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Tu accueilles de si belles émotions !

Dans le document "Fais-moi un signe !" Tome 2, Soléa (Page 25-35)

Théo retrouvait toutes les sensations grisantes du ga-lop en pleine forêt : les odeurs de la terre et des arbres, le bruit des sabots résonnant différemment selon la nature du sol, l’envol des oiseaux qui, surpris dans leur retraite, abandonnaient précipitamment le feuillage des arbres ou des buissons. Il reconnaissait la moindre courbe, les en-droits accidentés où il fallait ralentir, chaque arbre, chaque pierre. Il savait que ce parcours l’emmenait au refuge de leur enfance.

Dans ses souvenirs, le chemin était beaucoup plus abîmé. Devant la petite chapelle du Valprofond, il comprit que l’endroit avait été non seulement entretenu mais aménagé… Pour le plus grand bonheur des yeux, les clochettes bleues étaient toujours là, tapissant les sous-bois et les fossés sur cinq cents mètres. Les chevaux avançaient au pas dans cette mer irréelle à la fois bleu roi et vert émeraude. Théo s’extasiait devant cette profusion de fleurs sauvages et murmurait « Tu nous donnes la vie

et Tu nous la donnes en abondance… »

Le chemin se séparait de chaque côté de la chapelle formant un Y. Ils posèrent le pied à terre pour attacher les chevaux aux barrières nouvellement installées. Théo re-marqua aussi l’installation récente de bancs et de poubelles. Tout était en bois. Nahem sentait qu’il n’allait pas échapper à sa curiosité, il essaya de la détourner :

— Tu te souviens, lorsque nous venions ici très tôt le matin ? Il n’était pas rare de surprendre un chevreuil…

— C’est toi qui a fait installer tout ça ? demanda Théo en s’asseyant sur le joli banc tout neuf.

— Non… C’est la commune.

— Ah… Vous avez aussi vendu la forêt d’Elfée… com-prit-il sans voix.

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Nahem s’assit à côté de lui. Le feu de ses sentiments se contenait mal dans sa gorge étranglée.

— En cette saison, l’endroit est sublime… Tu aimais la floraison des clochettes bleues… La semaine prochaine tout sera fané.

— C’est vrai… merci, Ménah…

— Tu aimais aussi parcourir les landes couvertes de bruyères… voilées de brumes fantomatiques… Cette am-biance envoûtante te fascinait et me terrorisait mais avec toi… je n’avais pas peur… je t’aurais suivi n’importe où…

Théo sourit… L’eau déversait sa tendresse : — …même sur le chemin des trognes ?

Il lui rendit un sourire amusé en se souvenant de la trouille qu’il ressentait devant ces énormes souches de chênes vieilles de plusieurs siècles. Elles donnaient au bocage un air si mystérieux, si inquiétant qu’il avait la sensation de braver des monstres tordus et hideux prêts à se réveiller à la première occasion pour lui courir après.

— Pour me rassurer, tu me disais qu’elles restaient pé-trifiées au passage de belles âmes et… que je n’avais rien à craindre…

Sa voix se fit prudente et troublée.

— La Sologne te ressemble Théo… magnifique… mystérieuse… envoûtante…

Théophane percevait son émotion évidente. C’était son frère adoré et il aurait aimé le serrer très fort dans ses bras mais il leva les yeux vers le ramage des grands ar-bres pour ne pas croiser son regard.

— Bientôt, l’air bruissera du bourdonnement des abeil-les et sentira le parfum âcre des fleurs des châtaigniers.

— Tu l’appelais l’arbre à pain… évoqua encore Nahem avec nostalgie. Tu m’expliquais qu’autrefois, la forêt ga-rantissait la subsistance des pauvres qui se nourrissaient de champignons, de miel, de gibier, de poissons des étangs et du châtaignier appelé : l’arbre à pain…

— L’arbre à pain… répéta Théo comme pour retrouver la saveur d’un souvenir oublié.

Des émotions ambivalentes l’habitaient : le plaisir ex-quis de traverser sa forêt qui n’était plus sa forêt et le bonheur suprême d’être là, assis à côté de son frère et… de ne pas pouvoir lui manifester.

Attristé, il commençait à réaliser que le domaine avait disparu comme une peau de chagrin. Il n’en était pas af-fecté personnellement mais il comprit que ces dix dernières années avaient été éprouvantes pour sa mère. Elle avait gardé le secret et même entretenu l’illusion d’une vie aisée en continuant de lui envoyer des colis coûteux sans correspondance pour donner le change… ne pas se trahir… pensa-t-il en ravalant sa salive.

— Hem… où en est la situation financière aujourd’hui ? — Depuis quand tu t’intéresses à l’argent, toi ?

— Je m’intéresse à ma famille… et tu es toute ma fa-mille… Ma mère m’a déshérité en ta faveur mais… si c’est pour te laisser des dettes ! Irène ne m’écrivait que pour m’informer du meilleur… En fait, je ne savais rien de ce qui se passait ici… Pourquoi ne m’as-tu rien dit ?

— C’était trop dur ! coupa-t-il sèchement.

— J’imagine… fit-il en acquiesçant de la tête. Mais j’aurais peut-être pu vous soutenir moralement. Je ne sais pas moi… vous conseiller… vous aider dans les décisions à prendre !

— Mais tu l’fais exprès ou quoi ? fit-il avec agacement. C’est ton absence qui était trop dure ! Pas les soucis d’argent…

Le jeune homme grimpa sur son cheval, il devait s’éloigner de lui pour ne pas lui balancer tout ce qu’il avait sur le cœur. Ebranlé au dedans, Théophane le rejoignit en silence exprimant un apparent calme olympien.

Ménahem le scrutait, attendant avidement une réac-tion. Il ne vit que son visage grave, son élégant coup de rein pour enfourcher sa selle et sa dextérité à mener Ally comme s’il le montait depuis toujours. Le jeune étalon

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impétueux avait trouvé son maître. Les chevaux rentraient au pas, côte à côte, en direction des Ombelles.

Les deux hommes longeaient le lac de Coreille sans prononcer un mot, l’un agité et contrarié… l’autre sombre et pensif… Le ciel s’y reflétait et lui donnait une profon-deur imaginaire, infinie. La contemplation de ce miroir troublé par le mouvement des roseaux, des renoncules, des nénuphars et de toute une faune qui grouillait dans les eaux sombres, piégea à nouveau les deux frères dans les filets du passé. Sans le vouloir, Théo surprit le sourire de Nahem et le lui rendit…

Impossible d’échapper aux souvenirs…

Une nuit d’été, ils étaient passés à cheval exactement à cet endroit devant la surface tantôt noire, tantôt brillante de cet étang. Cette balade nocturne les avait emmenés dans un étrange univers sonore. Autour de l’étang, les grenouilles, les poules d’eau, les foulques, les grèbes et les canards avaient interprété une incroyable cacophonie répercutée en écho par la lisière des forêts. Les sons étaient venus de partout et de nulle part. Une écharpe de brume avait diffusé de maigres rayons de lune. Le mys-tère les avait enveloppés d’un frisson inoubliable et ils en frissonnaient encore…

— Comment ai-je pu vivre loin de tout cela ? s’étrangla Théophane.

Intérieurement, Ménahem jubilait… triomphait… Son frère était revenu et tout était intact ! Tout ! La forêt, les chevaux, leurs souvenirs, leur complicité unique. Certes, il y avait bien quelques broutilles matérielles qu’il se mit à énumérer avec détachement :

— La situation est saine… Il reste quelques travaux de rénovation à finir dans la maison c’est vrai… mais pas le moindre retard dans les factures. Seulement… il n’y a plus de terres sauf le grand pré, le manège et les dépen-dances en ruine.

Théo ne répondait plus. Se terrant dans un silence coupable, il écoutait avec le plus grand intérêt le

monolo-gue tranquille et optimiste de son frère, ponctué de lon-gues pauses.

— Le quotidien est plus sain aussi… plus de saison-niers à rémunérer pour les moissons ou pour l’entretien de la forêt… Regarde ! comme elle est belle depuis qu’un garde forestier s’en occupe à plein temps ! Et puis, si elle est ouverte au public, elle nous reste accessible à nous aussi… Crois-moi, ça aurait pu être pire… Quand je pense qu’elle a failli appartenir à un riche industriel japo-nais ! Heureusement que la mairie a usé de son droit de préemption pour sauver le patrimoine français ! Et puis maintenant, je peux me consacrer entièrement au ha-ras… Les box sont pleins mais ne te leurre pas… Ce sont des chevaux en pension appartenant à de riches proprié-taires qui n’aiment que le plaisir de l’équitation sans les contraintes… Il nous reste quand même cinq chevaux à nous et trois poneys qui font tourner Les Mousquetaires… une petite activité modeste mais qui commence à être connue dans la région… Tous les mercredis, les wee-kends et les vacances scolaires, je donne des cours d’équitation aux enfants… En semaine, c’est plus calme mais je reçois parfois des classes vertes, quelques retrai-tés, des handicapés mentaux légers de l’institut médico-éducatif de Fresnon… Et puis, il n’y a plus de fêtes de village sans mon stand, le préféré des enfants…

La curiosité fit sortir Théo de son mutisme. — Quel stand ?

— Des promenades en calèche… Les enfants peuvent se déguiser en mousquetaires. Je suis leur d’Artagnan !

— Ah… je comprends mieux ton nouveau look ! sourit Théo en le détaillant de la tête aux pieds.

— J’aime bien ce rôle… Il me permet d’échapper à mon identité… spécifia Ménahem piqué par sa réflexion.

Le sourire de Théo s’effaça… Il comprit combien son activité professionnelle et son épanouissement personnel étaient fragiles.

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Après avoir visité la propriété pendant une demi-heure, Lisane sentit son cœur s’accélérer légèrement. Par pré-caution, elle regagna la maison pour avaler un comprimé supplémentaire d’aténolol. En retournant aux écuries, elle reconnut leurs voix… Rassurée, elle fit demi-tour en échappant à leur attention. Elle ne voulait pas abréger leurs retrouvailles ni leur imposer sa présence. Son cœur avait retrouvé un rythme normal et ils avaient tant de cho-ses à se raconter… Cependant, elle distingua un fragment de conversation qui la fit bifurquer dans le box voisin. Seule une cloison de bois la séparait d’eux.

— Hem ? Tu as quelqu’un dans ta vie, risqua Théo ? — Evidemment !

— Ah mais… C’est génial, ça ! Pourquoi ne le disais-tu pas ? Je suis tellement content ! Tu nous le présenteras ?

— Sûrement pas ! Ça risquerait de plomber l’ambiance à table… tu ne crois pas ?

Théo se mit à rire de bon cœur, pas vraiment pour sa réplique mais pour le soulagement que lui apportait cette bonne nouvelle.

— Tu as raison ! Quoique… Lisane a fait évoluer les esprits, tu sais !

— J’ai remarqué… Ta mère est méconnaissable mais alors toi… n’en parlons pas !

— Que veux-tu dire ?

— Je veux dire qu’elle t’a un peu décoincé mon cher Théophane… même s’il y a encore du boulot…

— C’est vrai… admit-il d’un ton amusé. Comment s’appelle ton ami ?

Ménahem prit un air désolé et soupira : — Comme quoi… y’a encore du boulot ! — Je ne comprends pas…

— Je n’ai pas un ami… mais des amis ! Je ne suis pas un idéaliste fidèle comme toi ! Je me contente de relations passagères… Pour les homos, c’est pratique les sites de rencontres… surtout quand on vit au fond de la cam-brousse !

Un silence étouffant et douloureux meubla sa décep-tion jusqu’à ce qu’il reprenne avec sa sincérité familière :

— J’aurais tellement aimé te savoir heureux avec quelqu’un… Je t’aime comme mon propre frère, mon seul frère… et je m’inquiète pour toi…

— Ouais… c’est ça ! s’emporta Nahem sans prévenir. Je mène une conduite à risques ! Grand Frère s’inquiète pour moi ! Pour ma santé ou pour le repos de mon âme ?

— Pour ton bonheur… reprit lentement Théo en détes-tant la tournure que prenait leur discussion. Tu… tu fais… attention à toi Hem… ?

— Nous-y voilà ! Tu as une confiance inébranlable en ton Dieu et aucune en moi ! Ta foi me semble bien sélec-tive ! ajouta-t-il d’un ton sarcastique. Mais je pourrais te renvoyer ta question : Est-ce que toi, tu prends des pré-cautions ?

Théo reconnaissait derrière ce ton cynique et irrité l’aveu d’un attachement brûlant et difficile à cacher. Il ba-fouilla de gêne.

— Comme tu l’as dit… je suis un idéaliste… résolu-ment fidèle.

— Hum… Fidèle ! On croirait entendre Benoît XVI ! Tu défends ses idées contre le préservatif ?

— Non… Les idées du pape font beaucoup de tort à une église qui essaie de s’adapter à notre temps. Il m’aurait été impossible de soutenir ses idées si j’étais resté prêtre.

Sa colère ironique retomba comme elle était montée mais il garda un petit sourire moqueur.

— Rassure-toi, je suis prudent… extrêmement prudent même ! Et en ce qui te concerne… je ne pensais pas à la maladie mais plutôt à l’heureux événement…

La pertinence de ses propos lui glaça le dos. A aucun moment, Théo n’avait envisagé cette éventualité. Subite-ment, il se sentit comme un parfait irresponsable, un doux rêveur, baignant dans un bonheur facile et sans consé-quences. Ménahem lui faisait prendre conscience sans

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ménagement qu’il ne vivait plus sous cloche, hors du monde, exempt de tous soucis humains, matériels et fi-nanciers. Il était grand temps qu’il abandonne cette aura de naïveté accolée aux prêtres comme une étiquette…

L’écurie se replongeait dans le silence. De l’autre côté de la cloison, Lisane pouvait entendre les chevaux qui se laissaient bouchonner en manifestant leur contentement.

— Peut-être qu’un jour tu tomberas sur un mec sé-rieux, reprit Théo d’un ton lourd… quelqu’un qui te rendra heureux !

— Je suis déjà tombé sur un mec sérieux et je ne m’en suis pas encore relevé…

Cette fois-ci, Lisane n’entendait plus que son cœur qui s’emballait. L’atmosphère devenait pesante et Ménahem tenta d’y remédier.

— Elle a l’air sympa Lisane… et elle est très belle… — Nous pouvons partir plus tôt si tu veux…

A nouveau, le jeune homme se mit en colère.

— Non mais, tu rigoles ! Tu n’crois pas que t’es parti assez longtemps comme ça ?

— Quatorze ans ! précisa Théo assez durement.

Pourquoi n’as-tu jamais répondu à mes lettres ? Je serais revenu te voir sans hésiter si tu en avais manifesté le dé-sir mais tu ne m’as pas fait le moindre petit signe pendant tout ce temps !

La brosse de Ménahem tomba dans la paille. La rage le submergeait et il la dissimulait contre le flanc de son cheval. Théo tenait à poursuivre la conversation jusqu’au bout. Sa ligne de conduite lui avait toujours dicté la sincé-rité et il comptait bien l’imposer de gré ou de force en revenant dans cette famille habituée à cultiver les doulou-reux secrets.

— Tu veux que je te dise Hem… comment j’ai interpré-té ton silence ?

— Je… je ne pouvais pas te répondre…

— J’ai pensé que tu avais choisi de me rayer de ta vie pour rebondir et je t’ai donné raison… J’en suis arrivé à

ne plus t’écrire… pour ne pas entretenir des souvenirs que tu devais effacer… Mais moi… je ne pouvais pas t’oublier ! Je me suis toujours interdit de revenir parce que j’étais persuadé que c’était ta volonté… une nécessité pour toi : me renier pour te reconstruire…

En se redressant, Nahem montra un visage dévasté. Surpris et bouleversé par ses larmes, Théophane n’hésita pas une seconde à le serrer dans ses bras. Son frère l’empoigna avec la force du désespoir et balbutia à tra-vers ses sanglots.

— Je n’ai rien construit Théo ! Rien réussi… Je n’ai rien fait d’autre que de m’occuper de tes chevaux, ton domaine, ton studio, ta voiture… Je lisais et relisais tes lettres… J’écoutais tes chansons, ta voix… Je n’ai vécu qu’à travers les souvenirs…

— Hem… Hem… supplia Théo en maintenant sa tête contre son épaule. Je suis tellement désolé…

— C’est comme ça… fit-il en se dégageant vivement de ses bras dont l’emprise devenait insoutenable.

Ménahem n’affronta pas ses yeux… juste sa nuque et s’appliqua à retirer un brin de paille glissé dans son cou et parvint enfin à en détacher son regard. Il ramassa sa brosse, débarrassa son cheval de son licol et le laissa libre dans son box.

— Irène ne m’a rien dit de tout cela… souffla Théo. Elle parvenait à me parler de la souffrance de ma mère… mais elle a toujours refusé d’entendre la tienne… Il aurait mieux valu que je ne sache rien… je n’aurais pas suppor-té ton silence… je serais venu me rendre compte par moi-même… Hem… Que devais-je faire ? Que dois-je faire maintenant ?

— Ne pars pas s’il te plaît ! Ne pars pas… Ne me prive pas de ton affection même si elle n’est que fraternelle…

— La présence de Lisane va te faire souffrir…

— C’est grâce à elle si tu es revenu. Elle est… ce qui m’est arrivé de mieux depuis ton départ ! Je ne peux pas me permettre le luxe d’être jaloux !

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— Je ne peux pas quoi… ? s’énerva-t-il à nouveau. Gérer mon attirance pour toi ? Mais occupe-toi de tes affaires ! Ça ne te regarde pas ! Je te demande juste un peu d’amitié, bordel ! Ça ne devrait pas être si compliqué que ça, pour un ancien curé !

— Hem… Comment ne pas te faire souffrir ? Il lui adressa un regard suppliant.

Tu découvres que tout sentiment

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