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février 1990 : le jour de la désillusion

Après la révolution : quelle solidarité ? Quelles images ?

Le 25 février 1990 : le jour de la désillusion

Les élections de 1990 sont censées réaffirmer la légitimité du pouvoir en place et donner ainsi un nouvel élan à la solidarité. Lorsque, lors de la journée du 25 février 1990, commencent à circuler les premières rumeurs d’une possible défaite électorale du FSLN, personne parmi les membres des comités ne veut y croire. Et pourtant, le soir même, le président Daniel Ortega annonce sa défaite lors d’un long discours devant ses fidèles. Le FSLN a perdu face à l’UNO (Unión Nacional Opositora), une coalition de partis qui réunit tous les panels du spectre politique nicaraguayen, de l’extrême gauche à l’extrême droite. Les solidaristes sont alors confrontés à un mélange de sentiments : incompréhension, tristesse et découragement. Mais une fois la déception des premiers jours passée, les comités commencent à sortir la tête hors de l’eau. Ils affirment alors que la défaite électorale du FSLN ne signifie pas forcément la fin de la révolution. Le fait même que le FSLN rende pacifiquement le pouvoir est, pour beaucoup, le signe d’avoir participé à une révolution réellement différente et ils ne veulent pas la laisser tomber au moment le plus sombre de son histoire. Il s’agit désormais pour eux de protéger les acquis de la révolution qui a plus que jamais besoin de leur solidarité24.

Crise morale et institutionnelle du mouvement

La situation va cependant rapidement se compliquer pour les comités. Une fois que le FSLN n’est plus au pouvoir, il n’est plus en mesure de maintenir ni les différentes structures nationales et internationales construites tout au long de ces années ni les canaux d’information qui faisaient la force de la solidarité. Quand le Secrétariat européen disparait, faute de relais politique au Nicaragua et de moyens, la Coordination nationale en Belgique ne tarde pas non plus à cesser de fonctionner25.

À cette crise institutionnelle s’ajoute une crise morale. Alors que tout au long des années 1980, le FSLN a su se présenter de manière unie vers l’extérieur, avec le cambio (passation de pouvoir), ses différentes fractions vont ouvertement entrer en conflit, ce qui entachera fortement l’image d’unité que le parti voulait donner de lui-même. À ses conflits internes s’ajoutent une série de scandales que les Nicaraguayens vont désigner par le nom de piñata. Ils désignent par là les nombreux cas d’enrichissements personnels de cadres du FSLN à la suite de l’annonce de la défaite qui vont coûter très cher en termes de crédibilité aux sandinistes. Finalement tant le cambio que la piñata provoquent une défaite morale du FSLN qui pèse bien plus lourd que la défaite électorale et ce, tant sur le plan national qu’international. Le mouvement de solidarité se voit désormais confronté à l’évidence que le chapeau de Sandino a pris de sérieuses bosses et que le FSLN ne va peut-être jamais s’en remettre26.

De la solidarité politique vers l’action humanitaire

S’il y a déjà eu de nombreux débats sur la nature de la solidarité au cours des années 1980, plus précisément autour de la question de savoir où s’arrête la solidarité politique et où commence le travail humanitaire, après la défaite électorale du FSLN, les seuls comités qui ont une chance de survivre à long terme sont ceux qui se tournent vers l’aide humanitaire. Quand les structures de la solidarité s’effondrent et que l’image du FSLN se ternit de plus en plus, au point de complètement décrédibiliser ce dernier aux yeux du monde de la solidarité, les comités n’ont plus d’autre alternative que de passer par la société civile pour mener leur travail de solidarité. Désormais, celui-ci s’exerce envers des partenaires locaux et non plus en réponse à l’appel d’un mouvement politique. Cette évolution s’observe également dans les images produites par le mouvement. Pendant un certain temps, les comités diffusent encore les images de la période révolutionnaire avant que celles-ci ne disparaissent complètement de leurs publications. Quelques années après la défaite électorale du FSLN, les seules images diffusées par les comités sont celles qui illustrent les réalisations de leurs projets sur place. Ceux-ci gardent certainement une dimension politique de par le choix des partenaires nicaraguayens, mais s’apparentent cependant avant tout à de l’action humanitaire.

Au final, les comités eux aussi ne se remettront jamais entièrement de la défaite électorale et des nombreuses conséquences qu’elle a entraînées. Les quelques comités qui continuent à exister fonctionnent progressivement au ralenti et le nombre de leurs

membres baisse très fortement. Paradoxalement, l’envergure de leurs projets ne diminue pas pour autant. Au contraire, la nature moins politique de leur engagement facilite l’accès aux subventions publiques, ce qui leur permet d’entreprendre des projets plus ambitieux27.

Les quelques comités qui ont survécu jusqu’à aujourd’hui continuent dans cette voie. Le retour de Daniel Ortega – qui certes n’a pas gardé grand-chose de son image de révolutionnaire – au pouvoir en 2007 ne les a pas poussés à repenser l’orientation de leur solidarité et les derniers comités existants se voient aujourd’hui confrontés à la question de la relève qui s’avère difficile. Loin de regretter leur engagement, ces derniers membres restent convaincus d’avoir participé à un mouvement révolutionnaire réellement atypique, qui se définit avant tout par son côté humain. Cette dimension apparaît pleinement dans les images que cette révolution a produites.

Conclusion

Nous avons vu combien le regard des militants de la solidarité sur le Nicaragua était déterminé par leur parcours individuel et par les déceptions politiques qu’ils ont pu rencontrer au cours de leurs engagements précédents. Afin de comprendre pleinement cette période ainsi que les motivations qui ont pu pousser des acteurs aussi diversifiés à s’engager sur un si long terme dans un mouvement social, il faut aussi placer cet engagement dans un contexte culturel plus large. La littérature de Julio Cortázar, Gabriel García Márquez ou Eduardo Galeano les a tout autant influencés que la musique de Víctor Jara ou des Inti Illimani qui traverse l’océan en même temps que les exilés chiliens. Pour tenter de comprendre réellement ce qui animait ces acteurs, il faut les replacer dans le contexte politique, social et culturel de cette période.

Les images de cette révolution ainsi que du mouvement de solidarité qui s’est développé autour d’elle ont sans doute un caractère très subjectif lié notamment à l’effet qu’elles étaient censées produire. Outre la recherche esthétique des réalisateurs, artistes et photographes, ces documents ont généralement pour but de créer de la sympathie envers le Nicaragua et reflètent aussi tous les espoirs portés sur cette révolution. C’est peut-être justement cette subjectivité qui constitue la richesse de ce type de sources. Ces images nous permettent de voir le Nicaragua avec les yeux de ceux et celles qui se sont engagés à ses côtés. Pour aller au-delà de l’image que les comités ont voulu présenter du Nicaragua, du FSLN ou d’eux-mêmes, il faut aller vers les archives écrites que ces comités ont produites. Elles permettent de relativiser certaines de ces images, mais pas toutes.

1 Cet article s’inspire en partie de mon mémoire de fin d’études : Roemer, C., La révolution sandiniste

au Nicaragua. Un dernier espoir des mouvements de solidarité politique. Les comités de solidarité avec le Nicaragua en Belgique et au Grand-duché du Luxembourg de 1978 à nos jours, Bruxelles, ULB,

2011.

2 Meneur d’une révolte contre la présence militaire nord-américaine au Nicaragua à la fin des années 1920. Assassiné en 1934 par la Garde nationale commandée par Anastasio Somoza García (fondateur de la dynastie), il deviendra par la suite le symbole de la lutte pour l’indépendance du Nicaragua et donnera son nom au FSLN en 1961.

3 Amsab-isg, Archief Midden-Amerika Komitee Gent, 272/124, Verslagen en briefwisseling van de Nationale Coördinatie : Uiteenzetting van Francisco de Asis op zaterdag 6 october 1984.

4 Christiaens K., Een verdedigingslinie van de revolutie. Nicaraguacomités in België en politieke

solidariteit in een transnationaal netwerk (1977-1990), in Brood & Rozen. Tijdschrift voor de geschiedenis van sociale bewegingen, n° 4, 2009, p. 30.

5 Amsab-isg, Archief Midden-Amerika Komitee Gent, 272/124, Verslagen en briefwisseling van de Nationale Coördinatie: Uiteenzetting van Francisco de Asis op zaterdag 6 october 1984.

6 Amsab-isg, Archief Midden-Amerika Komitee Gent, 272/124, Verslagen en briefwisseling van de Nationale Coördinatie : Réflexions de J. Koreman par rapport au discours de Francisco de Asis Fernandez, président du CNSP, au camp pour la paix de juillet 1984.

7 Archives privées de Philippe Grignard, Rapport à la Coordination nationale sur les comités de solidarité européens et en particulier sur le comité belge, 15 avril 1988.

8 Lotens W., Deuken in Sandino’s hoed: over international solidariteit, Mol, Libertas, 1998, pp. 77-78. 9 « Philippe Grignard, coordinateur du CAcC », in http://www.mpa80.be/Philippe-Grignard-coordinateur-du.html, consulté le 10/05/2011.

10 Idem.

11 Gugler J., Cinema of revolution, dans De Fronzo J., Revolutionary Movements in World History:

From 1750 to the Present, Santa Barbara, Abc-Clio, 2006, p. 150.

12 “Brigadisten aus Luxemburg im Lande Sandinos”, in INFO-NICA. Périodique de l’ASLN, mars 1984, n° 28, pp. 4-5.

13 Lotens W., op. cit., p. 25.

14 Buchsbaum J., Cinema and the Sandinistas Filmmaking in Revolutionary Nicaragua, Austin, University of Texas Press, 2003, p. XV et p. 259.

15 Bar L., Communication Et Résistance Populaire Au Nicaragua: La Ligne De Feu, Paris, L’Harmattan, 2004, pp. 209-210.

16 Depallens J. et Centre Europe-Tiers Monde, Nicaragua 1986 : l’aventure internationaliste de

Maurice, Yvan, Joël et Berndt, Genève, CETIM, 1996, pp. 37-38.

17 Contras : diminutif espagnol de contre-révolutionnaire. Appuyés financièrement et logistique-ment par le gouvernelogistique-ment nord-américain, ce mouvelogistique-ment de guérilla est en guerre avec le gouvernement sandiniste à partir de 1981.

18 Entretien avec Odette Goffard, Liège, 6 juillet 2011 (réalisé par Charles Roemer).

19 Entretien avec Gil Stoos et Claude Steffen, Luxembourg, 14 mai 2011 (réalisé par Charles Roemer). 20 Lacombe D., L’affaire Zoilamérica Narváe contre Daniel Ortega ou la caducité de « l’homme

nouveau », in Problèmes d’Amérique latine, été 2009, n° 73, pp. 73-100.

21 Amnesty International, Nicaragua: The Human Rights Records, Londres, Amnesty Inter- national Publications, 1986.

22 Thörn H., Anti-Apartheid and the emergence of a Global civil society, New York, Palgrave Macmillan, 2006, p. 193.

23 Passy F., L’action altruiste. Contraintes et opportunités de l’engagement dans les mouvements

sociaux, Genève, Droz, 1998.

24 Solidarité avec le FSLN !, in Amérique centrale, avril 1990, n° 102, pp. 3-4.

25 Amsab-isg, Archief Midden-Amerika Komitee Gent, 272/124, Verslagen en briefwisseling van de Nationale Coördinatie : Verslag Nicaragua-Koordinatie van 31.03.1990.

26 Lotens W., op. cit., pp. 10-11 ; AMSAB-ISG, Archief Midden-Amerika Komitee Gent, 272/050, Notities, pamfletten en brieven van Dirk Goegebeur en Freddy De Braekeleir : Lettre de Dirk Goegebeur, du 17 avril 1992.