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Mémoire autobiographique et

2. Les cannabinoïdes et les processus de rappel des réactions de peur

2.1. Expérimentations animales

Grâce au modèle animal, les chercheurs mettent en évidence l’implication des récepteurs CB1 dans les processus de reconsolidation et d’extinction du souvenir de peur (Ruehle et al., 2012). Le système endocannabinoïde serait en effet impliqué dans la régulation des réponses émotionnelles induites par un stimulus, notamment dans le paradigme de conditionnement à la peur.

2.1.1. Le conditionnement à la peur et le processus d’extinction de la réaction de peur

Il est question de peur conditionnée lorsqu’un stimulus neutre est associé de manière durable à un stimulus aversif. Dans ce cas, les réactions de peur sont induites expérimentalement par un stimulus conditionné (le plus souvent auditif) censé provoquer des réponses comportementales similaires à celles d’un stimulus naturel signalant un danger (exemples d’indicateurs : réaction de gel, réaction de sursaut) (figure 2.1).

L’extinction de la réaction acquise de peur est la forme la plus simple de régulation des réponses émotionnelles. On parle d’extinction car suite à la présentation répétée ou prolongée du stimulus conditionné non couplé au stimulus aversif (précédemment associé), la réaction de peur (ex : réaction de gel) est censée diminuer progressivement jusqu’à ce que le stimulus conditionné (ex : son aigu) ne soit plus associé au stimulus aversif (ex : choc électrique) (figure 1.2). Notons que l’extinction du souvenir de peur ne signifie pas que ce

dernier soit à tout jamais oublié. D’une part, le souvenir peut à nouveau être réactivé si le contexte ou le stimulus conditionné est présenté et d’autre part la réaction de peur dans les mêmes conditions est réapprise plus rapidement qu’initialement (Myers et Davis, 2007)42. Ceci renvoie au consensus qui apparaît au sein de la littérature optant plutôt pour une mise à l’écart du souvenir aversif, reflétant peut-être la formation d’une nouvelle mémoire inhibitrice (Bouton and Swartzentruber, 1989; Brooks and Bouton, 1993; Napier et al., 1992)43.

Figure 1.2 : Illustration du paradigme de conditionnement à la peur selon 2 protocoles expérimentaux différents : le conditionnement par le contexte et le conditionnement indicé.

Source : Kwapis et Wood, 2014

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In Bitencourt et al., 2013

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2.1.2. L’extinction de la réaction de peur

a. Perturbations de l’extinction de la réaction de peur

La première équipe de recherche à avoir évaluer les capacités d’extinction des réactions de peur est l’équipe de Marsicano. Ils mettent en place un protocole expérimental de type conditionnement auditif à la peur chez des souris knock-out CB1 et chez des souris a qui on a injecté un antagoniste aux récepteurs CB1 (SR141716A) avant la phase d’entrainement de l’extinction. Ils remarquent une perturbation de l’extinction à court terme du souvenir de peur (réaction de gel ou freezing 48h après le conditionnement), ce qui a pour conséquence de perturber également l’extinction à long terme (6 jours après) (Marsicano et al., 2002). D’autres équipes de recherche ont par la suite confirmé ces résultats, qu’il s’agisse de souris génétiquement modifiées (knock-out CB1) (Cannich et al., 2004 ; Kamprath et al., 2006, Dubreucq et al., 2010 ; Plendl et Wotjak, 2010)44 ou de leurs congénères a qui les chercheurs ont administré un antagoniste aux récepteurs CB1 (SR141716A) (Niyuhire et al., 2007 ; Plendl et Wotjak, 2010)45. Ces observations ont également été retrouvées en utilisant un antagoniste (SR141716A) lors d’un protocole de conditionnement contextuel à la peur (Suzuki et al., 2004 ; Pamplona et al., 2006 ; Pamplona et al., 2008)46.

b. Facilitation de l’extinction de la réaction de peur

Au delà des perturbations observées au niveau de l’extinction des réactions de peur conditionnée via l’inhibition du système endocannabinoïde, certains chercheurs choisissent d’expérimenter l’implication des cannabinoïdes sur le processus d’extinction des souvenirs aversifs à travers la facilitation de l’extinction. Ces équipes de recherche étayent bien les résultats précédemment cités en indiquant une facilitation de l’extinction en cas d’administration d’un agoniste des récepteurs CB1 (WIN55,212-2, AM404 ou AEA) chez des

44 In Bitencourt et al., 2013 45 In Bitencourt et al., 2013 46 In Bitencourt et al., 2013

souris (Pamplona et al., 2006 ; Pamplona et al., 2008, Bitencourt et al., 2008, De Oliveira Alvares et al., 2008)47.

c. Action de l’administration chronique d’agonistes au THC sur l’extinction de la réaction de peur

Il semblerait, en revanche, que l’administration chronique de cannabinoïdes ne soit pas associée à de tels effets. Ainsi, des rats à qui l’on administre un agoniste aux récepteurs CB1 (WIN55212-2) de manière répétée (une fois par jour pendant 7 jours) et qui sont soumis par la suite à une séance de conditionnement à la peur classique (le 8ème jour) présentent beaucoup moins d’extinction de la réponse de peur que les rats qui n’ont pas reçu l’agoniste (Lin et al., 2008).

Ces résultats, ainsi que d’autres présentés au sein de cette recherche, laissent penser que la consommation régulière de cannabis ne faciliterait pas, comme nous aurions pu le penser initialement, l’extinction des souvenirs à valence émotionnelle négative. Toutefois, nous manquons de données pour confirmer ces résultats et étayer cette hypothèse.

d. Action du cannabidiol sur le processus d’extinction de la réaction de peur

Ajoutons qu’une poignée de chercheurs s’est penchée sur l’implication du cannabidiol (CBD) sur ce processus et qu’ils observent une facilitation significative de l’extinction de la peur contextuelle (Bitencourt et al., 2008, Do Monte et al., 2013).

Le CBD, alors même qu’il est un composant non psychoactif du cannabis, agirait sur les récepteurs CB1 de manière à influencer certains processus de régulation émotionnelle, comme souligné dans le chapitre 2, et particulièrement ici le processus d’extinction du souvenir de peur. Les résultats des études de Bitencourt et al. (2008) et de Do Monte et al. (2013) mettent bien en évidence l’implication du système endocannabinoïde sur l’extinction des réactions comportementales de peur, et ce peu importe les processus sous-jacents (associatifs ou non associatifs), et les procédures expérimentales employées (conditionnement auditif ou contextuel, souris knock-out CB1 ou administration antagoniste/agoniste).

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2.1.3. Reconsolidation de la réaction de peur

Si l’extinction des réponses de peur est un processus essentiel au bon fonctionnement de la dynamique de régulation émotionnelle, il n’est pas l’unique processus auquel il faut apporter une attention toute particulière si nous souhaitons étudier la mise à l’écart du souvenir de peur conditionnée. Au sein du paradigme de conditionnement à la peur, en terme d’effet, la reconsolidation peut être, d’une certaine manière, associée à l’extinction de la trace mnésique aversive.

a. Conditionnement à la peur et reconsolidation de la réaction de peur

Concernant ce processus, la procédure expérimentale veut que suite à une période plus ou moins longue après le processus d’acquisition ou de consolidation, une seconde présentation du stimulus conditionné soit administré, ceci permettant de renforcer le souvenir de peur initialement ressenti (figure 2.1) (Ruehle et al., 2012). Ainsi, si la reconsolidation est bloquée, cela induit la perte du souvenir (Tronson et Taylor, 2007)48.

b. Action des agonistes et antagonistes au THC sur la reconsolidation de la réaction de peur

Les résultats de Marsicano et ses collaborateurs (2002) viennent rapidement étayer l’hypothèse selon laquelle le système endocannabinoïde serait également impliqué dans le processus de reconsolidation. En effet, ces chercheurs constatent une hausse significative du niveau d’endocannabinoïdes (AEA et 2-AG) au niveau de l’amygdale chez des souris sauvages suite à la première ré-exposition du stimulus conditionné. Comme suggéré par les données neurophysiologiques de cette équipe de recherche, les études explorant ce phénomène montrent que l’hypoactivation du système endocannabinoïde provoquée par injections d’un antagoniste (AM251) améliore la reconsolidation du souvenir de peur (de Oliveira Alvares et al., 2008)49 alors que l’hyperactivation de ce système par injections d’agonistes réduit la reconsolidation, et ce peu importe le site d’injection (hippocampe, amygdale, cortex insulaire), la procédure expérimentale employée ou le temps de mesures (Lin et al., 2006 ;

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In Ruehle et al., 2012

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Kobilo et al., 2007 ; de Oliveira et al., 2008)50. Cette facilitation du processus de reconsolidation va alors réduire l’expression de la peur (freezing) induite par le contexte à court terme (24 heures après la séance de rappel du stimulus) mais également à long terme (plus de 22 jours après) de manière considérable (Stern et al., 2015).

c. Action du cannabidiol sur la reconsolidation de la réaction de peur

Notons que, tout comme ce qui est constaté pour l’extinction des réactions de peur, le CBD aurait un impact sur le processus de reconsolidation. Il agirait de manière à bloquer la reconsolidation des réactions de peur induite par le contexte expérimental 24h après la phase d’apprentissage de peur et jusqu’à 7 jours après lorsqu’il est administré immédiatement après le rappel du stimulus conditionné (Stern et al., 2012). Par ailleurs, l’injection couplée de CBD et d’un agoniste aux récepteurs CB1 (AM251) au niveau du cortex prélimbique (1 dose pour 10) lors du même protocole expérimental perturbe également la reconsolidation de manière significative. Stern et ses collaborateurs indiquent alors un effet d’interaction du CBD et du THC, mettant en évidence l’effet additif des 2 substances (Stern et al., 2015).