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4-! Facebook et les journalistes : une continuité dans la carrière, au-delà de l’employeur

Les journalistes sont les principaux producteurs de contenus pour les médias traditionnels et donc de facto ils sont les producteurs des contenus qui circulent sur Facebook. Nous allons nous intéresser au rapport qu’entretiennent les journalistes à Facebook pour voir comment ils considèrent la plateforme. Est-ce seulement un moyen d’accroître la visibilité de leurs contenus ? Est-ce un moyen d’exister au-delà de leur employeur ? Est-ce une façon d’utiliser Facebook comme média ? Pour y répondre, nous allons nous appuyer sur le livre de Valérie Jeanne-Perrier : Les journalistes face aux réseaux sociaux140. Elle y explique le rapport

particulier qu’entretiennent les journalistes avec les réseaux sociaux. Son approche ne distingue pas toujours les différents réseaux sociaux et on tâchera donc de se focaliser sur les pratiques qui ont effectivement lieu sur Facebook. Valérie Jeanne-Perrier commence par rappeler que c’est souvent une démarche individuelle où le journaliste crée sa propre page Facebook par exemple. Il y a d’ailleurs deux pratiques possibles sur Facebook, soit on conserve un compte personnel mais où on poste des choses professionnelles et où on accepte toutes les demandes. C’est le cas par exemple de Clara Schmelck dont le compte est annoncé comme complet141, en

effet, Facebook fixe à 5000 la limite du nombre d’amis pour un compte personnel. C’est le cas également de Frédéric Martel142 dont le compte indique qu’il « ne peut plus prendre de

nouveaux abonnés143 » encore une fois, la limite de 5000 amis est atteinte. Il a donc créé une

140 Valérie Jeanne-Perrier, Les journalistes face aux réseaux sociaux, MKF, 2018 141 Compte visible en ligne : https://www.facebook.com/clara.schmelck

142 Compte visible en ligne : https://www.facebook.com/frederic.martel.948?ref=br_rs 143 Op. Cit.

page144 qui permet aux utilisateurs de s’y abonner sans limite de nombre. De plus, le compte

complet, renvoie les utilisateurs vers cette page qui peut, elle, accueillir de nouveau abonnés. Valérie Jeanne-Perrier distingue deux cas de figure, d’une part les journalistes précaires, à la trajectoire incertaine et les journalistes plus stables. Les premiers ont des profils sur les réseaux sociaux qui « leur permettent de maintenir un continuum minimum de trajectoire professionnelle, dans un contexte du marché du travail toujours incertain145 ». Dans le second

cas de figure, « les profils servent de point d’ancrage pour valoriser leurs articles et reportages réalisés pour un média146 ». L’ensemble des journalistes étant soit dans un cas, soit dans l’autre,

Valérie Jeanne-Perrier remarque que la plupart sont présents sur un ou plusieurs réseaux. Faisant l’archéologie des pratiques des journalistes sur les réseaux sociaux, elle remarque que « les profils des journalistes sur les réseaux sociaux entrent dans une norme professionnelle forte de prolongement du média ou des médias pour lesquels chacun travail147 ». On a donc

assisté à une normalisation croissante de l’activité des journalistes sur les réseaux sociaux. D’abord tous ou presque s’y sont mis et ensuite ils en ont intégré les pratiques à savoir quatre essentielles et convergentes : « faire de la veille informationnelle thématique, échanger des contacts, relayer des contenus et se faire connaître148 ». Ce qui est également enjeu c’est le

passage d’outil personnel et individuel à « levier de la stratégie de mise en visibilité d’un collectif, via l’un de ses représentants, c’est à dire d’une rédaction via l’un des journalistes149 ».

Le comportement des journalistes — entendu dans leur individualité — sur les réseaux sociaux participe donc de la stratégie globale de mise en visibilité de leur rédaction et également de leur employeur à savoir le média. Une réaction s’est donc opérée chez les sites d’information qui « ont incorporé les plateformes comme outils structurant les informations et les pratiques de leurs journalistes, pour tenter de gagner de nouveaux usagers et donc de nouvelles sources de revenus […] les réseaux sociaux ont été perçus comme des leviers d’innovation technique pour trouver à nouveau des équilibres budgétaires grâce à la mise en visibilité de leurs médias150 ».

Sauf que cela ne s’est pas structuré comme prévu par les médias qui sont en quelque sorte tombé dans le piège de la plateforme. Au sens où ils ont vraiment pensé que le discours de Facebook sur le fait qu’ils ne sont qu’un espace où circulent des contenus était vrai. Or ce qui s’est passé c’est que « les plateformes ont pris l’avantage sur les médias traditionnels, les rendant

144 Page Facebook « Frédéric Martel », disponible en ligne : https://www.facebook.com/martel.frederic/ 145 Op. Cit. p. 88 146 Op. Cit. p. 89 147 Op. Cit. p. 95 148 Op. Cit. p. 89 149 Op. Cit. p. 96 150 Op. Cit. p. 100

dépendants de leur savoir-faire et de leurs technologies, en tant qu’entreprise partenaire, en matière de collectes d’usages et de maintien d’un contact permanent et précis avec les logiques émergentes de connexion et de consommation de produits culturels numériques des usagers.151 » Plusieurs points sont intéressants dans cette citation. Les médias traditionnels sont

devenus dépendants du savoir-faire des plateformes, à savoir, leur capacité à cibler précisément des utilisateurs et à recueillir des données d’une part sur les usages des utilisateurs en termes de lecture, de consommation de contenus et d’autre part sur leur capacité à identifier le profil de ces utilisateurs. De sorte que Facebook a rapidement mieux connu le public et le public potentiel de chaque média que les médias eux-mêmes. Tout cela grâce à une collecte et un traitement efficace d’un grand nombre de données recueillies sur la plateforme. Second point, les médias ont cru que leur intérêt économique, à savoir, accroitre l’activité des utilisateurs sur leurs site allait dans le même sens que l’intérêt économique de Facebook. Or ce qu’ils n’ont pas saisi c’est le fait qu’économiquement, Facebook a tout intérêt à conserver un maximum les utilisateurs sur sa plateforme afin qu’ils consomment davantage de contenus et laissent un maximum de données. Un des exemples de cette stratégie consistant à conserver les utilisateurs sur Facebook ce sont les Instant Articles qui sont un moyen de faire accéder l’utilisateur à du contenu qui n’est pas édité par Facebook sans pour autant quitter la plateforme. Dernier point, Facebook comptant plus de 2 milliards d’utilisateurs dans le monde, 35 millions en France, les médias se retrouvent obligés d’être présents sur la plateforme s’ils veulent exister. D’une part pour profiter des outils et technologies de Facebook afin de mieux connaître son audience, d’autre part pour renforcer la marque média et la rendre présente là où les utilisateurs et le public potentiel se trouve. Face aux médias traditionnels, Facebook continue d’évoluer et de s’améliorer comme l’explique Valérie Jeanne-Perrier : « les plateformes recrutent d’anciens journalistes pour mieux se conformer aux attentes de la profession en matière de structuration de l’information152 ». Cette information témoigne de l’importance accordée par Facebook au

développement de sa plateforme pour l’information. Elle recrute des professionnels de l’information pour être au fait des requêtes des acteurs du secteur. L’inverse fonctionne également, Giuseppe de Martino, le co-fondateur de Loopsider nous expliquait « on a de bonnes relations avec Facebook, les parisiens, on les connaît depuis toujours […] Ils nous ont demandé de ne pas hésiter si on avait des questions notamment sur l’achat de trafic. La relation est très bonne et ils sont ravis153 ». Cet exemple témoigne du fait que Facebook suit presque au cas par

151 Op. Cit. p. 100 152 Op. Cit. p. 103

cas le développement de nouveaux médias. Ça leur permet de s’assurer qu’ils maitrisent bien l’ensemble des outils proposés par Facebook et qu’ils sont actifs sur la plateforme. Enfin, Valérie Jeanne-Perrier écrit elle-même que « les publics, argument principal de la présence des médias et des politiques sur les plateformes devenues à leur tour des entreprises médiatiques154 ». On a déjà discuté de la première partie de la phrase, la raison pour laquelle

les médias sont sur les réseaux sociaux. En revanche ce qu’on remarque ici c’est que Valérie Jeanne-Perrier considère elle aussi que les réseaux sociaux sont devenus des entreprises médiatiques. Ce qui corrobore notre hypothèse sur le fait que Facebook soit une industrie médiatique mais il nous reste à montrer que l’entreprise vise la qualité des contenus qui circulent sur la plateforme. L’aspect qualitatif est indissociable du fonctionnement d’une industrie médiatique.

C) Facebook à la recherche de la qualité et de la confiance

L’étude du rapport qu’entretien Facebook à ses utilisateurs et aux contenus qui circulent sur le site nous amène à le comparer avec les industries médiatiques traditionnelles. On verra qu’une des principales différences se situe sur le plan juridique où Facebook est hébergeur de contenus quand les autres sont éditeurs de contenus. Pour autant, au-delà de cette définition juridique on remarque de nombreuses similitudes.