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La fin de la certification privée locale et la phase de transition vers d’autres modes de vérification repose la question des modes de coordination des transactions. Notre ana-lyse nous a amené à décrire le rôle de l’incertitude et de la spécificité des actifs dans l’organisation des transactions. L’incertitude porte à la fois sur les pratiques des agricul-teurs et se traduit en termes d’aléa moral et de risque de sélection adverse, et sur les caractéristiques des produits périssables, leur variabilité étant accentuée par le contexte pédo-climatique.

Tout d’abord, notre analyse a permis de décrire deux grandes modes d’organisation : la vente directe sur des marchés de producteurs, qui correspond aux transactions les plus répandues à Nairobi, et la vente par un magasin lui-même producteur. Notre pre-mier résultat a montré que dans les deux cas, la vente combine à la fois une intégration verticale et d’autres modes de coordination. Dans le cas des débouchés de plein vent il s’agit de modes de coordination horizontaux basés sur un pilotage interne ou entrepris par une organisation externe. Dans le cas du magasin, il adjoint à sa propre production celle d’agriculteurs indépendants avec lesquels il établit des contrats implicites. Com-ment expliquer cette combinaison ? Nous en venons à présenter nos autres résultats.

Parmi les déterminants de ces modes d’organisation, notre second résultat porte sur le rôle de l’environnement institutionnel et économique. Tout d’abord, l’environnement institutionnel, caractérisé par l’absence de reconnaissance officielle de l’agriculture bio-logique, contraint les producteurs et les acteurs de marché à s’appuyer sur des systèmes de certification privés. Afin de tenir compte des contraintes économiques des produc-teurs, ces certifications sont privées mais aussi collectives. Or, elles obligent à une vente elle aussi collective, expliquant ainsi très directement l’apparition des premiers débou-chés de plein vent. Aussi, on observe une combinaison entre facteurs institutionnels et économiques dans la forme d’organisation de ces débouchés. L’environnement écono-mique explique également le fonctionnement du magasin spécialisé. En effet, la petite taille d’un secteur domestique émergent ne permet pas au débouché de réaliser les bé-néfices lui permettant de procéder à une intégration verticale totale. Il combine donc intégration verticale et forme hybride en s’approvisionnant auprès d’un nombre réduit de producteurs.

Notre troisième résultat montre que les formes d’organisation s’expliquent également pas la prise en compte de l’incertitude liée aux comportements des agriculteurs. On l’a vu à propos des débouchés de plein vent. En effet, la certification groupée ne permet pas uniquement de réduire les coûts supportés par les producteurs. En obligeant à une vente directe, elle considère réduire l’incertitude renforcée dans le cas d’une succession de transactions. En outre, afin de tenir compte des risques d’incertitude liés à la fin de la certification groupée, et pour préserver la valeur créée par leurs organisations collec-tives initiales, les producteurs développent des structures de pilotage des marchés de producteurs. Elles sont chargées de réguler l’accès à ces débouchés et ainsi de prévenir les risques de sélection adverse. L’incertitude explique aussi les contrats implicites entre le magasin et les producteurs indépendants. En effet, ils impliquent des mécanismes de surveillance des exploitations de ces derniers. La forme de ces contrats permet donc de prendre en compte les risques d’aléas moraux. L’approvisionnement auprès d’un bassin restreint de producteur répond quant à lui au risque de sélection adverse.

Comme notre troisième résultat, le quatrième confirme les prédictions de la théorie économique. En effet, dans les deux modes de coordination, les producteurs font des choix permettant de tenir compte de la périssabilité des produits. Cela passe par l’or-ganisation de marchés de producteurs sur la base de calendrier fixe, ou encore par le

développement de paniers par le magasin. Cette offre, elle-même organisée sur la base d’un calendrier, favorise la coordination de l’offre et de la demande. Enfin, dans ces deux cas, les choix faits par les producteurs ou encore par le magasin tiennent aussi compte des coûts de transaction supportés par les consommateurs en réduisant les coûts de re-cherche.

Nous avons montré sous quelles conditions les producteurs pouvaient vendre sur ces débouchés. Des données statistiques révèlent que tous ne privilégient pas pour autant ces débouchés pourtant a priori plus rémunérateurs. Pourquoi ? Le chapitre suivant pose la question du rôle des coûts de transaction dans les difficultés d’accès aux débouchés biologiques.

Déterminants de l’accès aux marchés biologiques au Kenya : le

rôle des coûts de transaction

Résumé

Au Kenya, comme dans un nombre croissant de pays en développement, des filières biologiques domestiques ont émergé. Elles représentent des opportunités économiques nouvelles pour les producteurs convertis à l’agriculture biologique. Initialement, l’accès à ces marchés a été conditionné au fait d’être certifié. La certification ayant progressi-vement été abandonnée, des procédures de contrôles moins onéreuses ont été mises en place, permettant aux producteurs de continuer à vendre sur ces marchés sans que cela n’initie de trop grands risques d’asymétrie d’information pour les consommateurs. Or, malgré ces différentes démarches, une partie des producteurs qui pourraient pourtant vendre sur ces marchés spécialisés, continue de vendre en priorité des produits biolo-giques sur des marchés conventionnels. Ce constat nous amène à nous interroger sur les obstacles à l’accès aux marchés biologiques domestiques. Nous posons la question du rôle de possibles coûts de transaction. A partir d’un modèle logit appliqué à 101 produc-teurs kenyans, nous mettons en lumière le rôle de coûts de négociation et de suivi.

2.1 Introduction

Le développement de l’agriculture biologique en Afrique subsaharienne ne concerne plus uniquement l’exportation. Face aux difficultés d’accès aux marchés européens et en ré-ponse à une demande locale croissante, des marchés biologiques locaux se sont progres-sivement organisés, notamment en Afrique de l’Ouest et en Afrique de l’Est ou encore en Afrique du Sud (Parrot et Marsden, 2002 ; IFOAM, 2007). La création de débouchés biologiques permet aux producteurs certifiés d’accéder à des prix de vente supérieurs et participe de la diversification de leurs sources de revenus. Pourtant, dans les pays en développement, une majorité de producteurs biologiques ne parvient pas à accéder à ces marchés (Taylor, 2006).

Quels sont les déterminants de l’accès aux marchés biologiques locaux dans les pays en développement ? Pour répondre à cette question, la situation des marchés biologiques kenyans est particulièrement adaptée. Les efforts de la société civile kenyane ont abouti à la création de plusieurs marchés biologiques à Nairobi et à Thika. En effet, ils ont en-couragé et accompagné la création de systèmes de certifications et de contrôles locaux. Seuls les producteurs certifiés, puis inscrits dans d’autres dispositifs de contrôle ont pu accéder à ces marchés. Ils ont donc consenti des efforts financiers, des formations sup-plémentaires et de nouvelles formes d’organisation puisque l’essentiel des certifications étaient réservées à des producteurs réunis en groupements. En contrepartie, ces mar-chés donneraient accès à des prix de vente supérieurs allant de 30 à 600% selon les produits et les débouchés (KOAN, 2009 ; UNEP, 2010), participant de la diversification des sources de revenus des petits producteurs. Or, l’enquête montre que seuls 18% des producteurs kenyans ayant réalisé ces démarches de certification, puis de contrôle, valo-risent toute leur production sur ces marchés. Un tiers d’entre eux privilégient même des marchés conventionnels.

Dans le cas d’un marché de petite taille et d’un contexte institutionnel local peu fa-vorable, les coûts de transaction peuvent s’avérer d’importants obstacles à l’accès aux débouchés biologiques. Nous mobilisons, comme de nombreux travaux en économie du développement, le concept de coûts de transaction et interrogeons plus spécifiquement le rôle des coûts d’accès à l’information, les coûts de négociation et de suivi des transac-tions. Pour identifier ces coûts et leurs effets, nous avons réalisé une enquête auprès de 101 producteurs approvisionnant les marchés biologiques de Nairobi et de Thika.

Nous présentons tout d’abord le cadre théorique que nous allons mobiliser. Nous re-venons ensuite sur l’organisation des marchés biologiques domestiques. Une troisième section est consacrée à la présentation de l’enquête. La quatrième section décrit le mo-dèle empirique, les hypothèses ainsi que le choix des variables. Puis, nous présentons successivement les résultats de l’analyse statistique et économétrique. Nous discutons enfin ces différents résultats.