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Partie III Détermination de critères d’identification des procédés d’opacification

Chapitre 10 Les verres opacifiés par ajout de « corpo » dans un verre translucide : les verres contemporains

II. NOTRE ETUDE DES VERRES OPAQUES DE LA FABRIQUE ORSONI

II.1 Le « corpo » de la fabrique Orsoni

La composition chimique du « corpo » de la fabrique Orsoni est celle d’un sodo-silicate riche avec une forte teneur en plomb (~ 20 %pds), compatible avec les compositions du deuxième type de recettes du 20ème s. (Tableau 36). La teneur globale en Sb2O3 est également élevée (~ 10 %pds) et représente presque le double de la teneur en CaO (~ 5 %pds).

Ainsi, même s’il existe une recette de base de « corpo » qui s’est transmise de générations en générations et s’est perpétuée dans l’industrie verrière vénitienne et de Murano, ces analyses montrent bien qu’il existe toujours des variations dans les proportions des ingrédients introduits dues à des ajustements empiriques faits par chaque verrier en fonction de la disponibilité des matières premières ou d’un effet recherché.

Tableau 36 Comparaison entre les compositions chimiques de « corpi » calculées à partir de recettes du 19ème et 20ème s, celles de « corpi » industriels actuels obtenues par Moretti et Hreglich (2005).

Recettes du 20ème s. « Corpi » industriels actuels « Alabastro in

solfuro » Autres « corpo »

« Corpo » industriel 1 « Corpo » industriel 2 Na2O 19,6 9,5 ± 0,8 17 16,1 Al2O3 0,2 0,2 ± 0,0 1 0,8 SiO2 48,7 46,9 ± 0,7 47,3 44,2 CaO 9,3 8,6 ± 1,0 9,4 6,3 Sb2O3 12,9 13,2 ± 1,1 12,8 14,4 PbO 9,4 21,6 ± 0,9 12,4 14,4

La microstructure du « corpo » de la fabrique Orsoni est caractérisée par une densité élevée de cristaux, l’intérêt de fabriquer ce verre étant d’obtenir un verre riche en opacifiants. Le taux de cristallisation est évalué à 12,6% par traitement d’images.

Les cristaux ont des formes géométriques polygonales bien définies, sont isolés ou forment de petits agrégats n’excédant pas 10µm de long (Figure 93a). Comme on pouvait s’y attendre, ces observations sont comparables à celles faites dans les verres opacifiés par cristallisation in situ (chapitre 9).

Cependant, on remarque quelques différences entre la microstructure du « corpo » de la fabrique Orsoni et les verres vus précédemment (chapitre 9):

- la répartition de cristaux est plus homogène, - les bulles sont absentes,

- les agrégats de cristaux sont plus petits,

- et quelques rares zones de verre sont très denses en cristaux de très petite taille (0,2 et 0,5µm) (Figure 93b). Celles-ci peuvent être dues à des inhomogénéités dans le bain de verre (concentration plus élevée en antimoine, variation locale de température…).

Ces différences avec les verres expérimentaux opacifiés par cristallisation in situ peuvent être liées à une meilleure homogénéisation du « corpo » par brassage mécanique fait avec les moyens industriels actuels, et à la teneur élevée en plomb qui fluidifie le verre.

a) microstructure du « corpo »

b) rares zones denses de cristaux

Figure 93 Images MEB-BSE de la microstructure du « corpo » mettant en évidence une distribution homogène de cristaux géométriques d’antimoniates de calcium dans la matrice vitreuse et d’une zone très dense en petits cristaux d’antimoniates de calcium. La photo de droite est un zoom pris dans la zone dense.

Cependant, nous avons vu qu’après des traitements thermiques de 13 jours, les taux de cristallisation des verres opacifiés par cristallisation in situ sont inférieurs à celui obtenu dans le « corpo », quelle que soit la source d’antimoine utilisée (au mieux ~7,5% dans le verre synthétisé à partir de Sb2O4, chap. 9-V). Sachant que le « corpo » n’a pas subi de traitement thermique d’aussi longue durée, on peut supposer que la présence de plomb dans le milieu et favorise la formation de Ca2Sb2O7.

En effet, les cristaux d’antimoniate de calcium présents dans le « corpo » Orsoni contiennent du plomb en quantité non négligeable (~ 8,9 %pds) (Tableau 38) et provenant probablement de la matrice vitreuse. Ce fait a été attesté par plusieurs moyens :

1) Les analyses EDX et EMPA ont été faites sur des cristaux de relativement grande taille (~20µm2 > aires de radiation du faisceau d’électrons de mesures EDX et EPMA) (Tableau 38),

2) la moyenne des concentrations de PbO dans les cristaux est très stable pour un grand nombre d’analyses (Tableau 38),

3) l’affinement Rietveld du diffractogramme du « corpo » est en accord avec l’incorporation de plomb en substitution du calcium dans la structure des cristaux de Ca2Sb2O7. En effet, les paramètres de maille calculés par affinement Rietveld sont plus grands que ceux des cristaux Ca2Sb2O7 purs (a = 7,3000 ± 0,0001 Å b = 10,2200 ± 0,0001 Å, c = 7, 4800 ± 0,0001 Å) (chap.7-I), ce qui va dans le sens de l’incorporation d’ions divalents de plus grande taille que Ca2+, comme Pb2+ par exemple (chap.7-I). De plus, l’antimoniate de plomb Pb2Sb2O7 ayant une structure cristallographique très proche de celle de Ca2Sb2O7 (chap.7-I), il est possible que la substitution du calcium par le plomb dans les cristaux du « corpo » puisse stabiliser cette structure.

Par ailleurs, il est intéressant de noter qu’aucun cristal d’antimoniate de plomb ne s’est formé malgré la grande quantité de PbO du verre (~ 20,3 %pds). Ainsi, soit la phase Ca2Sb2O7 est plus stable thermodynamiquement que l’antimoniate de plomb Pb2Sb2O7, soit la cinétique de cristallisation de Ca2Sb2O7 est beaucoup plus rapide.

Afin de vérifier si les cristaux Ca2Sb2O7 sont stables à plus haute température, nous avons chauffé des petites quantités de « corpo » (entre 1 et 9mm3) pendant 2 heures dans un creuset en platine à l’air, à 800, 900, 1000, 1100 et 1200°C. Au-dessus de 1200°C, une série de chauffage de plus courte de durée (~10 min) a été faite tous les 25°C, sur des petits morceaux de « corpo » jusqu’à 1300°C.

Ces essais en laboratoire montrent que la microstructure et la nature des cristaux ne varient pas jusqu’à environ 1250°C. Au-dessus de cette température, les cristaux Ca2Sb2O7 commencent à se dissoudre et le verre devient totalement translucide vers 1275°C. Cette température de dissolution, bien qu’un peu plus élevée, est située dans la même gamme que la température de dissolution des cristaux CaSb2O6 (chap.9-III.3).

Figure 94 Diffractogramme du « corpo » en rouge. En noir apparaît le diffractogramme simulé par affinement Rietveld. En bleu sont marquées les positions des raies de diffraction de la phase Ca2Sb2O7

La mesure du degré d’oxydation de l’antimoine dans la matrice vitreuse met en évidence la présence à la fois de SbIII et de SbV (Figure 95), ce qui est conforme au fait que ce verre a été obtenu par cristallisation in situ (chapitre 9-V). Cependant, le « corpo » ayant été chauffé à environ 1250°C pendant ~ 30 minutes pour homogénéiser la fusion (partie 1, chap.3-III.3), on s’attendait à ce que la proportion de SbV dans la matrice vitreuse soit légèrement plus faible (chap.9-III.3) (SbIII/SbV = 0,29 ± 0,16). La présence de plomb en quantité importante dans ce verre pourrait être à l’origine de cette observation.

SbV SbIII SbV SbIII SbV SbIII

Après avoir déterminé les caractéristiques physico-chimiques du « corpo », nous nous intéressons à celles des tesselles de mosaïque. Rappelons que celles-ci ont été obtenues par mélange de « corpo » avec un verre translucide à environ 930°C. Ainsi, les verres opaques obtenus peuvent être considérés comme des équivalents d’un « corpo » dilué dans un verre.