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CHAPITRE 2 : APPROCHE CONCEPTUELLE ET MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE

1. CONCEPT OPERATOIRE : L’ANOMIE

1.2. Définition des termes du sujet

1.2.4. Exclusion sociale

L’exclusion sociale est un concept très large illustrant une multitude de situations individuelles et collectives et est située historiquement, culturellement et symboliquement.

Elle est un processus lié, mais non limité à la pauvreté, située culturellement et historiquement, dans lequel les individus ou les collectivités sont privés de l’exercice de leurs droits fondamentaux. En effet, dans une société donnée, une personne ou une collectivité est en situation d’exclusion sociale lorsqu’elle est privée de ressources économiques, sociales,

86 culturelles ou politiques nécessaires à une vie digne. À ces privations peut s’ajouter une dimension symbolique telle que la stigmatisation qui renforce le sentiment d’être exclu. Dès lors, l’exclusion sociale est ancrée dans des cadres législatifs, des pratiques dominantes et des schémas de pensée. Elle est le résultat de choix politiques, économiques et sociaux. En effet, elle est aussi considérée comme un processus réversible, tant sur le plan des trajectoires de vie qu’en termes de transformation des modèles économiques, politiques et sociaux. Elle peut être comprise comme le résultat d’une série de facteurs défavorisant pour l’individu (pauvreté), comme résultat de discriminations (origine, sexe, etc.), comme un parcours de vie difficile (itinérance), ou encore en rapport avec le lieu d’habitation qui concentre des personnes vivant les mêmes difficultés. Cette dernière définition de l’exclusion correspond à la situation des membres du MFDC dont certains sont victimes de spoliation de terre.

L’approche de Wieviorka postule que l’exclusion est le produit de l’intériorisation du stigmate ou le sentiment de l’aliénation. Il résume ainsi dans son avant-propos du livre de Elias : « L’exclusion produit de l’anomie, de l’incapacité des individus à se constituer en acteurs ; elle fabrique aussi de l’aliénation, l’intériorisation du stigmate, l’incapacité de réagir aux accusations excessives ou fausses qui généralisent une appréciation négative et humiliante à partir de quelques cas, peut-être, suggère Elias, parce que la conscience des victimes « était, dans une certaine mesure, du côté de leurs détracteurs », et parce que l’on appartient à un groupe faiblement structuré et organisé, il est difficile d’échapper individuellement à la stigmatisation du groupe. L’exclusion, à la limite, façonne chez ceux qu’elle atteint ce qu’elle leur reproche.138 » Cette approche de Wieviorka semble intégrer plusieurs facteurs de l’exclusion sociale. Elle prend en compte les aspects intérieurs ou extérieurs de l’exclusion. Cependant, l'expérience d'une victimisation criminelle est une expérience traumatisante dont on a longtemps sous-estimé les conséquences. Nous ne faisons pas référence ici aux seules conséquences physiques ou économiques qui sont plus facilement tangibles, évaluables et par conséquent connues, mais bien aux conséquences psychologiques et au mode de vie des victimes, conséquences que nous avons beaucoup plus de mal à constater et, partant, sur lesquelles il est beaucoup plus difficile d'agir.

Baril a bien montré comment l'expérience d'une victimisation vient complètement chambarder la vie de ceux qui en sont la cible : « [...] être victime, c'est constater une perte de pouvoir sur la vie, c'est réaliser sa vulnérabilité, sa mortalité, perdre ses défenses contre l'angoisse de la mort [...]. C'est vivre un sentiment de culpabilité ou de honte aboutissant très

138 ELIAS, N., 1965, Logiques de l’exclusion-Enquête sociologique au cœur des problèmes d’une communauté, Paris, Fayard, 1997, p. 180.

87 souvent à l'isolement et au repli sur soi. [...] Nombreuses sont les victimes qui vivent à l'intérieur d'une prison spatiale ou mentale suite à une agression, prison dont personne ne peut les libérer139. » Cette analyse de Baril nous amène à penser aux victimes du conflit en Casamance, poussant ainsi la majeure partie des jeunes à adhérer au maquis. Ils ont été, le plus souvent, victimes de torture, d’humiliation, de dénonciation, de spoliation de terre, etc.

Privé de tous les moyens de pouvoir se venger, le MFDC reste une solution pour réparer leur souffrance. De même, Baril constate comment l'irruption d'un crime dans la vie d'une personne provoque une rupture avec les éléments de l'entourage qui, jusque-là, étaient considérés comme familiers et sécurisants, et qui désormais sont perçus comme menaçants :

« C'est l'amorce de l'isolement et de l'appauvrissement du milieu de vie qui constitue un support nécessaire au maintien même de la vie [...]. Méfiance, retrait, peur, généralisation de l'expérience à d'autres situations, même la mort, ne résultant pas de blessures physiques, mais d'un choc émotif, sont des répercussions psychologiques plausibles dans le cas des personnes victimes140 ».

C'est d'ailleurs sur ce type de conséquences que les victimes rencontrées en entrevue sont le plus volubiles lorsqu'on les laisse parler de leur expérience, ce qu'elles n'auront pas tellement l'occasion de faire141. Leur discours est pourtant éloquent et plein d'enseignements qui, autrement, seraient ignorés. Les auteurs parlent d’une sociologie d’un lien social. En lien avec le conflit en Casamance, on retrouve chez Castel une idée également présente dans l’ouvrage de Simmel : personne n’est exclu du jeu social au sens d’en être à l’extérieur.

« L’exclusion n’est pas une absence de rapport social, mais un ensemble de rapports sociaux particuliers à la société prise comme un tout »142. Les associations de lutte contre l’exclusion sociale peuvent s’appuyer sur cette idée dans leur action, car elles défendent les droits des exclus, et, surtout, la plupart d’entre elles remettent en cause les fondements du système.

Cela conforte l’idée que la société est construite de manière très inégalitaire, en favorisant ceux qui ont une position sociale favorable. Cette opportunité n’étant pas offerte à toute la population casamançaise qui voyait leur intérêt menacé, elle trouve mieux de rejoindre le maquis. Car la plupart d’entre elles sont victimes de spoliation de terre, de dénonciation, de torture, etc. Ce caractère injuste et marginal a créé une frustration et une haine chez la

139 M. Baril, 1984, « L’envers du crime », Les cahiers de recherches criminologiques, Montréal, Centre international de criminologie comparée, Université de Montréal, n° 2, p.234.

140 Y. Brillon, 1986, Les personnes âgées face au crime, Montréal, Centre international de criminologie comparée, Université de Montréal.

141 M. Baril, article cité.

142 CASTEL R., cité par FASSIN D., 1996, « Exclusion, un derclass, marginalidad. Figures contemporaines de la pauvreté urbaine en France, aux États-Unis et en Amérique latine », in Revue française de sociologie, Volume 37, Numéro 1, p. 46.

88 population qui n’a que la violence comme seule arme de défense. Cette dernière est placée arbitrairement à l’extérieur, est exclue de manière arbitraire. Cependant, des individus aux parcours très singuliers se retrouvent sous une seule et même domination « rebelle ». Ce facteur est la seule chose qui unit les personnes en situation d’exclusion en Casamance, indépendamment de leur situation singulière, c’est « désaffiliation », pour reprendre l’expression de Robert Castel143. Cette partie désaffiliée de la population est caractérisée par une grande hétérogénéité : « « les exclus » sont des collections (et non des collectifs) d’individus qui n’ont rien d’autre en commun que de partager un même manque. En effet, ils sont définis uniquement sur une base négative, comme s’il s’agissait d’électrons libres complètement désocialisés. Ainsi identifier sous le même paradigme de l’exclusion par exemple membre du MFDC et qui cherchent une reconnaissance de la population, c’est faire l’impasse sur le fait qu’ils n’ont ni le même passé, ni le même présent, ni le même avenir et que leurs trajectoires sont totalement différentes. C’est faire comme s’ils vivaient dans un hors-social. […]144 »

Cette idée d’éclatement des trajectoires individuelles est un sujet qu’aborde Vincent de Gaulejac145 en lien avec ce qu’il appelle la « désinsertion », qui désigne le processus menant à l’exclusion. Pour lui, la modernisation de la société est caractérisée par une

« individualisation des trajectoires », notamment dans le monde ouvrier qui ne peut plus prendre appui sur les instances collectives (les syndicats) pour porter des revendications, car celles-ci s’effriter pour laisser place à une incertitude ressentie individuellement sur ce que sera demain : « Si la société industrielle se caractérise par un modèle qui prône l’intégration, la stratification, la centralisation, la hiérarchisation et l’ordre, la postmodernité introduit dans cet univers l’instabilité, l’éclatement, la complexité, le polycentrisme et le paradoxe.

Ceux qui ne sont pas dans l’idéologie de la « réalisation de soi-même », qui ne savent pas

« gérer » convenablement leur existence et qui n’arrivent pas à devenir « entrepreneur » de leur propre vie sont damnés.146 »

Il s’agit plutôt aujourd’hui de trouver sa place dans cette société autrement configurée. La logique néolibérale domine, régulant toute une série de personnes au statut d’ « inutile au monde147 ». C’est dans ce sens que De Gaulejac parle de lutte « des places » et non « des classes ». C’est, du coup, la reconnaissance individuelle qui est en jeu ici. À travers cette lutte

143 CASTEL R., 2003, L’insécurité sociale. Qu’est-ce qu’être protégé ? Seuil, Paris.

144 CASTEL R., op. cit, p.47.

145 DE GAULEJAC V., 1994, La lutte des places, Paris, Éditions Hommes et Perspectives.

146 DE GAULEJAC V., op. cit., p.36-37.

147 DE GAULEJAC V., op. cit., p.45.

89 des « exclus » pour la reconnaissance, c’est le « refus de ce qu’ils vivent qui les rassemble plutôt qu’un projet commun148 ». En effet, placer toutes les personnes en situation d’exclusion sociale « dans un même sac » n’est pas opérant en sociologie. Il est donc important d’être vigilant à cette pluralité des trajectoires pour sortir des préjugés qu’on entend couramment à l’égard des franges les plus fragilisées de la population. Dans une logique de réponse individuelle à une situation psychosociale précaire, on doit utiliser une démarche qui tient compte des parcours singuliers de chacun des membres du MFDC. En définissant ce concept comme une « désaffiliation », Robert Castel considère l’exclusion comme une manière qui permet davantage de comprendre les processus, les déplacements en jeu, qui peut mener l’individu de l’intégration à la vulnérabilité, voire à l’inexistence sociale. « Au thème aujourd’hui abondamment orchestré de l’exclusion, je préférerai celui de la désaffiliation pour désigner l’aboutissement de ce processus. Ce n’est pas une coquetterie de vocabulaire.

Mais le constat des carences ne permet pas de ressaisir les processus qui génèrent ces situations. (…) Parler de désaffiliation en revanche, ce n’est pas entériner une rupture, mais retracer un parcours149. » Les individus, fragilisés au sein de leur sociabilité socio-familiale, sont de plus en plus souvent entraînés vers ce que l’auteur nomme la zone de vulnérabilité. Et la zone de désaffiliation est le stade le plus avancé de la rupture des liens sociaux.

Aujourd’hui, la situation conflictuelle de la Casamance fait qu’une frange de la population est exclue de la société.

2. MODЀLE D’ANALYSE

Au cours de notre travail documentaire, nous avons eu à exploiter plusieurs travaux de chercheurs ayant utilisé de manière différente les approches et théories pour saisir l’objet de leur étude. Dans cette étude portant sur « Arrêt sur le conflit de la Casamance : sociologie des acteurs du terrain », nous cherchons à déterminer et à comprendre les facteurs de l’anomie à travers le système de défaillance des institutions qui a occasionné le départ de certains Casamançais dans l’administration sénégalaise, mais aussi des victimes de spoliation de terres, de répression à adhérer au MFDC. Cette étude s’est intéressée aussi aux acteurs qui interagissent sur le conflit. Ainsi, dans le souci de mener à bien notre travail, nous nous sommes référé à la sociologie de l’action ou à la sociologie du mouvement de Alain Touraine et aux modèles de Jean-Pierre Olivier de Sardan et de Michel Crozier et Erhard Friedberg pour compléter celui de Touraine.

148 DE GAULEJAC V., op. cit., p.44.

149 CASTEL R., op. cit., p.46.

90 Toute étude sociologique s’inscrit dans un champ de spécialisation. L’intitulé du sujet nous conduit vers une sociologie de l’action. Alain Touraine est l’un des premiers sociologues à parler de la sociologie de l’action dans la société industrielle. Parler d’acteur fait penser au mouvement social que Touraine définit bien. Dans ce sens, il dira que « le mouvement social est l’action, à la fois culturellement orientée et socialement conflictuelle, d’une classe sociale, définie par sa position de domination ou de dépendance dans le mode d’appropriation de l’historicité des modèles culturels d’investissement de connaissance et de moralité, vers lesquels il est lui-même orienté150 ». Touraine cite le mouvement ouvrier, le mouvement écologique, le mouvement estudiantin, le mouvement féminin, le mouvement régionaliste, etc. C’est dans ces mouvements que Touraine situe sa réflexion sociologique au point qu’il dira quelque part la sociologie des mouvements151. Pour Touraine, le mouvement social se caractérise par trois principes : le principe d’identité, le principe d’opposition et le principe de totalité. L’identité est la conscience que l’acteur groupe a de lui-même, c’est-à-dire que le groupe est constitué d’un ensemble de rapports sociaux dans lequel il est constitué.

L’opposition est l’autre, les rapports qu’on entretient avec l’autre. Ce dernier fait intervenir les mêmes principes d’identité. Il faut donc le prendre en compte dans les rapports d’opposition. La totalité est le projet de société, le système de pouvoir et aussi représenté par les valeurs. Ce principe de totalité ne doit pas être une contradiction utopique, il est la résultante du principe d’opposition.

Pour Alain Touraine, le mouvement social produit de l’action sociale, c’est-à-dire la conduite d’un acteur guidé par un projet de société. Il dira que l’action produit de l’historicité, c’est-à-dire la capacité d’une société à se donner une orientation. Pour lui, l’action sociale est porteuse de changement social. C’est dire aussi que le mouvement social est porté par les acteurs. Si Alain Touraine refuse l’explication sociologique en termes de classe, il le fait au profit d’une analyse de rapports de classe, c’est-à-dire que le contenu et les caractéristiques des classes se définissent par leurs rapports : « les rapports de classes ne sont ni des rapports de concurrence ou de superposition à l’intérieur de l’ordre social, ni des rapports de contradiction, mais des rapports de conflit, qui se manifestent le mieux par les mouvements sociaux qui mettent en œuvre la double dialectique des classes sociales, lutte entre deux adversaires défendant des intérêts privés, mais prenant aussi en charge le système d’action historique. »

150Alain Touraine, 1984, Le retour de l’acteur, Paris Fayard, p.152.

151Alain Touraine, ibid, p.158.

91 Ce détour théorique nous permet de saisir l’intitulé de notre sujet. Le Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance est né d’une crise de l’État post-colonial. La contestation radicale est portée par des paysans et des chômeurs inorganisés. Ceux-ci ne sont pas que les initiateurs du mouvement qui serait dominé par des enseignants à la retraite, des fonctionnaires de l’administration, des ex-militaires. Du début à la fin, les jeunes et les femmes sont la grande force de contestation d’un modèle de société. Ils ne se proposent pas un modèle viable de société, mais leur contestation fait jaillir des valeurs opposées à l’État moderne du Sénégal. La crise en Casamance fait émerger comme acteur social la classe contestataire de la société casamançaise. C’est donc ce mouvement social, le MFDC, que nous nous sommes proposé d’étudier. Il est formé de petits groupes que le sociologue pourra analyser. L’accès à ces petits groupes va permettre de comprendre amplement le projet de société du MFDC. La tâche du sociologue sera aussi de saisir les acteurs dans leur diversité, d’étudier les pratiques et comportements dans le quotidien, dans le temps. Ces acteurs que nous nous proposons d’étudier sont les membres du MFDC, la société civile et les associations pour la paix en Casamance. Tous ces acteurs interagissent sur le conflit. Dès lors, le conflit en Casamance constitue une arène.

Ce qui nous amène à recourir à la théorie de l’arène. Cette théorie a été initiée, dans le cadre des projets de développement, par des chercheurs qui sont membres de l’association euro-africaine pour l’Anthropologie du changement social et du Développement (APAD). Les premiers chercheurs à avoir utilisé cette théorie d’arène dans le champ du développement sont Thomas Bierschenk et Kevin Crehan en 1988. Mais c’est Jean-Pierre Olivier de Sardan qui l’a propulsé. Pour ce dernier, le projet de développement constitue « un système de ressource et d’opportunités que chacun tente de s’approprier à sa manière152 ». Il apparaît dès lors comme un enjeu où chaque acteur joue avec des cartes différentes et des règles différentes. Il constitue une arène dans laquelle des groupes stratégiques hétérogènes s’affrontent, agit par des intérêts plus ou moins compatibles.

L’arène évoque alors « un lieu de confrontations concrètes d’acteurs sociaux en interaction autour d’enjeux communs153 ». Cette définition de l’arène, on peut la retrouver dans le conflit en Casamance où la population marginalisée, oubliée et même privée de leurs ressources (l’accès à leurs terres cultivables) et de liberté, manifeste pour une meilleure considération. Face à un État qui voulait utiliser la force pour régler ces problèmes, le MFDC

152 Jean-Pierre Olivier de Sardan, 1995, Anthropologie et développement : Essai de socio-anthropologie du changement social, Paris, Karthala, p. 173.

153 Jean Pierre Olivier de Sardan, op. cit., p.179.

92 montre toujours sa détermination. Dès lors, est né un conflit armé en Casamance avec des conséquences néfastes à la vie des populations. Ces champs de confrontations constituent une arène d’où chaque acteur cherche à sortir vainqueur. On parle ainsi d’arène du dispositif de développement, d’arène politique, etc. Ainsi, il faut signaler que même si les Casamançais ont demandé à l’État du Sénégal des investissements en Casamance, facteurs de développement, le MFDC, quant à lui, ne cesse de réclamer l’indépendance de la Casamance. Ceci constitue un aspect politique de la revendication. La considération de la revendication du MFDC comme une arène est justifiée par le fait qu’elle est un système traversé de conflits et où se confrontent divers groupes stratégiques. Ces conflits renvoient à des différences de position des groupes stratégiques. Ces derniers « apparaissent ainsi comme des agrégats sociaux (…) qui défendent des intérêts communs, en particulier par le biais de l’action et politique154 ». Ils varient selon les problèmes considérés et les enjeux locaux.

Dans le cadre du conflit en Casamance, nous pouvons identifier plusieurs groupes stratégiques : l’aile politique, la branche "attika" de Salif Sadio, celle de César Atoup Badiatte, les femmes « Usana », le groupe de réflexion pour la paix en Casamance, les organisations de la société civile, notamment les ONG, etc. Chaque groupe développe des stratégies personnelles pour accéder à une position de pouvoir ou pour le maintien de la paix.

C’est la lutte de position et de leadership, source de tensions internes du MFDC. Cette nouvelle configuration constitue une arène à l’intérieur du MFDC ou de certaines organisations de la société civile où chacun cherche à affaiblir l’autre pour accéder au sommet. Il y a alors l’existence d’un conflit d’intérêts. Ces conflits sont dus à des différences de conception de leur forme de lutte. Si certains membres du MFDC réclament l’indépendance immédiate, d’autres en revanche se battent pour leurs propres intérêts (récupération de leurs terres, règlements de comptes, etc.). Pour mieux expliquer les stratégies mises en place par les différents groupes stratégiques, nous avons fait recours à l’analyse stratégique de Michel Crozier155 pour tenter d’appréhender les stratégies des acteurs autour du conflit en Casamance. La combinaison de ces nombreuses approches dans notre travail permet d’avoir une meilleure appréhension de notre sujet de recherche. Pour Crozier, l’individu est un être rationnel qui met en œuvre des stratégies.

Cependant, il faut montrer que sa rationalité est limitée par l’imperfection des informations dont il dispose. Il cherche à accroître sa marge de manœuvre et à limiter celle des autres en leur imposant des règles qui rendent leurs comportements prévisibles. Nous

154 Jean Pierre Olivier de Sardan, op. ci.t, p.179.

155 Michel Crozier et Erhard Friedberg, 1977, L’acteur et le système, Paris, Éditions du Seuil, p.55-56.

93 sommes alors en face d’une relation de pouvoir qui risque de paralyser le système de travail.

Nous retrouvons ces mêmes pratiques dans le Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance où les relations de pouvoir ont paralysé le fonctionnement de leur système et même la structuration du mouvement. Chaque leader cherche à exercer une certaine force de domination pour garder sa légitimité. Cette attitude des leaders est la conséquence d’une division du MFDC. Il faut en outre signaler que le leader de chaque groupe déploie des politiques pour pouvoir convaincre le mouvement à croire à ses principes en vue de diriger le MFDC. Ils mettent en place des stratégies de défense et de captation pour influencer plus d’un à accorder de l’importance à ses principes. C’est pourquoi ce modèle nous semble intéressant dans la mesure où nous sommes dans une zone de conflit où chaque leader du MFDC cherche à montrer sa légitimité pour discréditer l’autre.

Ce modèle nous a permis aussi de comprendre les différentes stratégies mises en place par les combattants dans le recrutement des jeunes dans le maquis. Aujourd’hui, chaque branche armée met en place ses propres stratégies de recrutement des combattants dans les villages ou villes de la Casamance. Mais cette stratégie ne tient pas compte de certains facteurs que sont les motivations individuelles de chacune des nouvelles recrues. Si certains sont motivés par la simple volonté de lutte pour l’indépendance de la Casamance, d’autres en revanche ont adhéré au MFDC pour d’autres raisons (spoliations de terres, arrestations, humiliations, tortures, poursuites, etc.). Ce qui explique en partie ces nombreux débordements non maîtrisés en Casamance (attaques, braquages, enlèvements, etc.).