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j’exulte de tout l’amour que tu me renvoies !

Dans le document "Fais-moi un signe !" Tome 2, Soléa (Page 181-189)

Dans le couloir, Théophane aperçut un rai de lumière sous la porte de la cuisine. Il remercia Dieu de lui accor-der une présence chaleureuse au milieu de cette nuit éreintante. Il s’attendait à trouver le docteur Thibault mais c’était Lisane et Ménahem qui discutaient autour d’un chocolat brûlant :

— Que faites-vous là, tous les deux, à cinq heures du matin ?

— On t’attendait ! fit Lisane en déposant une troisième tasse. Tu pensais peut-être que je me rendormirais tran-quillement ?

— Et toi Ménah… tu ne dormais pas ?

— Oh moi… Je me suis réveillé sans raison… Cédric allait tellement mal hier ! Un pressentiment sans doute…

— Ou un signe… commenta Lisane.

— C’est… fini ? osa Nahem sans voix. Il est mort ? — Pour moi, il est désormais plus vivant que nous trois réunis… fit-il en s’asseyant entre eux.

— On peut aller le veiller avec toi, si tu veux ? proposa Lisane.

Visiblement épuisé, Théophane répondit par quelques bribes de phrases :

— Pas la peine Lisane… Saint Jean te dirait : Laissons

les morts avec les morts… Pas besoin d’aller dans sa

chambre pour se recueillir, il n’y est plus… Il n’y a qu’un vieux vêtement usagé abandonné par son propriétaire… Les cimetières sont vides… Et puis ma tâche s’arrête ici… je suis au service des vivants de ce monde… je sais qu’il est ailleurs maintenant et qu’il n’est pas seul…

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Théo repoussa sa tasse de chocolat fumant.

Sa foi ne le préservait nullement de la peine… la mort reste une séparation pour ceux qui restent. Lisane vint derrière lui, l’entourer de ses bras. Exceptionnellement, il ne se défendit pas et se laissa envelopper de sa chaleur réconfortante comme si le collier de ses bras avait le pou-voir d’évacuer stress et fatigue. Les yeux mi-clos, il soupira de soulagement et entonna un refrain que la mort de Cédric venait de lui inspirer :

« Ne pleure pas sur une vie achevée, c’est une lampe qui s’éteint

parce qu’un nouveau jour s’est levé sur un autre matin… »

Aussitôt, Ménahem se leva pour les laisser seuls mais Théophane s’empara de sa main pour l’inviter à rester. Embarrassé, le jeune homme risqua une banalité pour retrouver une certaine contenance :

— Tu es fatigué Théo… et le jour va bientôt se lever… — Tu sais bien que je ne vais pas me recoucher… — Tu as toujours été matinal… bredouilla-t-il encore. Une main caressant le bras de Lisane, une autre enla-çant les doigts de Ménahem, Théo consentit tout bas en fermant les yeux :

— Comme je vous aime… tous les deux !

Un curieux silence les suspendait tous les trois dans une indéniable extase fine et transparente où Théophane puisait force et tendresse comme s’il rechargeait ses bat-teries. Ses deux amoureux le croyaient éprouvé par des heures passées au chevet d’un mourant, abattu par le doute, affligé de tristesse alors qu’à l’inverse, il se sentait comblé d’une grâce ineffable. Il leur fit un aveu inattendu :

— Par moment… j’ai l’impression que Dieu me parle… comme dans un rêve… des idées émergent dans ma tête…

Il embrassa le bout de ses doigts comme il le faisait souvent et il fit de même avec ceux de son frère puis il libéra leurs deux mains sur la table et se mit à leur sourire plus franchement sachant qu’il en avait trop dit ou pas assez, que ni l’un ni l’autre ne le lâcheraient…

— S’il te plaît ! insista Ménahem.

— Eh bien par exemple… au chevet de Cédric, j’ai clairement saisi : « J’exulte de tout l’amour que tu me

renvoies… » Et là encore à l’instant… en vous retrouvant

tous les deux autour de cette table, ce même message imprégné d’une exquise chaleur s’est imposé à moi…

— Qu’est-ce que ça veut dire ? fit Ménahem intrigué. — C’est difficile à exprimer… hésita Théo. En fait, je ressens… plus que je ne comprends…

— Essaie ! insista Lisane.

Théo soupira et s’évertua à expliquer l’indicible.

— C’est… c’est comme si Dieu ressentait à travers moi… et à travers tous les hommes… comme s’Il éprou-vait en nous.

— Eh bien moi, j’imagine Dieu dans une félicité per-manente… au ciel, au paradis, ailleurs… mais très très loin de ce que l’on éprouve ici… énonça Ménahem avec un petit sourire sceptique.

— Dieu est le Principe de création, la Connaissance parfaite, l’Idée pure absolue et immanente… Mais la Per-fection peut-elle se contenter de la PerPer-fection ? Car l’amour s’expérimente et ne se réduit pas à une béatitude. Ne cherche-t-Il pas se remettre en jeu à travers nous ? Aimer ne peut pas se réduire à un concept, aussi gran-diose soit-il car aimer est une action… un élan… un appel… un mouvement vers l’autre… Dieu, qui ne man-que de rien, désire peut-être ce besoin de nous…

— Dieu aurait créé la vie pour faire l’expérience de sa Perfection ? essaya de traduire Lisane.

— Jusqu’à ce que l’homme atteigne l’expérience de Sa Divinité car nous sommes invités à accéder pleinement à Sa Perfection.

— C’est… comme un partenariat ? tenta Ménahem à son tour.

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— Je ressens plutôt… un échange d’amour entre Dieu et nous… une impulsion… une respiration… le souffle même de la vie…

— Dieu vivrait à travers nous par procuration ?

s’interrogea Lisane.

— C’est un peu simpliste mais j’aime croire que Dieu ressent tout ce que nous vivons… C’est de toute manière plus cohérent, plus harmonieux que l’idée d’un Dieu ja-loux qui commande, qui juge, qui punit, qui manifeste sa toute-puissance tout en prônant des messages d’amour.

— Eh bien avec moi, il ne doit pas s’amuser tous les jours… plaisanta Ménahem. Mes actes sont loin d’être irréprochables et agréables à ressentir !

Théo esquissa un petit sourire amusé et précisa : — Dieu exulte de tout l’amour que tu lui renvoies ! Il ne te juge pas ! Il ne voit rien de déplorable ou regrettable… Dieu aime… c’est tout ! Il aime tout de l’humanité. Il aime

là où nous en sommes… Il aime le chemin parcouru et ce

qui reste à parcourir car quoi qu’il arrive, notre dernier acte posé inclut nos retrouvailles.

— Tu veux dire qu’il approuve tous nos choix ? Nos mensonges, nos colères, nos actes de barbarie ? relança Lisane sidérée.

— Le dominateur de ce monde est déjà jugé…1 Dieu

ne critique rien et n’approuve rien… Il observe avec bien-veillance toutes nos décisions quelles qu’elles soient… parce que nous sommes ses enfants et comme des en-fants nous pataugeons dans nos tentatives fructueuses et infructueuses qui constituent le terreau même de notre évolution. On ne peut pas aimer sans les blessures qui nous apprennent à aimer. C’est vrai que notre chemine-ment est lent, tortueux et souvent répréhensible mais Dieu nous laisse faire librement nos expériences.

— C’est pour ça qu’il reste invisible et silencieux ? en-visagea-t-elle. S’il se dévoilait aux hommes, il menacerait notre liberté ?

— Peut-être… à moins qu’Il ne puisse pas se révéler… Beaucoup pensent qu’Il est désespérément inabordable, inaccessible et en fin de compte cruel ou illusoire mais s’Il était tout simplement incompatible à la nature trop limitée de notre compréhension ?

— Comment ça ? fit Ménahem captivé.

— Eh bien oui… Comment la Pensée pure pourrait-elle s’adresser aux vulgaires pierres que nous sommes ? Comment le Feu d’amour pourrait-il nous atteindre sans nous brûler ? Comment la Lumière divine pourrait-elle se

révéler à nous sans nous aveugler ? Comment

l’Immatériel pourrait-il prendre forme ? Comment l’Infini pourrait-il se limiter au fini ?

— Mais tu as raison ! s’émerveilla son frère. Toutes ces représentations divines s’inspirent de l’imagination médiocre des religions ! Dieu ne peut pas nous mentir ! Il ne peut pas se révéler à moitié en ayant recours à une image accessible à notre réalité donc parfaitement dé-connectée de la sienne !

— Seule la foi permet de ressentir Sa présence invisi-ble…

— Et il aurait envoyé des guides comme intermédiaires

compatibles à notre nature humaine comme Jésus, risqua

Lisane ?

— D’où l’expression biblique : Le Verbe s’est fait chair ! cita Théo avec bonheur. Mais cette incarnation… cette filiation divine n’a pas été comprise non plus. Toutes ces métaphores : le fils du Très Haut… le berger qui conduit ses brebis… la porte qui mène au père… l’envoyé de Dieu, la source vive… n’ont pas contenté les hommes qui réclamaient une définition compréhensible à leur niveau. Jésus lui-même a déclaré : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pourriez pas les

sup-porter maintenant. »1 Malgré tout, depuis deux mille ans, on parle encore de ce Jésus, ce contact ambitieux entre le monde visible et invisible.

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— Et toi ? Es-tu un nouveau messie ? interrompit l’impulsive Lisane avec son espièglerie coutumière et dé-routante.

— T’es folle ou quoi ? s’anima aussitôt Ménahem. J’ai pas envie de le retrouver cloué sur une croix !

Théophane éclata de rire. Cette conversation plaisante allégeait le poids d’une longue nuit difficile.

— Si vous faites un concours de stupidités, je peux faire l’arbitre si vous voulez…

— Ah mais… je suis presque sérieuse ! répliqua-t-elle. C’est vrai, quoi ! D’où te viennent ces visions audacieuses et inédites ?

— Saint Jean dit : « Le vent souffle où il veut ; tu

en-tends le bruit qu’il fait, mais tu ne sais pas d’où il vient ni où il va. Voilà ce qui se passe pour quiconque naît de l’esprit de Dieu. »

— Oui mais… d’où te vient cette inspiration ? se sou-cia Ménahem à son tour.

— Tout le monde est habité par une petite voix inté-rieure mais peu le savent, peu l’entendent, peu l’écoutent, peu en tiennent compte. Je ne suis pas un nouveau mes-sager… D’ailleurs je ne voudrais pas d’un tel rôle !

Endormir les hommes par des révélations divines toutes

faites ? Non… je veux au contraire les éveiller à leurs propres pensées… Je n’ai jamais eu d’autres prétentions que de les rendre curieux de Dieu !

Se tournant vers Lisane, il ajouta d’un ton complice : — Et puis… ce n’est pas toi qui m’as dit un jour : « Au

cœur de tes intuitions, Dieu ne cesse de murmurer Sa Vérité. Alors cesse de clamer tes certitudes religieuses. Ecoute la Source, au cœur de ton cœur, Laisse Dieu en toi, se révéler » ?

Elle répondit d’un sourire dans le silence de la nuit… Nuit singulière où la mort de Cédric ne les mettait pas en face d’une grande affliction mais d’un grand mystère…

Ménahem ne se sentait nullement exclu de cette étrange paix et de cette curieuse discussion métaphysi-que. Il répéta tout haut la phrase énigmatique qu’il n’avait pas fini de décortiquer : J’exulte de tout l’amour que tu me

renvoies…

— Le moins que l’on puisse dire, commenta-t-il d’une voix troublée, c’est que Dieu semble comblé par ton par-cours…

— Il faut dire qu’Il a mis sur ma route de belles âmes qui en retirent tout le mérite… C’est moi le plus comblé…

A la lumière des sentiments qui les unissaient tous les trois, Lisane se mit à son tour à méditer la fameuse phrase : J’exulte de tout l’amour que tu me renvoies… quand soudain, son visage s’éclaira.

— Mais, cela veut dire que Dieu aussi est amoureux ! Malgré la nuit éprouvante qu’il venait de vivre, Théo ressentit un bonheur indicible, inexprimable par des mots. Son sourire s’élargit, ses yeux brillèrent de jubilation, il enferma à nouveau les mains de ses deux êtres tant ai-més comme on chérit un trésor inestimable et s’exalta avec passion :

— Evidemment que Dieu est amoureux ! Comment faire comprendre et admettre au monde cette vérité ?

Chaque brise dans les arbres est caresse de Dieu ! Chaque rayon de soleil est un baiser de Dieu ! Chaque idée novatrice est une inspiration de Dieu ! Chaque mélodie est un baume apaisant de Dieu ! Chaque paysage est le visage de sa splendeur !

Chaque brin d’herbe est la preuve de son existence ! Chaque frémissement de source est son murmure ! Chaque regard croisé est une rencontre avec Lui ! Chaque discussion est un échange avec Lui. Dieu ne désire que nos élans sincères et aimants. Il ne veut rien d’autre puisqu’Il est Tout :

L’eau, la terre et le feu… la nuit et le jour… l’espace et le temps… l’unité… la compréhension qui pénètre toute la création… la lumière qui réconcilie tout… Comment pour-rait-Il avoir besoin de quelque chose ? L’Amour n’a besoin

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de rien… sauf peut-être de nous : sa création qui Lui permet d’éprouver la sensation d’aimer ce qu’Il a créé !

Car Il n’a strictement rien d’autre à faire que de nous chérir… et Son unique prière est de nous voir faire de même, nous voir nous aimer les uns les autres comme Il nous aime… non pas, par obéissance à Sa toute Puis-sance mais pour nous voir devenir ce que nous sommes appelés à être… pour nous élever peu à peu à Son rang pour nous proposer d’être Son égal car Il nous attend en Son royaume.

Il exulte de nous voir bons joueurs, de nous voir nous démener, progresser, tâtonner, choisir, tomber, recom-mencer, apprendre, comprendre, espérer, désespérer, échouer, repartir au combat, nous relever et réussir car Son but final est assuré… Puisqu’Il nous aime… com-ment pourrait-Il nous perdre ?

Sa volonté n’a jamais été, comme ont voulu le faire croire toutes les religions du monde, de nous enfermer dans la crainte de Son courroux mais de nous combler de Sa joie parfaite.

Il exulte de nous voir lâcher nos limites humaines : nos préjugés, nos retenues, nos fausses croyances, nos peurs, nos jalousies, nos regrets…

Il exulte de nous voir garder uniquement ce qui se donne !

Troublé, Ménahem pressa sa main et frissonna : — Je… je comprends pourquoi tu donnes tant…

Théo se tut et sembla s’arrêter de respirer comme pour mieux prêter l’oreille afin de percevoir le souffle d’une brise. Son frère s’inquiéta de son silence :

— Qu’y a-t-il Théo ?

— Un nouveau message ? avança Lisane.

« Eveille le monde ainsi… »

frémit Théo tout bas.

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