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Extrapolation aux conditions naturelles

Dans le document Diffusion du plomb dans la monazite (Page 156-160)

II. LES TECHNIQUES D’ANALYSE

V.3. Extrapolation aux conditions naturelles

Nos échantillons se différencient entre autres des monazites naturelles par leur composition chimique. Alors que les cristaux utilisés pour mesurer l’interdiffusion Pb2+ + Th4+⇔ 2 Nd3+ ne contiennent que du néodyme, les monazites naturelles peuvent intégrer tout le spectre des terres rares légères. Cependant, comme le comportement chimique des terres rares légères est identique au premier ordre, nos mesures avec le néodyme doivent être représentatives du spectre des terres rares légères, ce qui semble être confirmé par la similarité de nos résultats et ceux de Cherniak et al. (2004a) où les expériences ont été réalisées dans des monazites de cérium. Le cation le plus concentré en site nonaédrique après le lanthane, le cérium et le néodyme est le thorium. La similarité entre les diffusivités mesurées pour l’échange Pb2+ + Th4+⇔ 2 Nd3+, où le contrôle se ferait par NdPO4

Pb

D , et pour l’échange Pb2+ ⇔ Ca2+, où le contrôle se ferait par Nd0.66Ca0.17Th0.17PO4

Pb

D , montre que la concentration en thorium n’a pas d’influence majeure sur le coefficient de diffusion, en tout cas dans les gammes de concentrations naturelles. On ne s’attend donc pas à ce qu’il y ait de grandes différences pour la diffusivité du plomb dans les monazites naturelles à cause de la composition chimique. Nous n’avons étudié qu’une seule direction de diffusion pour l’échange Pb2+ + Th4+⇔ 2 Nd3+ : [-101]*. Or, a priori, la diffusion est anisotrope. La structure de la monazite n’est pas fortement anisotrope (Fig. V.4). Le long des axes a et b les nonaèdres sont connectés en partageant une arête (Fig. V.4a, b). Cette connexion n’existe pas le long de l’axe c où les nonaèdres alternent avec les tétraèdres (Fig. V.4a). Il est possible d’éviter les tétraèdres avec les nonaèdres de deux chaînes adjacentes (Fig. V.4c). Cette voie hélicoïdale est plus sinueuse. Si on suppose que la diffusion se fera préférentiellement par sauts de sites nonaèdres connectés par une arête, les diffusivités selon a et b devraient être plus fortes que selon c. Dans la direction dans laquelle nous avons fait nos expériences de diffusion, c'est-à-dire perpendiculairement aux faces (-101), il n’existe pas non plus de connexion directe (Fig. V.4d, e). Nous n’avons a priori pas étudié une des directions les plus rapides. Il existe d’autres axes où les nonaèdres sont connectés par une arête, par exemple [101] (Fig. V.4d), et on ne pourrait conclure sur l’anisotropie qu’en déterminant les directions principales du tenseur de diffusion. Mais Smith et Giletti (1997) n’ont trouvé qu’une diffusion 2 à 5 fois plus lente le long de l’axe c par rapport aux directions perpendiculaires, et Cherniak et al. (2004a) n’ont pas observé d’anisotropie. Bien qu’il n’ait pas été orienté, le grain dans lequel nous avons mesuré les profils d’échange Pb2+ ⇔ Ca2+ doit avoir une direction différente de [-101]*, or

nous ne pouvons pas différencier les diffusivités que nous en avons extrait de celles déterminées pour l’échange Pb2+ + Th4+⇔ 2 Nd3+, le long de [-101]*.

Fig. V.4. Structure de la monazite. Les atomes en sites nonaédriques sont roses et les

atomes en sites tétraédriques sont bleus. Les oxygènes, sur les sommets des polyèdres, sont omis pour plus de clarté. (a) Plan (100). Cette figure est orientée similairement à la Fig. I.2. « Verticalement » se trouve l’axe b le long duquel les nonaèdres sont connectés par une arête. « Horizontalement », on retrouve les chaînes de l’axe c où alternent nonaèdres et tétraèdres. (b) Plan (001). Les nonaèdres sont connectés par une arête le long de l’axe a, « vertical ». (c) Chaîne de l’axe c. Pour éviter les tétraèdres, il faut passer par les nonaèdres de deux chaînes adjacentes, selon une trajectoire hélicoïdale. (d) Plan (010). Le plan « horizontal » est (-101), c'est-à-dire les faces des cristaux que nous avons étudiée. La direction « verticale » correspond à [-101], qui est à peu de chose près confondue avec [- 101]*. La direction « horizontale » est [101], où les nonaèdres sont connectés par une arête. (e) Connexion des nonaèdres dans la direction [-101]. Ce zigzag est compris dans le plan ([-101], [010]).

a b

c d

Il est peu probable que la diffusion du plomb dans la monazite soit fortement anisotrope. L’anisotropie doit être inférieure aux incertitudes de mesure et on doit pouvoir considérer la diffusion isotrope à un ordre de grandeur de près.

Il est donc raisonnable de supposer que la loi d’Arrhenius déterminée par les expériences d’interdiffusion Pb2+ + Th4+⇔ 2 Nd3+ soit représentative de l’hétérodiffusion à grande dilution du plomb dans une grande variété de monazites. Et c’est bien ce coefficient qui nous intéresse dans le cas naturel car le plomb est toujours faiblement concentré dans les monazites. Les échanges Pb2+ + Th4+⇔ 2 Nd3+ et Pb2+ ⇔ Ca2+ ont été en partie choisis parce qu’ils sont probables pour la diffusion du plomb dans les monazites naturelles. Mais même s’ils ne jouent pas dans le cas naturel, ils permettent d’estimer l’hétérodiffusion à grande dilution du plomb, qui sera, quelque soit le couplage et à un ordre de grandeur près, la vitesse maximale que pourra atteindre le plomb dans une monazite.

Cela dit, nous avons réalisé nos expériences dans des conditions restreintes et différentes des conditions naturelles. Tout d’abord, nous avons fait nos expériences entre 1200 et 1500°C, gamme bien plus haute que les températures crustales communes. Ainsi, pour appliquer notre loi au cas naturel, il faut déjà l’extrapoler à basse température. Cela soulève le problème de la validité de la loi à plus basse température. En effet, rien ne nous permet d’affirmer que les paramètres d’Arrhenius déterminés entre 1200 et 1500°C sont identiques à plus basse température, et qu’en particulier qu’aucun changement dans l’énergie d’activation n’intervient à plus basse température à cause d’un changement dans la population des défauts ponctuels impliqués dans la diffusion du plomb. Nous ne connaissons pas d’étude reportant la population de défauts ponctuels dans les monazites. Il est fort probable que la diffusion du plomb que nous avons observée soit de type intrinsèque, c'est-à-dire ce faisant à l’aide de défauts ponctuels natifs (dont l’existence est seulement liée à l’agitation thermique et non pas aux conditions environnantes). Le régime intrinsèque survient aux hautes températures et se caractérise par de plus fortes énergies d’activation. Bien que notre énergie d’activation ne soit pas particulièrement très forte, la gamme de températures dans laquelle nous avons fonctionné (jusqu’à 1500°C) laisse penser que nous nous trouvons en régime intrinsèque. Cela est renforcé par la concordance de nos résultats avec ceux de Cherniak et al. (2004a) qui n’ont pas vu de différence forte entre échantillons naturels et synthétiques : la population de défauts présents initialement dans les deux matériaux, a priori différents, ne semble pas avoir joué mais seulement les défauts natifs qui apparaissent à haute température, a priori identiques. Maintenant, un changement du régime intrinsèque vers le régime extrinsèque, c'est-à-dire par lequel la diffusion se fait principalement par des défauts ponctuels équilibrés par les

conditions environnantes, est tout à fait possible à plus basse température, c’est à dire aux températures crustales. En régime extrinsèque, les énergies d’activation sont en général plus faibles car à cette énergie ne contribue plus l’énergie de formation des défauts ponctuels mais seulement l’énergie de migration. Si un changement de mécanisme intervient à plus basse température, il sera accompagné par une diminution de l’énergie d’activation. L’extrapolation de notre loi sous-estimerait alors les diffusivités. Mais nous ne pouvons pas vérifier cela expérimentalement, car les diffusivités seront toujours trop faibles à plus basses températures pour obtenir des profils de diffusion mesurables. A ce stade, des simulations numériques seraient sans doute nécessaires. Nous devons donc nous contenter de la loi établie ici, tout en gardant à l’esprit qu’elle n’est peut être plus valable à basse température.

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