008 puisque ces dernières ont séparé les données pour les enfants des Premières Nations à celles des

comprendre ces résultats au regard du passé spécifique aux Autochtones puisque la colonisation et les politiques d’assimilation ont détérioré leurs conditions de vie et entrainé, par le fait même, ces facteurs de risque chez les populations autochtones (Blackstock et al., 2004; Blackstock, 2011; Trocmé et al., 2004; Fournier et Crey, 1997) :

La relation entre le gouvernement du Canada et les peuples des Premières Nations, marquées par la pression sociale, économique, politique et culturelle résultant des politiques assimilatrices, a eu des conséquences dévastatrices auprès des communautés autochtones du pays. Ces politiques de colonisation, d’expropriation et d’assimilation ont entrainé des répercussions notamment sur leurs systèmes familiaux, par le bris des liens familiaux, et leur situation économique (Tourigny et al., 2007, p. 86).

Plusieurs sources indiquent, en effet, que les populations autochtones font face à une grande pauvreté et à des conditions socioéconomiques plus difficiles que le reste de la population canadienne (de Leeuw et al., 2010). Par exemple, l’Indice du développement humain, qui est une norme développée par les Nations Unies mesurant la santé, les connaissances et un niveau de vie décent, place le Canada au 3ième rang sur 177 pays, tandis que les communautés

autochtones du Canada se trouvent au 68e rang (UNICEF Canada, 2009). Ainsi, comme il est

généralement reconnu que les mauvais traitements envers les enfants, notamment la négligence, sont fortement associés au contexte socioéconomique de la famille (Tourigny et al., 2007), les multiples désavantages et défis auxquels sont confrontées les familles autochtones font en sorte que les enfants autochtones sont plus à risque de subir de mauvais traitements (Trocmé et al., 2004).

Des ressources et un financement insuffisants

Certains chercheurs vont encore plus loin pour expliquer la surreprésentation des enfants autochtones en protection de la jeunesse en démontrant que la pauvreté auxquelles font face les populations autochtones est elle-même de nature structurelle (Blackstock, 2011; Sinha et al., 2010). Plusieurs recherches (citées dans Blackstock, 2011 et Blackstock et Trocmé, 2005) ont en effet démontré que les familles autochtones ont accès à moins de ressources relatives au bien-être de leurs enfants que le reste de la population canadienne. Au niveau public, les fonds attribués dans les communautés autochtones sont inéquitables comparativement aux fonds attribués pour les autres enfants et l’insuffisance de ces fonds touche particulièrement les « mesures moins perturbatrices », c’est-à-dire celles qui permettent de garder les enfants

autochtones dans leur famille (Blackstock, 2011). Par ailleurs, ces iniquités sont amplifiées par l’insuffisance de fonds au niveau de l’éducation, des logements et des ressources communautaires. Par exemple, plusieurs communautés autochtones ne reçoivent pas de fonds du secteur communautaire et sont donc privées de banques alimentaires, de logements sociaux, de programmes de support parental et de programmes pour contrer la violence conjugale (Blackstock, 2011).

En somme, la tendance actuelle des recherches démontre que les familles autochtones sont aux prises avec des problèmes sociaux et économiques beaucoup plus importants que l’ensemble des Canadiens et Québécois, mais avec moins de ressources pour y répondre. Dans ce contexte, les facteurs de risque liés à la prise en charge, comme la pauvreté, des conditions de logement inadéquates et l’abus de substance, ne peuvent être abordés en amont des situations problématiques, ce qui fait en sorte que la prise en charge des enfants, qui devrait être de dernier recours, devient plus fréquente dans les familles autochtones (Blackstock et al., 2005; Guay et Grammond, 2012; 2010).