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Tu découvres que tout sentiment sincère est sacré !

Dans le document "Fais-moi un signe !" Tome 2, Soléa (Page 35-43)

Le repas fut joyeux et copieux… Rien sur la table ne pouvait trahir le moindre problème financier. Antonin avait débouché sa meilleure bouteille qu’il réservait pour une occasion exceptionnelle.

Sans le savoir, Nahem avait gagné l’estime de Lisane. Grâce à la discussion volée derrière la cloison du box, elle s’était totalement identifiée à ce qu’il ressentait. Elle était bien placée pour comprendre la douleur d’un amour impossible… Une admiration et une compassion sans bornes étaient nées pour le beau Ménahem qui sans re-nier ses sentiments, avait réussi contrairement à elle, à supporter l’absence sans être détruit par l’entêtement et la dépendance. Elle était parfaitement consciente que son amour pour Théophane était identique au sien.

Autour d’une même table, ils péroraient tous les deux comme de vieilles connaissances sur sa naïveté patholo-gique qui le rendait si facile à manipuler et pendant ce temps, la victime en question se laissait patiemment malmener par leurs allusions moqueuses.

— Sais-tu que grâce à lui, on n’est pas près de man-quer de produits d’entretien ? fit Nahem malicieusement.

— Ah bon ? Raconte ! pressa Lisane toujours aussi cu-rieuse à son sujet.

— Tous les ans, l’I.M.E. de Fresnon propose des pro-duits fabriqués par les handicapés et comme il ne sait pas dire non dès qu’il s’agit d’une bonne cause, il en prenait une caisse à chaque fois ! Et bien figure-toi… on n’a tou-jours pas écoulé nos stocks !

— Même chose pour les sacs poubelles ! précisa Irène en provoquant l’hilarité générale.

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— Mais je tiens à me racheter, déclara le coupable. — J’aimerais bien voir ça ! s’exclama son frère. — Je vais travailler !

— Et que vas-tu faire ? demanda Lisane avec un sou-rire en coin qui trahissait sa petite idée sur le sujet.

— J’ai quinze années de mélodies qui se pressent dans ma tête… Les instruments de musique et le studio d’enregistrement sont à ma disposition.

— Mais où vas-tu trouver des musiciens ? s’emballa-t-elle aussitôt.

— Tu n’sais pas encore que Théo est un compositeur né et qu’aucun instrument ne lui résiste ? s’enorgueillit Ménahem. Il peut pratiquement tout jouer ! Il suffit d’enregistrer les différentes bandes sons séparément : voix, clavier, violon guitare et les superposer !

— J’ai quand même besoin d’un bon technicien pour tenir la table de mixage ! insinua Théophane d’un regard entendu.

— Faut voir… fit son frère en feignant de se faire prier. — Mais pour le financement ? s’interrogea Lisane de plus en plus émoustillée. Il faut prévoir la création du CD mais aussi son lancement !

— Sans compter que je n’ai pas l’intention d’en sortir un seul ! Je pourrais déjà en réaliser plusieurs à caractère religieux qui correspondent à plus de dix ans de composi-tion chorale, j’en ai un autre en cours que j’ai promis à mes jeunes de Pavigny mais pour l’instant… ajouta-t-il en soutenant jalousement le regard de sa belle, j’ai en tête un album d’inspiration beaucoup plus… romantique.

Claire vivait un moment de bonheur indicible et inespé-ré. Son fils était revenu à la maison, à la raison et à sa passion… Elle se retenait de manifester sa joie ouverte-ment telleouverte-ment elle craignait de voir s’évanouir un trop beau rêve. Elle ne voulut pas suggérer les anciennes re-lations de son mari qui pouvaient promouvoir ses projets. Elle avait fait trop d’erreurs par le passé. Elle émit juste une idée en espérant qu’Irène la développe à sa place…

— Pour la publicité… tu n’as guère de soucis à te faire. Avec Irène nous avons suivi ton interview à ta télé ! Tu as été exceptionnel… d’une présence…

— Mais oui, c’est vrai ! enchaîna Irène avec enthou-siasme. Quel succès ! C’était notre dernière nuit à l’hôtel ! Je revois encore la tête de la journaliste de Midi-Pyrénées qui t’a demandé en quoi tu voulais te reconvertir… Tu es connu là-bas et il te suffirait de claquer des doigts pour la faire venir quand tu veux. A mon avis, la promotion de tes musiques ne va certainement pas se limiter à une publi-cation régionale.

— Je ne vais pas imposer ce calvaire à Lisane, objecta Théo. Vous n’imaginez pas ce que les médias représen-tent pour elle !

— Tu plaisantes ! protesta Lisane. Tu dois réapparaître à l’écran avant que le public n’oublie ta superbe presta-tion ! Quand je vois comment tu t’imposes devant les caméras…

— Tu ne crains plus les médias ? s’étonna Théo. — Mais je ne suis pas concernée par cette interview. Et puis avec toi, les journalistes ne me font plus peur !

— Bon ! Et bien, je crois que nous n’allons pas prendre de vacances finalement ! Dès demain, je fais une pre-mière ébauche de mon album pendant que Ménah se charge des finances.

— Ben voyons ! fit-il d’un air goguenard. Aurais-tu par hasard, une toute petite idée pour trouver dix… ou vingt mille euros ?

— Et ma voiture qui dort au garage…

— Ah non ! Pas question ! trancha-t-il fermement. Pas la Porsche ! Je ne veux pas la vendre. Elle est comme neuve… de toute façon, je ne la vendrai pas ! Même… même si on m’en offrait pour…

Désemparé, Ménahem s’arrêta au milieu de sa phrase comme s’il s’était vidé d’un coup de toute sa substance vitale. Il ne pouvait avouer que ce petit bijou lui avait per-mis de supporter l’absence de Théo. Quand il allait mal, il faisait un tour en voiture faisant ronfler le moteur, usant la gomme sur le bitume et faisant défiler les souvenirs… Il la

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lavait, l’astiquait, l’entretenait sans laisser à la poussière le temps de se déposer sur la carrosserie. Théo posa sa main sur son bras.

— Hem… ! Tu n’as plus besoin de souvenirs !

Son frère leva les yeux sur lui et ne supporta pas son sourire chaleureux, son regard caressant, sa main sur son bras… ce contact éphémère si léger mais si lourd de tendresse. Son affection sincère n’avait jamais cessé de le tourmenter. Il se précipita dehors jusqu’à la barrière du grand pré. Il avait besoin de respirer.

Autour de la table, le silence s’installa. Claire, Antonin et Irène qui jusque-là s’étaient volontairement effacés de la discussion comme pour mieux en apprécier la saveur, ne surent pas comment la relancer. Ils auraient préféré entendre les éclats de rire se poursuivre jusqu’à la nuit comme une cascade de bonheur. Mais là, le désarroi de Ménahem ne souffrait d’aucune équivoque et sa réaction laissa tout le monde perplexe et soucieux. Lisane prit la main de Théo pour la porter à son visage et dans le creux y déposa un baiser.

— Je te demande d’aller le voir ! — Non, murmura Théo.

Ménahem n’était pas réapparu… Une ombre planait au-dessus de cette soirée trop bien commencée. Chacun faisait preuve d’une courtoisie un peu forcée pour sauver l’ambiance. Prétextant la fatigue de la route, Théophane demanda à se retirer juste après le repas.

Dans la chambre, Lisane s’extasiait de ce nouvel envi-ronnement en particulier devant les portraits aux murs mais Théo restait préoccupé.

— Dis-moi, mon trésor, tu as cherché à me rapprocher de Nahem tout à l’heure… je me trompe ?

— Il a besoin de toi…

Confus, il la dévisagea en espérant comprendre.

— Mais… à quoi joues-tu Lisane ? Tu sais ce qu’il éprouve pour moi ! Souviens-toi de tes propres

manigan-ces… Ne vois-tu pas le même danger avec lui ? Tu n’as pas peur ?

La jeune femme soutint son regard grave avec espiè-glerie et prit un air exagérément possessif.

— Mon amour… Si je pouvais te garder pour moi toute seule et te cacher aux yeux du monde ! Mais… comment enfermer le soleil dans une boîte ?

Amusé et flatté de cette comparaison, il baissa les yeux et s’abandonna à ses paroles exquises.

— Tu ne m’appartiens pas Théophane ! Je l’ai su dès le premier regard que j’ai porté sur toi ! Tu es celui qui donne sans compter… celui qui diffuse joie et réconfort autour de toi, malgré toi. Tout ce que tu offres se multi-plie… Je n’ai pas le droit de limiter ton rayonnement à ma petite vie. Il me faut te partager, étendre ta soif d’absolu et ta capacité à aimer l’humain car tu aimes tous ceux que tu côtoies : tes paroissiens, les enfants de ta chorale, tes jeunes de Pavigny et puis surtout, tu aimes ton frère bien plus que tu ne le crois… Moi aussi, j’ai quémandé une petite part de toi ! De quel droit en priverai-je ceux qui t’aiment ?

— Tu es adorable mon ange… un peu romanesque et naïve… plus que moi, pour une fois ! Car vois-tu, je ne suis pas sûr que les intentions de Nahem soient aussi pures que les tiennes…

— Et moi, je suis sûre qu’il est disposé, comme je l’étais moi-même, à se contenter de quelques miettes… Lorsque tu te refusais à moi, je te suppliais de continuer à me faire souffrir… tu te souviens ? Que tu le veuilles ou non, nous avons une exigence commune lui et moi : Ta présence ! Simplement te voir, te parler… et notre joie est complète ! Je ne vais quand même pas récupérer les dé-fauts d’égoïsme et d’intolérance que j’ai tant reprochés à l’église !

Elle sortit de son grand sac son nouveau cahier, elle l’ouvrit et lui indiqua son dernier texte en prenant un petit air mutin émoussé d’un brin de pudeur.

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— Je pense ce que je dis… J’y ai beaucoup réfléchi…

« Je ne veux pas t’emprisonner Je veux juste être avec toi ! Je ne te demande pas de m’aimer Tu ne sais faire que ça…

Je veux être celle Qui saura te partager… Le soleil n’est pas fidèle

et ne choisit pas qui réchauffer. Garde tes ambitions

Je m’envolerai avec elles. Ton bel horizon m’appelle

Et peu importe mes ailes de papillon… »

En gardant un sourire embarrassé, Théo lisait tout bas ce petit poème intitulé : « Le soleil et le papillon ». Il était stupéfait de tant de générosité. Normalement, l’amour côtoie de près la jalousie, la haine. Cette volonté de le partager était tout simplement contre nature. En toute sincérité, il n’envisageait pas une seconde la possibilité d’une attirance physique pour Ménahem mais il était si attaché à lui qu’il devait convenir quand même d’une cer-taine attirance confuse et cela depuis toujours. Ne venait-il pas de faire une maladresse en venant poser sa main sur son bras ? Il soupira longuement à l’idée de les faire souffrir encore tous les deux.

— Nahem est… tellement… — …amoureux ! Je sais…

— et aussi un peu manipulateur… comme toi ! Et moi, j’ai tant d’affection pour lui…

— Ne te tourmente pas ainsi ! devança-t-elle en le voyant en proie à ses doutes. Sois naturel ! Comme tu l’es avec n’importe qui ! Laisse-le se réchauffer à ce que tu peux lui donner.

— Je ne suis pas à l’abri d’un faux pas… — Le soleil ne sait que briller…

Théo la serra dans ses bras et la garda longuement contre lui. Il ne pouvait rien ajouter, juste s’abandonner à

sa sagesse sereine et confiante quand soudain il se re-dressa d’un air préoccupé.

— Lisane, il y a autre chose qui me tourmente… — Quoi, mon amour ?

— Je pensais… enfin, je voudrais savoir…

Il hésitait à aborder un autre sujet assez délicat pour lui. Sans se dégager de son épaule, Lisane attendait pa-tiemment en se délectant de son embarras : il était tellement craquant dans ces rares moments où il faisait preuve d’inexpérience.

— Oui… je t’écoute.

— Il me semble que nous avons pris quelques risques. Je… je ne t’ai jamais vu prendre de précautions et… je crains que… enfin, j’en serais très heureux mais… pas maintenant… tu es encore si fragile… bafouilla-t-il au comble de la gêne.

— C’est maintenant que tu t’en préoccupes ? fit-elle en simulant une bouffée d’indignation.

— Je suis un irresponsable, se reprocha-t-il tout bas. — Aucun risque… Les anorexiques en voix de guéri-son connaissent plusieurs mois d’aménorrhée.

Vu son air perplexe, elle comprit que ce mot ne figurait pas encore dans son vocabulaire pourtant très étendu. Elle lui expliqua :

— J’ai abordé le sujet avec le docteur Jakobson avant de quitter l’hôpital. Il m’a prévenue qu’il me faudrait six mois à un an avant de retrouver des cycles normaux. En attendant, pas d’ovulation, pas de risques…

— Ah bien… très bien… fit-il, soulagé de fermer cette délicate parenthèse.

Alors oriente ton avenir

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