4. Discussion
4.5 Applications possibles
4.5.1 En terme de recherche
La recherche dans le domaine de la relation médecin-patient est relativement nouvelle et il
reste beaucoup à y découvrir.
Les avancées technologiques en terme de captations d’images et de sons, permettent de mettre
en place des dispositifs de plus en plus discrets et de plus en plus précis. Des technologies
comme la "mesure de la synchronisation non verbale" ou MEA (Motion Energy Analysis)34
permettent de mesurer précisément la quantité de mouvements des patients et des médecins et
d’en étudier l’impact sur la relation thérapeutique.
Les avancées en neurobiologie et neurophysiologie permettent une compréhension de plus en
plus fine du fonctionnement cérébral et les nouvelles théories comme "l’embodiement"
révèlent le lien étroit entre pensée et mouvement, qui suggère l’importance de ce langage non
verbal dans la construction de la pensée et la perception du monde.
Ne nous méprenons pas, ce n’est pas dans la performance communicative que se niche la
réponse à la question de la qualité de la relation et de l’interaction entre deux êtres. Tout juste
peut-on en saisir son "visible".
Le discours de la science nourrit quelques inquiétudes sur le devenir de la relation de soins.
L’intelligence artificielle, les algorithmes décisionnels, la télémédecine, n’ont pas fini
d’interpeler le médecin sur son aptitude à garantir au patient le soin (care) nécessaire à son
mieux-être. Il y a urgence à investir ce champ de réflexion du "prendre soin de l’autre" pour
qu’il prenne soin de lui.
L’apport des sciences humaines est primordial pour cerner plus finement les mécanismes à
l’œuvre. Les partenariats transdisciplinaires avec des sociologues, psychologues et
ethnologues permettent d’enrichir la réflexion des médecins par l’apport d’un regard extérieur
et par l’intégration de données recueillies dans des modèles prenant en compte les
représentations sociales de la médecine et les processus psychologiques mis en jeu.
92
4.5.2 En terme d’organisation du cabinet
La plupart des cabinets de médecine générale ont une organisation relativement standard. La
configuration médecin et patient de part et d’autre d’un bureau semble être la norme35,36
Cette disposition présente plusieurs inconvénients :
• La distance entre médecin et patient est de fait "imposée" par la taille du bureau,
créant ainsi une frontière infranchissable qui ne laisse pas la place à l’adaptation fine
de la proxémique en fonction des situations. Le bureau symbolise une frontière entre
le médecin et le patient, qui peut s’avérer utile mais ne laisse pas de place à la
modularité. De plus, le bureau dissimule une partie des signaux non verbaux qu’émet
le patient. La jambe qui tressaille, les mains qui se tortillent sur les genoux, sont
masquées et privent le médecin de certaines informations bien que l’on puisse discuter
de la nécessité d’un espace "intime" pour le patient. N’est-il pas temps en effet de faire
remettre en cause les frontières traditionnelles et d’inventer de nouvelles gestions de
l’espace ?
• La place de l’ordinateur et du téléphone sont également des questions sur lesquels
nous devons nous interroger. L’écran d’ordinateur a tendance à attirer l’œil du
médecin et parfois même du patient. La captation de l’œil par la source lumineuse
détourne l’attention des interlocuteurs aux dépens de leur relation ; Il agit comme un
"tiers objet" muet perturbateur.
• Enfin, le téléphone qui sonne pendant les consultations semble avoir un impact négatif
sur l’interaction. L’interruption impromptue, à des moments parfois très sensibles des
consultations peut annihiler la construction souvent fragile d’une consultation
complexe.
35Blais J. Mondes du médecin. Scènes de la vie ordinaire dans le « cabinet-théâtre » dumédecin. coll.
Expérience Paris ; Ed. Le Généraliste ; 1996
36 Dion F. La salle de consultation : représentations, enjeux et points de vue comparés médecins-patients. Thèse.
Sudoc 20087067X, 2016
93
Bien que l’apport de l’informatique et du téléphone soit indiscutable pour moi, aussi bien en
terme de gestion de l’information que de communication, nous devons nous interroger sur la
place de ces objets dans le cabinet et sur leur temporalité d’utilisation. A une époque où la
capacité à être "multitâches" nous est vantée comme une qualité, il me paraît illusoire de
vouloir écouter ses patients tout en écrivant dans son dossier ou en étant interrompu par le
téléphone, sans altérer l’attention que nous leur portons.
4.5.3 En terme de formation
L’observation clinique fait bien évidemment partie de notre formation et nous apprenons
pendant nos études à regarder et à écouter nos patients.
Mais cette observation a pour objectif principal la recherche de signes cliniques et focalise
notre attention sur nos grilles diagnostiques et nos algorithmes de “prise en charge”.
L’appréciation globale de nos ressentis face aux patients et le décryptage des "signaux
faibles" qu’ils nous envoient, notamment par l’intermédiaire de leur langage non verbal,
semblent avoir plutôt tendance à se développer selon la sensibilité de chacun et le
développement de ce que l’on pourrait appeler "l’instinct clinique".
Expliciter ces signaux aux étudiants pour les y sensibiliser permettrait probablement un
développement plus précoce et plus ample de cet “instinct" qui vraisemblablement serait une
capacité de mise à disposition dans l’écoute. Cette posture n’est pas l’apanage du médecin
puisque tout être, lorsqu’il communique, peut satisfaire à cette exigence. Ce qui doit faire le
cœur de l’enseignement, c’est de considérer que la qualité de l’écoute est en soi un soin.
Elle participe de la considération, de la reconnaissance de la personne dans son essence même
et de sa plainte. L’écoute n’est pas un artifice de posture aimable ou une habileté
professionnelle, elle est consubstantielle au métier de médecin. Elle est l’étape indispensable à
l’amour dans le soin c’est à dire agapé (amour spirituel) au service de sa médecine37.
De façon plus pratique, prendre conscience de nos propres comportements non verbaux par
l’utilisation de caméras en consultation (réelle ou simulée) nous apporterait un retour sur nos
attitudes et nous permettrait d’avoir une conscience accrue de notre propre façon de
communiquer.
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Dans le document
THESE SORBONNE UNIVERSITÉ
(Page 87-90)