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Éloignons-nous du concept de dispositif en tant qu’objet de pouvoir pour nous intéresser à l’échelle des formes. Comment les dispositifs comme Facebook développent des formes qui vont venir organiser le rapport des utilisateurs à l’information et configurer la consommation de contenus ? Yves Jeanneret explique que l’ingénierie techno-sémiotique des architextes (logiciels de messagerie, écrans d’icônes…) en tant que panoplies en évolution croissante « ont conduit à la situation actuelle, un feuilletage de dispositifs astucieux pour faire de la standardisation des formes un outil au service de la prolifération des subjectivités203 ». Ce qu’il

signifie ici c’est que les architextes des dispositifs — cadre techno sémiotique d’un dispositif — ont évolué et proposent plus de possibilités en puissance pour exprimer davantage d’éléments qu’auparavant. Prenons l’exemple des messageries instantanées, elles sont un dispositif d’expression qui apporte en termes de communication, un cadre qui n’existait pas auparavant. Ainsi, cette évolution participe de la prolifération des subjectivités alors qu’en parallèle, on tend vers une standardisation des formes sur les écrits d’écran. Sur l’importance de l’énonciation éditoriale et donc des formes dans les écrits d’écran, Emmanuël Souchier écrit : « Il n’est pas de texte qui, pour advenir aux yeux du lecteur, puisse se départir de sa livrée graphique. C’est une vieille histoire que celle qu’entretiennent le texte et « l’image du texte »204 ». Ce qu’il souligne ici c’est l’articulation cruciale entre un texte et « l’image du

texte » c’est à dire le cadre qui donne à voir le texte. Emmanuël Souchier parle également d’architexte pour désigner le cadre dans lequel le texte peut advenir. Par exemple sur Facebook, pour écrire du contenu depuis le fil d’actualité il y a seulement deux possibilités, soit on écrit dans le cadre qui se situe tout en haut de la page, celui où Facebook écrit : « Exprimez-vous David205 » soit on peut commenter les publications qui se suivent dans le fil d’actualité. On ne

peut pas écrire à d’autres endroits, l’espace d’inscription de l’écriture est cadrée par un architexte. On peut citer d’autres exemples qui témoignent de l’existence de ce cadre technique dans lequel on peut s’exprimer sur Facebook comme l’absence de choix de police d’écriture, l’impossibilité de taguer des amis dans un groupe où ils ne sont pas, l’impossibilité de partager

203 Yves Jeanneret, Critique de la trivialité, Éditions Non-Standard, 2014, p. 622

204 Emmanuël Souchier, L'image du texte pour une théorie de l'énonciation éditoriale, Les cahiers de médiologie

1998/2 (N° 6), p. 138

des fichiers en commentaire. Prendre conscience de l’existence de cet architexte permet de penser Facebook comme un espace où la circulation de l’information est cadrée.

Cette circulation s’organise notamment avec le concours de petites formes qu’Yves Jeanneret définit comme une « forme médiatique condensée et stéréotypée (méta-forme) qui est mobilisée, automatisée et disséminée dans tous types de contexte pour supporter des gestes culturels et quotidiens typiques206 ». On parle donc de formes qu’on retrouve systématiquement

et qui permettent d’inscrire des gestes, des pratiques dans le quotidien. Sur Facebook, on peut citer comme petites formes, le bouton like, le bouton partage, la notification. Toutes ces petites formes sont standardisées, on les retrouve sur chaque page ou sur chaque publication que ce soit depuis un ordinateur ou depuis la version mobile. Ces formes font partie de ce qui encadre la circulation de tout contenu sur Facebook.

Yves Jeanneret expliquait que l’évolution de l’architexte offre un nombre croissant de possibilités aux utilisateurs lorsqu’ils veulent s’exprimer. Or le rôle des petites formes dans le mode d’expression sur Facebook mérite d’être interrogé. En effet, est-ce que ces petites formes présentes sur tous les contenus n’ont pas tendance à uniformiser les contenus qui circulent sur la plateforme ? Quand on circule sur le fil d’actualité de Facebook on remarque sur la forme de nombreuses similitudes dans les publications, toutes ou presque comportent une photo, le texte est rarement long. À partir d’un certain nombre de caractères, Facebook oblige l’utilisateur à cliquer sur un lien « afficher la suite » ce qui perturbe la lecture mais qui permet à des publications de ne pas prendre une place trop importante lorsqu’elles s’affichent dans le fil d’actualité. En effet, le fil d’actualité est construit de façon à ce que les contenus s’enchainent rapidement. Sur ordinateur on a toujours plusieurs contenus, au moins partiellement visibles à l’écran en simultané. Sur mobile, il arrive qu’un contenu prenne l’ensemble de la place disponible sur l’écran mais le déplacement dans le fil d’actualité s’effectuant sur le mode du

scroll, l’utilisateur a tendance à ne pas afficher la publication en plein écran et il déborde

souvent sur la suivante ou la précédente. Ce mode d’affichage est structurant dans la circulation des contenus sur Facebook, on a que très rarement une seule publication sous les yeux. Un même contenu vu sur le site d’un éditeur de contenu et vu sur Facebook ne sera pas reçu de la même façon du fait de sa circulation d’un support à l’autre. Pour autant, on ne peut pas dire que l’uniformisation des contenus repose sur les petites formes présentes sur Facebook. Si le like et le partage par exemple, sont structurants sur Facebook et au-delà, ils ne sont qu’une émanation

du fonctionnement de l’entreprise. Ces formes existent parce qu’il est dans l’intérêt de la plateforme que les utilisateurs les utilisent.

B) De l’information au savoir, du savoir au pouvoir

Nous allons chercher à établir le lien entre les contenus qui circulent sur Facebook et le savoir. Ce déplacement nous permettra de nous intéresser aux relations de pouvoir qui sont à l’œuvre sur le réseau dans la mesure où dès qu’il y a circulation de savoirs, des enjeux de pouvoir sont à l’œuvre. De plus, l’opacité du fonctionnement de Facebook est au cœur des enjeux de pouvoir.