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Expression du mélange et hétérogénéité dans les environnements sédimen-

probablement un rôle important. De l’hétérogénéité stratigraphique au sein des corps sé- dimentaires pourra être créée par la suite, par l’action de transport sélectif et de ségréga- tion des agents hydrodynamiques. Ce type de mélange est caractéristique des plateformes silicoclastiques à forte productivité biologique, comme c’est le cas dans la Manche (Lar- sonneur, 1971 ; Larsonneur et al., 1982), ou d’environnements sédimentaires fins de replats de marée. C’est deux exemples seront détaillés dans la suite de ce chapitre.

Outre les processus associés aux mélanges des faciès carbonatés et silicoclastiques, l’existence et les caractéristiques d’un sédiment mixte dépendent bien évidemment des facteurs qui contrôlent la production de chacun de ses pôles. L’apport sédimentaire sili- coclastique est conditionné principalement par le climat, le niveau marin, la morphologie du domaine côtier, ainsi que par l’hydrodynamisme (Zecchin et Catuneanu, 2017). A ces facteurs s’ajoutent pour la production des sédiments carbonatés des facteurs physico- chimiques et trophiques (Pedley et Carannante, 2006 ; Pomar et Kendall, 2008).

I.3

Expression du mélange et hétérogénéité dans

les environnements sédimentaires mixtes silico-

bioclastiques

Quel que soit le modèle à l’origine du mélange, les sédiments mixtes silico-bioclastiques sont mobilisés et remaniés par les processus hydrodynamiques (houle, marée) prévalant dans le milieu littoral. Les sédiments transportés dans le domaine subtidal et intertidal par les courants de marée se structurent en dunes ou en bancs, et les sédiments se trouvant dans la zone d’action des houles participent à la construction de barrières littorales. Les différences de forme et de densité entre les particules silicoclastiques et bioclastiques conduisent à des phénomènes de transport sélectif, de ségrégation et de tri, qui s’expriment souvent dans l’enregistrement sédimentaire par une stratification hétérolithique. D’autre part la composition sédimentaire, au travers des modes et longueurs de transport des particules ou de la porosité du sédiment, a une influence certaine sur la morphologie des corps sédimentaires.

Chiarella et Longhitano (2012), Chiarella et al. (2012) et Longhitano et al. (2012) interprètent la stratification hétérolithique bioclastique / silicoclastique (Figure I.2 – A, B) de dunes tidales plio-pléistocènes dans le Sud des Apennins (Italie) afin de mieux contraindre les conditions hydrodynamiques de l’environnement de dépôt. Des indices de ségrégation et de rapport silicoclastique / bioclastique permettent de différencier les mi-

lieux de dépôt en fonction de la profondeur. Pour des profondeurs supérieures à l’action des houles de tempête, les stratifications obliques hétérolitiques correspondant à la migration de dunes sous-marines sont interprétées comme le résultat de l’action d’un courant dont l’intensité est modulée par la marée. En condition de forts courants, les bioclastes offrant par leurs formes aplaties une large portance sont transportés en suspension (Figure I.2 – C). En "by-pass", ils ne participent pas à la construction de la dune. Seuls les particules silicoclastiques transportées par charriage viennent s’accumuler sur la face d’avalanche et participent à la préservation de lamines obliques. En conditions de courant décroissantes en intensité, les particules bioclastiques sédimentent et enrichissent la surface des dunes (Figure I.2 – C). Transportées par charriage jusqu’à la face d’avalanche, elles participent

Figure I.1. Modèle conceptuel du mélange occasionnel provoqué par des évènements de haute énergie (Chiarella et al., 2017 d’après Mount, 1984).

I.3 Expression du mélange et hétérogénéité dans les environnements sédimentaires mixtes silico-bioclastiques

Figure I.2. Ségrégation bio-silicoclastique sous forme de lamination (A – Longhitano et al.

(2010), B – Chiarella et al. (2012)). Les processus de ségrégation expliqués dans le papier de Chiarella et Longhitano (2012) (C).

alors au dépôt de lamines à dominance bioclastique.

Autre exemple dans l’actuel, l’étude de Franzetti et al. (2013) sur le "Banc du Four" en Bretagne (détroit de Fromveur, NE de Ouessant) montre une relation particulière entre la hauteur et la longueur d’onde (Figure I.3 – A), ainsi qu’entre la hauteur et l’épaisseur (Figure I.3 – B) des dunes géantes qui forment ce banc subtidal constitué de sédiments mixtes riches en bioclastes. Les auteurs font l’hypothèse que c’est la composition même du sédiment silico-bioclastique qui pourrait en partie expliquer les caractéristiques morphologiques de ce corps sédimentaire.

Les sédiments mixtes silico-bioclastiques qui sont produits dans les zones subtidales les moins profondes, et qui peuvent y former des bancs et des dunes, sont progressive- ment transférés vers la côte sous l’action des houles et des courants de marée. Mêlés à des bioclastes d’espèces de plus en plus proximales, ces sédiments participent ainsi potentiel- lement, en fonction des processus hydrodynamiques dominants, à l’édification de barrières littorales ou d’environnements de replats de marée (où une production carbonatée in-situ peut également être dominante). Bádenas et al. (2018) reprennent le diagramme ternaire de classification des environnements littoraux clastiques de Boyd et al. (1992), modifié par

Yang et al. (2005) pour y intégrer les environnements de replats de marée ouverts (open-

coast tidal flats). Ils y ajoutent le caractère mixte silicoclastique carbonaté des sédiments,

au travers d’une synthèse d’études portant sur des environnements mixtes (actuels et fos- siles) de côtes dominées par la houle, de replats de marée ouverts, dominés par la houle et la marée, et de replats de marée abrités, dominés exclusivement par des processus tidaux. Dans cette classification, et à part l’étude de Bádenas et al. (2018) sur un environnement fossile mésozoïque, aucune étude n’illustre dans l’actuel un environnement de replat de marée ouvert de composition sédimentaire mixte.

Les barrières littorales représentent, selon les estimations, 6 à 15 % du linéaire côtier mondial (FitzGerald et al., 2008 ; Stutz et Pilkey, 2011). Elles constituent une protection naturelle du domaine littoral, en particulier des zones humides basses situées en arrière (Koch et al., 2009). Composées de sédiments grossiers non-cohésifs, les barrières littorales constituent des corps sédimentaires extrêmement dynamiques dont la stabilité au cours du temps répond en permanence à un équilibre entre l’action des vagues et les apports sédimentaires qui les alimentent (Masselink et van Heteren, 2014). Ainsi, toute diminu- tion des apports compromet la stabilité des barrières littorales. Dans le cas de barrières littorales mixtes, la question de leur stabilité dépend donc à la fois des apports silicoclas- tiques et de la production carbonatée. Dans les environnements de plages dominées par la houle, la proportion de carbonates dans les sables peut parfois atteindre des propor- tions supérieures à 50 % (e.g. rampe carbonatée nord-est brésilienne – Testa et Bosence, 1998 ; Albino et Suguio, 2011). Dans les environnements de baies ou de replats de marée ouverts, où l’énergie de la houle sur le haut estran est suffisante pour former une barrière littorale, la production carbonatée in-situ est parfois quasiment la seule source de matériel grossier (e.g. Shark bay, Australie – Jahnert et al., 2012). C’est le cas par exemple des

Figure I.3. Relation entre la longueur d’onde et la hauteur (A) et entre la hauteur et l’épaisseur (B) des dunes géantes qui forment le "Banc du Four" (Franzetti et al., 2013).

I.3 Expression du mélange et hétérogénéité dans les environnements sédimentaires mixtes silico-bioclastiques

Figure I.4. Classification des différents littoraux en fonction du système binaire marée - houle, dans le cas des domaines sédimentaires mixtes silicoclasitique carbonatée. Figure modifiée d’après Bádenas et al., 2018.

cheniers (hors zones deltaïques), ces barrières littorales transgressives ancrées dans des séquences progradantes fines typiques d’environnements de replats de marée (Otvos et Price, 1979). Le diagramme de Bádenas et al. (2018) pourrait donc être complété par ces objets sédimentaires.

Dans le cas de ces barrières littorales mixtes à dominante bioclastique, il est donc légitime de s’interroger sur les conséquences possibles d’une modification de la source carbonatée sur leur dynamique et leur stabilité. Les facteurs naturels qui peuvent induire des modifications significatives de ces sources sont nombreuses, comme cela a été vu précédemment, auxquels se rajoutent les facteurs anthropiques directs (anthropisation et exploitation des littoraux) ou indirects (changement climatique).

La baie du Mont-Saint-Michel est un exemple représentatif de ces environnements de replats de marée mixtes silico-bioclastiques. Elle constitue la zone la plus proximale d’une plateforme tidale à très forte production carbonatée, le Golfe Normand-Breton. Les bar- rières littorales, ou cheniers, qui se développent le long de son littoral sud sont à forte dominance bioclastique, alimentés principalement par la production carbonatée des es-

pèces de mollusques intertidales. Elle est également le lieu d’une exploitation anthropique intense. Nous nous appuierons donc sur cet exemple de la baie du Mont-Saint-Michel et de ses sédiments bioclastiques pour tenter de répondre à la question des conséquences d’une modification des apports carbonatés sur la stabilité des barrières littorales