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3.2 Déterminants du choix des cultures : éléments théoriques

3.2.2 Facteurs agissant sur les stratégies de diversification

Le choix des productions cultivées est fonction de plusieurs facteurs, les facteurs clima-tiques, l’évolution du secteur de l’agro-alimentaire et les stratégies des producteurs face aux variations de prix.

3.2.2.1 Adaptation aux contraintes climatiques

L’agriculture demeure une activité économique risquée1, particulièrement dans les pays en développement. Les producteurs sont donc amenés à mettre en oeuvre des straté-gies les protégeant des risques de revenus, plus ou moins importants, récurrents ou persistants (Deaton, 1992 ; Morduch, 1994). Ces risques sont notamment liés aux chocs climatiques ou encore à l’instabilité des prix agricoles. Nous reviendrons plus loin sur les

1. Le risque est défini ici comme la probabilité de chute du revenu en dessous d’un revenu minimum qui doit couvrir les besoins essentiels, c’est-à-dire les besoins alimentaires, les frais de santé, d’éducation et autres dépenses incompressibles du ménage.

effets de la variabilité des prix sur les stratégies des agriculteurs.

Le choix des productions est en premier lieu guidé par les caractéristiques pédo-climatiques. Elles favorisent plus ou moins le développement des espèces, fonction de leur résistance, de leur productivité et de leur qualité (Field et Field, 2007). Sissoko et al. (2008) ont ainsi montré que les préférences des paysans portent sur la productivité des cultures et des variétés, leur adaptation au climat et aux types de sol. Les auteurs ont étudié la mise en place d’un programme d’introduction de nouveaux cultivars au Mali. Ce pro-gramme s’est soldé par un échec en raison de la faible performance de ces nouvelles variétés face aux attaques d’oiseaux et à la moisissure. Ainsi, les cultures résultent sou-vent de sélections anciennes connues des producteurs et conservées parce que spécifi-quement adaptées à leur environnement d’origine. La diversification -associée à d’autres pratiques telles que le fait de planter des arbres ou encore de changer les calendriers de semis- compte également parmi les stratégies de réponse aux risques climatiques (Knowler et Bradshaw, 2007 ; Bryan et al. 2009 ; Hassan et Nhemachena, 2008 ; Deressa et al. 2009). La diversification des cultures à l’échelle de l’exploitation est la stratégie la plus utilisée par les petits producteurs en Éthiopie et en Afrique du Sud dans le cas d’épisodes de sécheresse (Bryan et al. 2009). Elle permettrait ainsi aux exploitations de mieux résister à des événements climatiques ou d’origine bio-physique telle que des at-taques d’adventices (Bradshaw et al. 2004). De même, Paoletti et al. (1992) et Zentner et al. (2002) montrent que la diversification des cultures permet d’améliorer la qualité des sols et de contrôler les risques de maladies. Ils nuancent cependant cette relation en insistant sur le type de production et l’échelle à laquelle cette production a lieu, ou encore en soulignant le rôle des rotations de culture.

3.2.2.2 Orientation commerciale et évolutions du secteur agro-alimentaire

Plusieurs facteurs agiraient comme leviers dans la diversification des cultures. Le premier renvoie au fait que les agriculteurs commercialisent leur production.

Les travaux de Pingali et Rosegrant (1995) ont montré que le passage de systèmes de subsistance à des systèmes semi-commerciaux se répercute sur l’introduction de nou-velles cultures à l’échelle de l’exploitation. Par contre, plus l’ouverture commerciale s’in-tensifie, c’est-à-dire plus la part des volumes vendus augmente et celle des volumes de produits consommés diminue, et plus l’exploitation aurait tendance à se spécialiser. Par ailleurs, plus que la commercialisation stricte, l’accès à certains marchés, notamment les marchés de qualité, peut confronter le producteur à une demande pour des produits

diversifiés. En effet, la loi de Bennett (Bennet, 1936, 1941) établit une relation entre amélioration des revenus et évolutions globales dans les habitudes de consommation2. Cette relation s’explique notamment par le fait que les consommateurs plus favorisés auraient accès à d’avantage de débouchés, proposant un plus grand choix de biens et services. C’est le cas de notamment de l’offre proposée par les supermarchés (Reardon et al. 2003 ; D’haese et Van Huylenbroeck, 2005). Cependant, les petits producteurs ne sont pas toujours en capacité de répondre à une demande plus diversifiée. En effet, contrairement aux supermarchés qui parviendraient davantage à supporter les investis-sements requis par l’introduction de nouvelles cultures, des investisinvestis-sements techniques, en compétence ou encore en infrastructures, les petits producteurs ne disposent pas de ces moyens. Par ailleurs, une plus grande ouverture commerciale est susceptible d’ini-tier des coûts d’opportunité plus élevés, essentiellement dus au temps de la vente en elle-même.

En outre, la diversité de la consommation ne serait plus réservée aux ménages les plus favorisés (IFPRI, 2003). Cela tient essentiellement dans le rôle des supermarchés. En effet, par leur capacité à proposer une offre diversifiée à des coûts réduits3, rapport aux magasins et points de vente traditionnels, les supermarchés donneraient accès à un plus grand nombre de consommateurs à une production diversifiée. Les travaux de D’Haese et Van Huylenbroeck (2005) ont ainsi montré que les ménages y compris ceux moins favorisés, situés en zones rurales, fréquentent également des supermarchés. Ces différents éléments expliqueraient que les évolutions du secteur de l’agro-alimentaire s’accompagnent d’une augmentation de la diversification de la consommation à l’échelle nationale, une augmentation de la diversification à l’échelle du secteur agricole dans son ensemble mais à une baisse de la diversité culturale et variétale à l’échelle des petites exploitations.

D’autres facteurs expliquent également la difficulté des petits producteurs à faire face à une demande plus diversifiée. Dans les pays en développement, les consomma-teurs ayant les revenus les plus élevés se trouvent dans les villes. Les villes s’approvi-sionnent essentiellement dans un rayon de 10 à 30 kilomètres, donnant lieu au

déve-2. La loi de Bennett décrit la relation entre changement dans les différents aliments caloriques de base et croissance du revenu. Ainsi, avec une amélioration de la situation économique du ménage, la composante calorique de base est partiellement remplacée par d’autres vivres caloriques, conduisant à une baisse de la part relative des vivres caloriques dans le budget total. Les vivres caloriques de base sont remplacés par des vivres à haute teneur en protéines, comme par exemple la viande et le poisson. Il existe aussi une diversification des fruits et légumes (Goossens, 1997)

3. En effet, les supermarchés bénéficient d’importantes économies d’échelles liées à la performance de leur organisation (Reardon et al. 2003).

loppement d’une agriculture urbaine. L’agriculture urbaine peut être définie comme une “agriculture localisée dans la ville et à sa périphérie, dont les produits sont destinés à la ville et pour laquelle il existe une alternative entre usage agricole et urbain non agricole des ressources” (Moustier, 2012). Si la proximité physique avec la ville peut encourager le développement de cultures périssables en levant la contrainte des trans-ports, les producteurs font également face à des contraintes spécifiques qui peuvent se reporter sur leur décision de diversification. Ainsi, Moustier (2012) a montré que le choix des cultures dépend de celles qui rapportent la rente foncière maximale. Enfin, la demande pour les fruits et légumes serait particulièrement instable, les consommateurs déplaçant leurs préférences entre différentes catégories de produits en fonction de leurs expériences (Brousseau et Codron, 1998). Cette caractéristique renforcerait les difficul-tés d’ajustement de l’offre pour les petits producteurs.

En résumé, l’augmentation des revenus se traduit par une demande plus diversifiée. Si elle bénéficie pour beaucoup aux supermarchés, le passage d’une production de sub-sistance à une production commerciale est aussi synonyme de diversification à l’échelle de la petite production. Nous discutons à présent des atouts économiques de la diversi-fication.

3.2.2.3 Variation des prix et aversion aux risques

Dans les pays en développement, les petits producteurs sont particulièrement exposés aux risques de fluctuations des prix. Ces variations s’expliquent par les conditions clima-tiques mais aussi par des mécanismes de marché à considérer en économie fermée mais aussi en économie ouverte (Araujo, 1997).

Dans une économie fermée, les prix augmentent lorsque l’offre diminue, suivant la loi de King. Le manque de capacités d’investissement ne permet pas aux petits produc-teurs de stocker leurs produits ou de les transformer, et ainsi de les écouler aux moments les plus favorables. Ces problèmes sont naturellement accentués dans le cas de produits périssables. Les producteurs font également face à des contraintes d’acheminement, du fait de leur manque de moyens, de leur possible éloignement des marchés, renforcé par la faiblesse des infrastructures routières. La variabilité des prix s’explique par des rende-ments plus instables. Or, les renderende-ments sont non seulement liés aux cultivars mais aussi aux dotations en capital fixe et humain des ménages, à leur insertion dans des organi-sations professionnelles, aux possibilités de transport (De Janvry et al. 1995 ; Barrett et al., 2001). Ce sont évidemment des ressources dont les ménages les plus pauvres sont

faiblement dotés.

Par ailleurs, le contexte économique local doit être analysé en tenant compte de fac-teurs macro-économiques. En économie ouverte, étant donné la corrélation imparfaite entre l’évolution des productions des différents pays, il est possible que les variations de prix ne pas couvrent pas les variations de l’offre de chaque pays, et se traduise au contraire par une augmentation du risque de revenu des producteurs (Araujo Bonjean, 1992). Ce risque est renforcé pour un petit pays preneur de prix sur le marché inter-national. Notons enfin que les évolutions du secteur de l’agro-alimentaire mentionnées plus haut peuvent également se traduire par une concurrence renforcée pour les petits producteurs4.

Face à ces différents risques, les producteurs développent des stratégies. La diver-sification des cultures compte parmi les stratégies de réduction de l’exposition des pro-ducteurs aux risques de prix et de variation des rendements (De Janvry et al. 1995 ; Barrett et al. 2001 ; Delgado et Siamwalla, 1999). La relation entre diversification des cultures et baisse de l’exposition à la fluctuation des prix ne se vérifie que s’il existe des différences de prix suffisamment fortes d’une culture à l’autre5.

Cependant, les travaux de Morduch (1990, 1994) et de Dercon (1996, 2002) montrent que les fluctuations de prix peuvent conforter le choix de stratégies de stabilisation des revenus et de la consommation. Parmi ces stratégies, les cultures dites “traditionnelles” seraient privilégiées par les ménages les plus pauvres, malgré leur moindre profitabilité. Les cultures traditionnelles sont en effet moins risquées puisqu’elles ne sont soumises qu’à un risque de production. A contrario, les cultures de rente sont non seulement sou-mises à l’instabilité des prix de vente de ces cultures, mais leur développement implique également l’achat de la culture traditionnelle qu’elle aura remplacée, achat qui repose la question de l’instabilité des prix. A cela s’ajoute le fait que l’introduction de nouvelles cultures sous l’effet de la demande se traduise par des choix culturaux souvent exogènes et potentiellement peu adaptés aux caractéristiques des zones où ils sont implantés (Key et al. 1999). Du fait de l’instabilité des rendements, Barrett et al. (2001) contestent l’idée que la diversification puisse être mobilisée comme une stratégie de gestion des risques. Ils mettent davantage en lumière le rôle des économies de gamme et des conditions

4. Reardon et al. (2003) montrent qu’en volumes vendus, 1700 supermarchés sud-africains équivalent à 350 000 petites échoppes ou vendeurs de bord de route

5. Il y a donc bien dans la diversification une dimension plus qualitative, qui ne porte pas uniquement sur le nombre de cultures mais aussi sur le type de cultures.

agronomiques des sols dans la décision des producteurs. Enfin, il convient de préciser que les contraintes économiques mentionnées plus haut ainsi que l’aversion au risque du producteur peuvent agir différemment sur les choix de diversification selon les individus.

Proposition

La littérature souligne le rôle de la diversification dans la réduction de l’exposition des agriculteurs aux aléas climatiques, et à la variation des prix. Cependant, un ensemble de facteurs (l’aversion aux risques, la faible dotation économique et différents des mé-canismes de marché) semblent contraindre ce choix. Il nous semblait donc judicieux de vérifier cette hypothèse en nous intéressant aux décisions des producteurs biologiques kenyans. La plupart des travaux cités ci-dessus ont porté sur le passage d’une agricul-ture de subsistance à une agriculagricul-ture commercialisée. Seuls des producteurs qui ont en commun de commercialiser plus de la moitié de leur production sont pris en compte dans ce chapitre, afin de focaliser les analyses sur la nature de ces marchés. Les marchés biologiques kenyans favorisent-ils ou au contraire contraignent-ils la diversification de la production ? A présent, il nous faut expliquer en quoi le terrain kenyan est pertinent pour répondre à notre question de recherche.