• Aucun résultat trouvé

Féminisme chinois après les réformes économiques de 1978

1.3 Cadre théorique

1.3.3 Contextualisation historique des droits des femmes chinoises

1.3.3.3 Féminisme chinois après les réformes économiques de 1978

À la suite des réformes économiques amorcées en 1978, la Chine s’est tournée vers l’international. Cette ouverture a notamment permis des échanges dans les forums sur les droits fondamentaux et les droits de la personne, dont les droits des femmes. Nous examinerons les mouvements féministes chinois après la Quatrième Conférence

mondiale sur les femmes tenue à Pékin en 1995, qui marque un tournant dans le

77 Barlow, supra note 8 à la p 191.

78 Fincher, supra note 65 à la p 120.

féminisme chinois depuis la décennie 199080. Quel est le panorama du féminisme

chinois depuis les années 1990 ?

Depuis la tenue de la Conférence mondiale à Pékin, l’État a encouragé la recherche sur les femmes dans la FNFC, l’université et les ONGs. Traduit par « différence des sexes »81, le concept de genre est pour la première fois abordé82. Le terme « féministe »

est reconnu dans le discours officiel du PCC83. Toutefois, même si la traduction du

qualificatif « féministe » est différente selon ses utilisateurs, leur volonté est de mettre en relief la problématique de genre84. De plus, les discussions ont progressivement été

élargies par des réflexions et des actions plus militantes de la part des divers acteurs. Toutefois, le féminisme de la FNFC (syndicat unique et officiel des femmes, créé par

80 Nous insistons sur l’expression « féminisme chinois ». En effet, nous avons traité plus avant du

mouvement féministe chinois au début du XXe siècle. Par conséquent, la Quatrième Conférence

mondiale des femmes n’a pas fait surgir le féminisme en Chine. Elle a alimenté une réflexion fémininiste chinoise existante depuis longtemps.

81 Tania Angeloff, « Le féminisme en République populaire de Chine : entre ruptures et continuités »

(2012) 209:1 Rev Tiers Monde 89‑106 à la p 99. En mandarin, xingbie se traduit par « différence de sexe ».

82 Hershatter, supra note 62 à la p 275.

83 Angeloff, supra note 81 à la p 93. Avant la Conférence, le terme féminisme avait une connotation

péjorative, assimilé à « bourgeois » à cette époque. Ce terme fait référence aux féministes occidentales.

84 Ibid à la p 99. La traduction initiale était « mouvement des droits des femmes » (nüquan zhuyi) dont

la connotation marxiste demeurait. Dans une volonté commune de mettre en avant la problématique de genre, les médias et la presse féminine utilisent « mouvement de la féminitude » (nüxingzhuyi) et la FNFC emploie « lutte des femmes » (funü quanli).

le gouvernement) est limité. Bien qu’investie du rôle de défenseur des droits et des intérêts des femmes, la Fédération doit aussi répondre aux lignes directrices du Parti85.

D’autre part, les ONGs prennent aussi part au féminisme chinois à travers une évolution des modes d’action allant de la rue à l’usage d’Internet86. Nous précisons que ces

organisations féministes sont perçues par le gouvernement comme des organisations militantes indépendantes87. Enfin, les universitaires diversifient leurs réflexions sur la

question de genre. Un nouveau type de féminisme a émergé dans les années 2000. Celles-ci constituent un réseau féministe transnational dont les débats se situent principalement dans le milieu académique. Indépendamment des théories occidentales, ces féministes discutent d’un féminisme qui prendrait en compte leurs circonstances locales. En ce sens, elles voudraient un féminisme capable de répondre aux inégalités de genres spécifiques à la Chine, tout en prenant en compte l’implication permanente de la FNFC et du gouvernement dans leurs droits88.

À la lumière de la théorie décolonialiste et de ces mouvements féministes chinois, nous tenterons de démontrer que même si MeToo revêt une portée internationale, les usagères occidentales et chinoises ont su l’utiliser dans leurs propres revendications. Dans le contexte l’application des droits des femmes chinoises, il est important de

85 Voir généralement Yunyun Zhou, « « La petite fille modèle du Parti » ? Analyse néo-institutionnelle

des réformes organisationnelles de la Fédération des femmes à l’ère de Xi Jinping » [2019] 2 Perspect Chin 19.

86 Wang Qi, « From “Non-governmental Organizing” to “Outersystem” - Feminism and Feminist

Resistance in Post-2000 China » (2018) 26:4 Nord J Fem Gend Res 260 aux pp 266‑271.

87 Angeloff, supra note 81 à la p 100.

prendre en compte le droit international, la législation nationale et la pratique sociale pour avancer notre réflexion sur l’appropriation du mouvement MeToo. Les lacunes législatives en droit pénal et droit du travail, ainsi que l’essence patriarcale dont s’imprègne la société89 ne sont pas propres à la Chine mais colorent fortement les droits

des femmes.

C’est à travers plusieurs questionnements acheminés par l’utilisation de la théorie décoloniale que nous proposerons une réponse à travers ce mémoire : Quels sont les usages de MeToo par les victimes de violences sexuelles occidentales et chinoises ? Pourquoi les normes internationales relatives aux droits des femmes sont-elles violées par la Chine ? Quels aspects de la législation chinoise empêcheraient une application des droits des femmes ? Est-ce que le gouvernement, la société, ou les deux sont-ils réfractaires à l’application du droit des femmes ? Et quelles en seraient les raisons ? Le caractère autoritaire du gouvernement contribue-t-il à l’utilisation de méthodes alternatives pour faire valoir les droits des femmes chinoises ?

Si la domination des hommes, objet commun de la lutte féministe, est ici critiquée par les féministes chinoises comme « un élément de la dictature du Parti communiste et du « maintien de la stabilité » du système » [notre traduction]90, nous tenterons de

démontrer à l’aide de l’approche décoloniale que la législation interne chinoise ne permet pas de répondre à un droit des femmes complet et efficace, notamment eu égard aux mécanismes permettant de faire valoir leur droit. Le but de ce mémoire sera de montrer que le système judiciaire étatique n’est pas infaillible lorsqu’il s’agit de répondre à des enjeux de société. Même si le droit a pour but d’anticiper les problèmes

89 Attané, supra note 29 à la p 10.

des individus, il peut parfois omettre des situations, celles des violences sexuelles, et non sans conséquence. Le contexte des femmes chinoises défini par l’approche décoloniale révèlera jusqu’à quel degré la domination masculine interfère dans le développement des droits des femmes chinoises.