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FABRE, M (999) Situations-problèmes et savoir scolaire Paris : PUF.

Entretien préparé par Olivier Follain, Catherine Lande

1 FABRE, M (999) Situations-problèmes et savoir scolaire Paris : PUF.

« situations-problèmes » ne peuvent plus alors être banalisées et noyées dans le vocabulaire usuel de la pensée commune.

La première partie est une mise en perspective épistémologique et plus largement philosophique du « problème ». Dans ce « tour du problème », sont mis en évidence les ambiguïtés de ce paradigme de la pensée pédagogique, les limites du pragmatisme, l'intérêt de la problématisation et la pertinence d'une logique du sens. La deuxième partie poursuit cet examen minutieux du « problème » dans ses formes scolaires avec leurs racines dans l'école nouvelle et ses développements en didactique des mathématiques. Elle met en évidence quatre ambiguïtés ou quatre tensions associées à l'idée de « situations-problèmes », examinées dans la

troisième partie : • situation/situation-problème,

• gestion pédagogique/gestion didactique, • objectif/objectif-obstacle,

• résolution/problématisation.

Cet examen nourri notamment de quelques exemples en didactique des sciences permet alors de proposer les conditions d'une gestion didactique de la « situation-problème » dans laquelle le sens serait fondamentalement pris en charge.

Au fil des pages, le lecteur percevra la forte présence de Bachelard tout comme celle des Fables, les passions de Michel Fabre, également auteur de L'enfant et les Fables (PUF, 1989) et Bachelard éducateur (PUF, 1995). Mais le lecteur percevra aussi l'engagement de l'auteur dans les pratiques d'enseignement et de formation auxquelles il a participé, mises à distance dans Penser la formation (PUF, 1994). Cette rencontre autour d'un livre et de son auteur est marquée par ces références qui nourrissent la réflexion, le questionnement et les réactions rapportés dans l'entretien présenté ici dans sa quasi-totalité.

SITUATIONS-PROBLÈMES ET SAVOIRS SCOLAIRES 41 Michel Fabre :

« Bien, merci de m'inviter, et de me donner l'occasion de discuter avec vous de ces histoires de problèmes. Je sais que ce n'est pas un piège, mais si c'était un piège, après tout comme dans la préface du livre, il est question de situation-problème comme un piège et que j'invoque la fable

Le Renard et Le Bouc, ça m'ôte toute objection à l'idée de piège de toute façon. Mais, on se fait les uns et les autres une autre idée du débat intellectuel, je pense.

Donc je suis très heureux de venir, de participer à votre séminaire d'autant que je crois que j'ai beaucoup à apprendre et à prendre de l'univers de la technologie et de ceux qui pensent la technologie, parce que je crois que la technologie est sans doute un domaine où l’on va pouvoir concrétiser le mieux ce que problématiser veut dire. Donc je suis très content de pouvoir discuter dans le cadre du LIREST.

Je ferai trois remarques introductives pour situer cet ouvrage. La première c'est que, lorsqu'on demande à un auteur de parler de son dernier livre, on lui demande de parler de son passé. Finalement, ce livre-là, c'est vingt ans de travail, parce que l'idée de problème c'est quelque chose sur laquelle j'ai déjà travaillé avec mes collègues didacticiens des sciences à l'école normale de St-Lô, au temps où on essayait de promouvoir les activités d'éveil, où il fallait passer de la leçon de choses aux activités d'éveil et ce n'était pas rien. Donc c'est du passé et je suis un petit peu en avant aujourd'hui. Mais je ne suis pas ailleurs, parce que cette idée de problème, de problématisation, continue évidemment à me préoccuper.

En deuxième remarque, je souhaite dire qu'il s'agit d'une étape provisoire d'un travail en collaboration avec des didacticiens. J'y tiens beaucoup parce que je leur dois beaucoup. C'est vraiment un travail mené en interaction avec Christian Orange qui était professeur de biologie, qui est didacticien de la biologie et aussi Christian Ridao. C'est avec eux vraiment que j'ai compris qu'on pouvait continuer à faire de la philosophie, que je n'avais pas à renier mon passé de philosophe pour faire autre chose et que je pouvais essayer d'être utile à cette réflexion autour des didactiques. C'est pour cela qu'ils m'ont amené à travailler du côté de Bachelard, les questions de représentations, d'obstacles, de problèmes, etc. Et je continue de travailler encore avec eux.

Et puis la dernière chose que je voulais dire, c'est que la situation- problème, je n'en fais pas une obsession ! C'est-à-dire qu'au fond, c'était pour moi l'occasion d'élucider un concept. J'entendais partout les praticiens, les pédagogues, les didacticiens parler de situations-problèmes et dans ce qu'ils me disaient, j'avais l'impression qu'ils ne parlaient pas de la même chose. Alors j'ai voulu savoir un petit peu ce qu'il en était. Je n'avais pas à dire ce qu'il fallait faire mais je pensais que je pouvais apporter ma contribution dans l'éclaircissement de ces notions. C’est une des perspectives possibles pour une épistémologie. Au fond, ce qui m'intéresse de plus en plus, c'est la problématisation et la situation- problème n'étant qu'un des dispositifs où peuvent se jouer des histoires de problématisation. Mais il y a bien d'autres dispositifs aujourd'hui. Je suis beaucoup sollicité pour les TPE et les travaux croisés qui sont des sortes de projets que les professeurs de lycées et de collèges ont à faire. Là aussi on a une autre façon, une autre entrée, dans le traitement du problème. La situation problème n'est qu'une entrée pour moi. Ce qui m'intéresse fondamentalement, c'est la notion de problème, pour aller un petit peu plus loin dans l'élucidation de ce que c'est qu'une problématique. Je me suis aperçu par exemple que j'étais le seul à ne pas savoir ce qu'était une problématique, ça me gêne beaucoup et je voudrais bien un jour comprendre de quoi il s'agit ! »

Joël Lebeaume :

« Merci pour ces trois remarques qui situent le livre dans une réflexion en cours, dans ses sources et dans ses perspectives ».

(…)

Michel Fabre :

« C'est toujours une expérience extraordinaire d'être lu par quelqu'un ! Merci de m'avoir lu. La première partie est en effet épistémologique. Elle essaie de poser les questions fondamentales. Je me refuse à rentrer dans l'analyse de formes scolaires comme la situation-problème sans poser des questions préalables : mais au fond qu'est ce qu'un problème ? Alors qu'est ce qu'un problème ? Depuis les grecs, il y a bien longtemps, on réfléchit sur le problème. On ne peut pas réfléchir sur le problème sans voir un petit peu ce que la philosophie en dit. Descartes aussi a fait un magnifique livre sur le problème Les règles pour la direction de l'esprit.

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On s'aperçoit que ce que raconte la psychologie cognitive aujourd'hui, est très inspirée de la tradition cartésienne. On ne peut pas non plus aujourd'hui ne pas se poser la question : mais d'où ça vient cette idée de problème ? comment se fait-il qu'aujourd'hui on pense problème ? comment se fait-il que le traitement des problèmes devient le paradigme même de la pensée ? Quand on ouvre de vieux ouvrages de psychologie, d’il y a cinquante ans, il n'y avait pas de problème. On parlait du raisonnement, on parlait du jugement mais pas de problème ou éventuellement en note de bas de page. Maintenant « traitement du problème » pourrait être le titre même des traités de psychologie. Comment se fait-il aujourd'hui que penser ce soit traiter des problèmes ? D'où ça vient ? Ce n'est pas étonnant qu'aujourd'hui on parle de situations-problèmes etc. parce que l’on tire les leçons à la fois du cartésianisme mais aussi de la philosophie pragmatique et des constructivistes, de Bachelard etc. Il y a toute une série de facteurs philosophiques en tout cas, qui font qu'aujourd'hui l'image de la pensée a changé. En fait Penser ce n'est plus Voir. La grosse affaire c'est que Penser ce n'est plus Voir. Cette image de la pensée, ça va quand même de Platon à Kant et même jusqu'au XIXe siècle, et tout d'un coup l'image de la pensée change. Penser ce n'est plus Voir. Et on ne peut pas comprendre je crois, les situations, les formes pédagogiques - ou alors on les comprend comme des modes erratiques et irrationnelles – si on ne comprend pas le soubassement épistémologique ».

(…)

Catherine Lande :

« À la notion de problème, vous associez dans le chapitre 1 la notion d'intelligence pratique, de ruse et de prudence ; ensuite dans le chapitre 8, vous parlez d'opérations mentales et dans le chapitre 5 de problèmes ouverts, à propos de l'axe psychologique de la situation-problème, et de savoirs à enseigner qui guideraient la gestion didactique des situations- problèmes. J'aurais voulu savoir si vous considérez que l'intelligence pratique et la capacité de raisonnement peuvent s'apprendre et s'enseigner par une situation-problème ? »

Michel Fabre :

« Je n'en sais fichtre rien ! Je me permettrais de répondre à une autre question qui est enveloppée dans votre question et qui me paraît plus fondamentale. Pourquoi est-ce que je parle d'intelligence pratique ? Parce qu'il me semble que cela a quelque chose à voir avec l'image de la pensée dont je parlais tout à l'heure. J’en parle dans mon introduction, j'écris, je réécris la fable de La Fontaine — parce que j'aime beaucoup les fables —

le Renard et le Bouc. Finalement, on peut décrire cela comme une construction de problèmes. Il y a l'idée de piège, l'idée de ruse qui sont contenues dans la situation-problème. Mon interrogation de départ c'est comment se fait-il que dans les pédagogies d'aujourd'hui on envisage le maître plutôt comme un Renard, c'est-à-dire quelqu'un qui va ruser avec l'élève pour qu'il apprenne ? Naturellement, ce n'est pas un piège mortifère, c'est un piège pour apprendre. C'est la différence avec le Renard de la fable, c'est un Renard bienveillant. Comment se fait-il qu'on pense le rôle du maître sous l'image du Renard bienveillant, plutôt que celle d'un Mentor non directif, un contremaître, un Pangloss pontifiant, etc. ? Évidemment, ces histoires de piège, ces histoires de ruse sont des choses très pratiques. L'intelligence pratique c'est la métis ; la métis des grecs c'est la débrouillardise : quand on n'est pas assez fort pour vaincre, il faut biaiser, il faut tourner, etc. Detienne et Vernant ont écrit un magnifique livre sur la métis chez les grecs2. Je crois que cette histoire de

problème et de traitement de problème a quelque chose à voir avec la ruse, avec la débrouillardise, etc. Si on a une image de la pensée en termes de Voir, si Penser c'est Voir, alors il y a un monde, un fossé entre le monde de la théorie et le monde des petites affaires quotidiennes où on se débrouille comme on peut. Mais si on a une image de la pensée en termes de traitement des problèmes, alors on s'aperçoit qu'il y a des problèmes théoriques certes, mais qu'il y a aussi des problèmes pratiques. Et si on arrive à chapeauter tout ça sous l'idée de traitement de problème, alors peut-être que ça change complètement les relations qu'on est tenté d'établir entre savoir-faire comme on dit, savoirs pratiques et savoirs théoriques. Après tout on pourrait dire comme disait Althuser : « la

2 DETIENNE, M. & VERNANT, J.-P. (1974). Les ruses de l’intelligence, la métis chez les grecs.

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théorie c'est une pratique théorique ». On a beaucoup ri ; les philosophes se sont beaucoup moqués de cette expression. Je crois qu'il ne faut pas du tout s'en moquer et que ça veut dire que même dans le domaine de la théorie, dans le domaine des mathématiques, dans le domaine de la science, on ne peut pas penser l'activité du mathématicien, du chercheur en général, comme un Voir. C'est un travail et c'est un travail qui consiste à transformer une matière qui peut être de l’ordre des idées, mais qui peut être aussi de la matière au sens concret du mot. Ce que je veux dire c'est que cette idée de ruse, cette idée de piège, cette idée de gestion des problèmes, contribue à remodeler cette image de la pensée, si bien que finalement l'intelligence pratique ou la ruse nous servent à penser la pensée ».

Catherine Lande :

« Est-ce que vous pensez que l'intelligence pratique et la capacité de raisonnement peuvent s'apprendre et s'enseigner par des situations- problèmes ? »

Michel Fabre :

« Est-ce qu'on devient Renard ou est-ce qu'on naît Renard ? Alors ça c'est intéressant. Je crois que si je ne pensais pas que l'on puisse devenir Renard, je ne ferais plus le métier que je fais. Mais c'est de l'ordre du postulat d'éducabilité tout simplement. C'est un postulat pratique, je ne peux pas vous démontrer que c'est ça ou que c'est l'inverse, mais je dis que ce qui fonde mon travail de sciences de l'éducation c'est justement cette idée. Si je veux être un petit peu en paix avec moi-même et si je veux continuer à travailler, j'ai besoin de croire qu'on peut devenir un petit peu Renard. Et donc la situation-problème, ma foi, c'est une forme scolaire effectivement où on habitue l'élève à, comment dirais-je, du fait qu'on va le mettre dans une situation où il va construire de "lui-même", on va le mettre en situation où il va construire son savoir avec l'aide du maître et avec tout un dispositif autour, bien sûr. Je crois que c'est une situation qui fait devenir plus intelligent. Et puis, il y a beaucoup de précautions à prendre, la ruse ne renvoie pas à un don, sinon évidemment tout mon travail n'aurait pas grand sens ».

Mickaël Huchette :

« Est-ce que qu’apprendre à résoudre des problèmes peut être un objectif pédagogique ? »

Michel Fabre :

« De devenir intelligent ! Je crois que ce n'est pas de l'ordre des objectifs mais je crois aussi que d'après la situation-problème ce que je trouve intéressant c'est qu'on est effectivement centré sur l'apprentissage, on pourrait dire en gros de concepts et donc dans un domaine déterminé qui est une discipline en général. Par rapport au problème ouvert - les mathématiciens l'appellent problème ouvert - c'est une situation aussi où l'élève va être actif et où il va travailler, mais il va travailler sur une notion qu'il a déjà rencontrée ; dans les problèmes ouverts on vise à développer des compétences de raisonnement, des compétences méthodologiques, mais sur un domaine qui est déjà familier à l'élève. La situation-problème vise avant tout la construction d'un concept, d'une connaissance - il y a peut être plus que des concepts - une connaissance déterminée. Elle ne vise pas à, ou à la marge, des compétences méthodologiques. Moi, je me suis toujours méfié de cette distinction objectifs méthodologiques et objectifs de connaissance. Je me suis méfié parce qu’il me paraît difficile de viser des compétences méthodologiques sans être au clair sur des contenus d'apprentissage déterminés. Sans doute qu'il y a des compétences méthodologiques qui vont s'acquérir, mais mettre en place des situations qui viseraient avant tout des compétences méthodologiques sans qu'il y ait vraiment une analyse épistémologique des contenus à enseigner, ça me paraît un petit peu fumeux, ça me paraît un peu aboutir à ces référentiels de compétences où on met, vous savez : « doit savoir chercher des informations ». Si on ne précise pas le domaine de l'information ? Moi je suis capable de chercher des informations dans un livre de philosophie mais je ne suis pas capable de chercher des informations dans un livre de physique nucléaire. Alors que veut dire chercher des informations pertinentes ? La compétence tant qu'on ne précise pas le domaine, ça peut être utile mais au niveau de la réflexion fondamentale, je me méfie un petit peu de ces distinctions ; ce qui n'est pas le cas des problèmes ouverts des didacticiens des mathématiques

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puisque là on travaille des compétences méthodologiques mais sur un domaine qui a été cerné ».

Olivier Follain :

« Au chapitre trois, vous posez la question du sens des problèmes et vous envisagez trois axes, l'axe de signification qui interroge la nature et la valeur des contenus et c'est un axe que l'on pourrait peut être qualifié d'axe épistémologique ; ensuite on a l'axe de la référence qui étudie en fait les rapports entre les activités scolaires et les pratiques sociales et c'est un axe qui est plutôt envisagé comme un axe pédagogique et puis le troisième axe qui est l'axe de la manifestation, donc de la relation au savoir du sujet et donc ce serait davantage un axe psychologique. Ces trois axes sont-ils orthogonaux ? Est-ce qu'ils constituent un repère ou bien sont-ils des axes parallèles ? Comment s'en sert-on ? »

Michel Fabre :

« Il faut faire un triangle ! On ne peut pas s'en sortir autrement ! Alors rendons à Deleuze ce qui est à Deleuze, cette théorie du sens : qu'est-ce que le sens tout simplement ? Ça vient de Gilles Deleuze dans deux livres qu'il a écrits en 1968 et 1969, Logique du sens et Différence et répétition3

qui est sa thèse de philosophie. Je trouve que c'est une magnifique théorie du sens qu'il emprunte au stoïciens et qui récapitule un petit peu toute l'histoire de la logique moderne depuis Frege jusqu'à Wittgenstein. D'abord je me permets de dire qu'il n'y a pas un côté qui soit plus pédagogique que de l'autre mais je vais réexpliquer cela.

Vous avez mis le doigt sur quelque chose auquel je tiens beaucoup car je crois que ça fait avancer la question du sens. Tout le monde parle aujourd'hui du sens, de l'école, du sens etc. Bon qu'est-ce que le sens ? Alors Deleuze part du langage. Prenons une phrase « cette porte est ouverte » ; quand je dis cela « cette porte est ouverte », en réalité je dis quelque chose - une proposition comme disaient les logiciens - avec un prédicat, un sujet, etc. Et puis il y a trois dimensions du sens de cette phrase. Pour Deleuze, il y a la dimension de la référence, la référence pour les logiciens c'est en gros le fait que le langage parle de quelque

3 Gilles DELEUZE, Logique du sens, Paris, PUF, 1969.

chose, parle des objets, disons du monde, du monde physique. « La porte est ouverte », c'est la référence, c'est le rapport entre l'énoncé et le monde, c'est plus compliqué que cela naturellement. Un objet ici c'est un objet du monde et voyez que vous avez tous regardé si c'était vrai que la porte était ouverte. Oui la porte est ouverte. La question de la référence, c'est la question de la vérité, enfin, la question de la vérité est la question que l'on pose à partir de la référence ; c'est la question est-ce que c'est vrai, est-ce que c'est faux ? Puisque de toutes façons, là vous allez contrôler le