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Facteurs modulateurs du langage non verbal

Dans le document THESE SORBONNE UNIVERSITÉ (Page 73-77)

4. Discussion

4.2 Facteurs modulateurs du langage non verbal

La richesse de l’expression non verbale des patients et des médecins dans les différentes

vidéos est très variable. Parfois le patient s’agite et bouge beaucoup, d’autres fois il semble

presque immobile comme figé. Quels peuvent être les facteurs modulant la richesse de ce

langage ?

Les observations suivantes sont le fruit de mon regard, guidé par des axes de lecture articulés

autour de deux questions comme grille d’analyse : Que veut transmettre le patient et comment

met-il son corps en jeu pour le faire ? Ces observations ne sont pas indemnes de possibles

préjugés mais présentent des pistes de recherche intéressantes.

4.2.1 Culture

La culture joue, tout comme dans la construction du langage verbal, un rôle très important

dans l’expression non verbale. La tendance à la "théâtralisation" dépend beaucoup de

l’éducation de chacun. La sobriété du geste et de la parole est très variable selon les individus.

Au-delà d’influer sur la richesse de l’expression non verbale, la culture peut également avoir

un impact sur sa signification. Certains gestes n’ont pas le même sens au sein de cultures

différentes et cette polysémie peut être un vecteur de quiproquos.

Le recueil des vidéos ayant été fait au sein d’un même pays (la France) nous pouvons

supposer que patients et médecins avaient une base culturelle commune. Toutefois les flux

migratoires amènent de plus en plus les médecins à rencontrer des patients du monde entier

avec leurs cultures différentes et singulières. Certains exemples illustrent d’ailleurs

précisément ce propos.

Les émoticônes, notamment, illustrent bien ces diversités culturelles :

Le sourire qui, en Occident est symbolisé ainsi :-)

Est symbolisé au Japon d’une manière différente (^^)

La surprise qui en occident s’écrit :-o

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L’affirmation par un hochement de tête en Occident, s’exprime par un mouvement oscillatoire

latéral en Inde.

Le médecin doit donc tenir compte de ces variations culturelles dans son interprétation du

langage non verbal du patient.

4.2.2 Réciprocité

L’attitude du médecin joue un rôle majeur dans la richesse d’expression du patient.

Plus le médecin est actif dans sa gestuelle, plus le patient semble l’être, et réciproquement. Il

se produit un effet de renforcement et d’écho. Tout se passe comme si le médecin, par son

langage corporel propre, renforçait l’invitation à l’expression du patient. Nous retrouvons

cette gestuelle d’encouragement dans la conduite de l’orchestre. Sans un mot, mais avec la

mise en jeu de tout son corps, le chef soutient, ralentit, accélère, libère ou apaise le jeu des

interprètes, son corps est tout entier communication.

Une étude a montré chez des enseignants que plus ils avaient recours à des gestes au cours de

leurs explications, plus les enfants avaient à leur tour recours à une gestuelle riche et

comprenaient davantage ce qui était expliqué.

Le médecin serait-il ce chef d’orchestre qui facilite l’exposé du motif par un encouragement,

certes verbal et d’intonation, mais aussi largement corporel. Dans un entretien, Stanislas

Renoult déclare à propos du chef d’orchestre : "On peut toutefois dire, schématiquement, que

nous invitons à jouer plutôt que de contraindre, nous accueillons le son plutôt que de le

façonner seul" 27. Accueillir, voilà peut-être ce qui permet au patient une narration complète

du motif de sa consultation et une meilleure caracterisation de sa douleur. Il y a, au mieux,

réciprocité expressive entre le sujet malade et son médecin.

4.2.3 Douleurs "honteuses"

Le type de plaintes pourrait avoir une influence sur la richesse de l’expression verbale.

Ainsi les patients consultant pour des douleurs "honteuses" se rapportant aux organes

génitaux, aux fesses, etc. semblent mimer moins volontiers leurs douleurs que ceux consultant

pour des problèmes de dos, de tête ou de ventre.

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De même, les patients consultant pour des douleurs morales, semblent avoir plus de retenue et

être plus figés que les patients consultant pour des douleurs physiques, suggérant, là encore,

l’influence de la honte et de la gêne que peuvent occasionner certaines douleurs. A partir de

ces observations nous pouvons voir s’exprimer la pudeur. La pudeur constitue un sujet de

recherche en soi, qui n’est pas limitée à la médecine et au soin. Ici encore les cadres et codes

sociaux franchissent les portes du cabinet médical et le médecin n’est pas exempt de ces

derniers. Dans les vidéos il est remarquable de constater la minimisation de la gestuelle

lorsqu’il s’agit d’aborder les zones corporelles de l’intimité.

4.2.4 Incertitude diagnostique

L’incertitude diagnostique est également un modulateur.

Lorsque les patients n’ont pas d’idées quant à la cause de leur douleur, ou sont dans une

errance diagnostique, ils auraient tendance à répéter leur mime plusieurs fois et à y mettre

plus de détails.

A l’inverse, lorsque les patients consultent pour une douleur dont la cause a déjà été

diagnostiquée, il semblerait qu’ils passent moins de temps à décrire leur douleur et que leur

gestuelle soit plus pauvre.

4.2.5 Douleur vécue, douleur rapportée

Les consultations ayant lieu sur rendez-vous et le délai de rendez-vous étant parfois long, il

n’est pas rare que les patients n’aient plus mal ou aient vu leurs douleurs diminuer au moment

de la consultation. J’ai remarqué que les patients semblaient plus figés lorsque la douleur était

toujours intense lors de la consultation et qu’au contraire elle avait tendance à être montrée

avec plus de vigueur lorsque le patient ne la ressentait pas au moment présent.

Ceci suggère que la douleur vécue aurait tendance à figer, alors que la douleur qui a disparu

est d’avantage mimée pour “convaincre” le médecin.

Nous retrouvons ici une des figures du paradoxe du comédien28 : il n’est pas nécessaire de

ressentir réellement les émotions pour les exprimer. L’interprétation du comédien donne

l’illusion d’un vécu qu’il n’a pas, et son jeu s’en trouve d’autant plus riche. La différence tient

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au fait que le patient a ressenti, vécu, cet épisode douloureux, il s’agit pour lui d’un mime

dans un processus de reconstruction, alors qu’il n’est question que de construction chez le

comédien.

4.2.6 Attentes quant à la prise en charge

L’attente du patient via à vis de l’attitude thérapeutique du médecin est également un facteur

modulateur.

Les patients qui ne souhaite pas s’arrêter de travailler ou qui ne veulent pas de modification

thérapeutique avaient tendance à diminuer leur activité non verbale.

A l’inverse, ceux qui trouvent leurs traitements insuffisants où qui souhaitent un arrêt de

travail ont tendance à amplifier l’expression de leurs symptômes. Minimisation ou

amplification c’est selon, mais dans l’un et l’autre cas il s’agit bien pour le patient de proposer

au médecin une lecture sur son corps du symptôme.

A propos de l’hystérie, on retrouve cette mise en scène du symptôme au travers du corps. Si

les crises hystériques décrites par Jean-Martin Charcot ou Sigmund Freud ne se rencontrent

plus guère, force est de constater que des formes plus variées et atténuées trouvent encore à

s’exprimer journellement dans les cabinets des médecins29. Il existe une théâtralisation du

signe qui accompagne la conviction du patient sur la bénignité ou la gravité de son malaise.

Ici encore la culture, la pudeur, le contexte, les enjeux sociaux ou familiaux viennent moduler

la mise en scène du corps.

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4.3 Mise en scène de la consultation et recherche d’un

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