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CRISE EN CASAMANCE, LES PARCOURS INDIVIDUELS DES MEMBRES DU MFDC

CHAPITRE 2 : INTÉGRATION DANS LE MFDC

1. MOTIVATIONS Á ADHÉRER AU MFDC

1.1. Les combattants « malgré eux »

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139 reprendre l’expression de Paul Diédhiou177. La population, désespérée, opprimée, n’avait que le maquis pour décrier les injustices subies à tort ou à raison. Dans son témoignage, Younouss, ex-combattant, rappelle que ces nombreux problèmes en Casamance ont poussé certaines personnes à rejoindre le MFDC malgré eux.

« Comme je l’ai souvent rappelé, j’ai adhéré au maquis parce que mon père a été arrêté par l’armée du Sénégal lors d’un voyage. Au cours de son voyage, leur véhicule a été arrêté et fouillé partout.

Tous les passagers sont descendus du véhicule et fouillés aussi. Les forces de l’ordre ont procédé aux contrôles des pièces d’identité. C’est après le contrôle que les forces de l’ordre ont récupéré la pièce d’identité de mon père. Il portait le même nom de la personne recherchée. Voilà comment il a été arrêté et jamais revu. Je n'avais pas vu à l'époque quelqu'un qui pouvait m’aider à libérer mon père.

Du coup, le MFDC était la seule piste ouverte pour me venger. De là, j'ai commencé à mener des démarches qui pouvaient faciliter mon intégration. J'ai décidé d'abandonner le métier de menuiserie pour m'occuper de la libération de mon père. Il fallait être à ma place pour comprendre ce que je ressentais. J'ai vécu des moments plus durs de ma vie. Je n'avais personne à mes côtés pour me soutenir, me conseiller et m'orienter. C’est là qu'est née l’idée d'intégrer le maquis. Au début, je n'avais aucune information sur le MFDC. J’ai cherché à rencontrer certains vieux du village pour que je puisse avoir des informations sur le mouvement. En réalité, je ne cherchais même pas à aborder un sujet sur le MFDC. J'avais toujours un mauvais regard sur le MFDC. Pour vous dire que j'ai été très contraint à l'époque d'intégrer le MFDC. Quand j'avais rencontré les vieux du village pour avoir des renseignements sur le MFDC, ils avaient pris tout le temps pour me parler de toute l'histoire du MFDC et de cette guerre en Casamance. La principale cause, selon eux, est l’indépendance de la Casamance. Dans leur explication, la Casamance est différente du Sénégal.

C'est une vérité que personne au Sénégal ne peut nier. La Casamance a besoin des jeunes comme nous, pour la sortir de cette situation. Ce sont des discours convaincants et qui ont d'ailleurs facilité mon intégration dans le maquis. Contraint de rester dans la ville de Ziguinchor, le MFDC s’était retiré pour s’installer de manière permanente dans la forêt. De là est venue l’idée de créer en 1983 une branche armée appelée « Atika » du maquis. La branche « Atika » a été créée pour empêcher les nombreuses arrestations en Casamance. Les conséquences sur les arrestations arbitraires, les pertes humaines, les tortures, les tueries, etc. en Casamance, ont conduit certaines personnes à rejoindre le MFDC. Beaucoup de personnes étaient victimes de ces arrestations arbitraires en Casamance. J'ai intégré le maquis parce que mon père faisait partie des victimes de ces arrestations arbitraires. Tant d’autres personnes comme les élèves, les étudiants, les fonctionnaires, ont adhéré à la même période au maquis. Certains Casamançais étaient contraints de rejoindre le maquis. Les gens ont abandonné leur métier, leur formation pour rejoindre le maquis. Beaucoup ont regretté aujourd'hui d'avoir fait ce

177 Paul Diédhiou, op., cit., 2011, p. 358.

140 choix. Ils l'ont fait malgré eux. L'État du Sénégal a poussé les Casamançais à aimer le MFDC. Les jeunes ont pris la décision ferme de rejoindre le maquis et de se battre pour libérer le peuple casamançais. Personne ne souhaitait voir ses parents arrêtés, torturés et injustement spoliés de leurs terres. Je voulais me venger de l'arrestation de mon père. Et j’ai pensé que rejoindre le MFDC pouvait me permettre de résoudre le problème. Une fois dans le maquis, je ferai face à l’armée du Sénégal. Mon rêve a été réalisé en partie puisque j'ai réussi cette étape. Dans les fronts, le MFDC faisait toujours face à l'armée du Sénégal. Je me battais pour soulager mon père qui était en prison.

Même si je ne réussis pas à le libérer, mais au moins je me suis battu pour lui. C'est un honneur pour moi. Je disais que même si j'arrive à mourir dans les combats, la mission est déjà accomplie. Je prenais toujours du plaisir quand je me battais avec l'armée du Sénégal. Les premiers jours où j’ai intégré le maquis, j’imaginais déjà ce je devais faire aux fronts. Donc, j’avais toute cette haine en moi. Et je ne regrette pas d’avoir intégré le maquis. Au contraire, c’était une satisfaction parce que j’ai considéré qu’il y a quelque part une mission accomplie. C’est vrai que je n’ai pas pu poursuivre mes études comme je le souhaitais, mais je suis d’une part satisfait d’avoir combattu pour mes parents178. »(Younouss, 63 ans, ex-combattant).

Dans cette déclaration, Younouss a tenu à rappeler les raisons de son adhésion au maquis.

Comme la plupart des rebelles cités dans l’ouvrage de Paul Diédhiou179 qui ont adhéré au maquis suite aux bombardements de leur village ou de leur quartier, Younouss a avancé les raisons similaires. Son choix a été influencé par l’arrestation de ses parents, accusés d’appartenir au MFDC. Cette situation a poussé une part importante de la population casamançaise à adhérer au MFDC. C’est dire que la lutte pour l’indépendance de la Casamance n’est pas le premier élément mobilisateur pour certains combattants. Ils ont été accusés à tort ou à raison d’appartenir au mouvement indépendantiste. C’est ce qui explique leur choix à l’adhésion au MFDC. Cet état de fait doit être tenu en compte dans l’analyse de la dimension du choix de l’un ou de l’autre à adhérer au maquis. Il permet de relever aussi les problèmes liés à la division du MFDC, mais, également au processus de paix en Casamance.

Le MFDC est considéré par ces nombreux combattants comme un lieu de refuge qui leur permet de dénoncer et de déceler les injustices ou de se faire justice. Il ressort de cette étude que la plupart des combattants ou ex-combattants ont été influencés par un parent ou un proche à rejoindre le MFDC sans comprendre les objectifs de la lutte. Cela permet de dire que

178 Entretien avec Younouss, ex-combattant, fait à Ziguinchor dans un village Y, le 23/05/2019 à 10h30mn et qui a duré 1 heure de temps.

179 Paul Diédhiou, op., cit., 2011, p. 359.

141 le MFDC ne met pas a priori l’aspect motivation dans le recrutement des combattants. Ce qui constitue un véritable souci pour un MFDC qui se situe dans une situation de vulnérabilité.

L’objectif premier du mouvement est d’avoir une masse importante de jeunes combattants dans les rangs du maquis. Dès lors, ce quiproquo a occasionné un arsenal de désordres, semant ainsi la division au sein des combattants dont l’ultime conséquence fut la division du MFDC. Aujourd’hui, l’urgence est de savoir pour qui se battait ou se bat le MFDC, si l’on sait que la population casamançaise est attaquée par le même MFDC qui est censé leur apporter la dignité et la reconnaissance. La réponse à cette interrogation peut être recherchée dans la motivation des combattants à adhérer au MFDC. Ainsi, cette trajectoire d’Aniosse, combattant, est une réponse à cette interrogation. Il précise dans l’entretien qu’il nous a accordé :

« Après mes congés, je devais retourner à Tambacounda pour reprendre mon service. Mais j’étais arrêté par la police puisque quand je venais pour les congés, j’ai été victime d’une arrestation. J’ai expliqué cette aventure à mes parents. Ils m’ont demandé de ne plus retourner à Tambacounda parce que ce n’était pas du tout sûr. J’ai décidé de rester et de perdre mon emploi. La perte de l’emploi a commencé à affecter et à installer une haine en moi. Je vivais une situation très difficile. Les charges de la femme, l’éducation des enfants s’augmentaient du jour au lendemain. Je trouvais insupportable ma situation de chômage. Et j’ai trouvé mieux d’adhérer au MFDC malgré tout ce que j’ai eu comme opportunités. Je n’avais aucune autre solution que de rejoindre le MFDC. Franchement ce n’était pas de mes intentions, mais parce que j’ai eu peur d’être arrêté pour une seconde fois. Pour m’échapper aux arrestations, j’ai décidé de rejoindre le MFDC pour me protéger. Et depuis lors je suis dans le MFDC180 ». (Aniosse, combattant âgé 64 ans).

Aujourd’hui, le regret reste unanime chez de nombreux combattants d’avoir fait un choix

« accidentel » de rejoindre le maquis. En effet, la plupart de nos interlocuteurs sont revenus sur le choix « accidentel » pour expliquer les raisons de leur adhésion au maquis. Pour eux, la principale raison de cette psychose repose essentiellement sur les nombreuses intimidations et répressions commises par les autorités étatiques sur la population casamançaise. Cette situation a poussé le MFDC à accuser l’État du Sénégal d’avoir créé la rébellion en Casamance. À travers les témoignages de nos interlocuteurs, ces derniers se sont sentis menacés pour la plupart dans leurs postes de travail. Bref, le « Casamançais ou la casamancité » était une expression utilisée pour qualifier tous ceux qui viennent de la

180 Entretien avec Aniosse, ex-combattant, fait dans un village Y du département de Bignona le 13/02/2019 à 10h12mn et qui a duré plus de 1 heure.

142 Casamance. Une expression qui renvoie au repli identitaire qui, dans la thèse des indépendantistes, est considérée comme un étranger. Pour eux, dans l’administration sénégalaise, les Casamançais ne bénéficient pas des mêmes traitements que ceux du nord. Cet état d’esprit a conduit plus d’un à adhérer malgré eux au MFDC. Ainsi, Ayou déclare dans une interview :

« Je travaillais dans beaucoup de structures ou sociétés au Sénégal. Après mes contrats dans ces différentes structures, j’ai rejoint l’administration sénégalaise comme agent comptable. C’est là où le calvaire a commencé. C’était pour moi une vie d’enfer dans l’administration sénégalaise à l’époque.

Elle a poussé beaucoup de Casamançais à rejoindre le MFDC malgré eux. Il suffit juste de parler ou de dénoncer les injustices en Casamance pour qu’on te mette à la porte. J’ai été victime de cette injustice dans mon lieu de travail. J’ai adhéré au MFDC à cause de cette injustice. Je signale une chose, je ne suis pas né MFDC, mais je le suis devenu. J’ai adhéré au MFDC en 1982, année à laquelle plusieurs Casamançais ont été victimes dans leurs lieux de travail de marginalisation de radiation. Il suffit à l’époque que quelqu’un prononce dans son lieu de travail, le mot « Casamance » pour qu’il soit traité de rebelle. Cette situation a affecté beaucoup de personnes en Casamance, dont moi-même. On avait en face de nous une injustice qui ne disait pas son nom à l’époque. Tous ces facteurs ont poussé les Casamançais à la manifestation, à la révolte. Alors en 1982, j’ai été radié de la Fonction publique. À l’époque je travaillais comme comptable à l’agence de Jeune et Sport à Dakar. De là, j’ai commencé à avoir des problèmes parce que je ne cessais de dénoncer les nombreuses injustices en Casamance. On n’était pas aussi bien traités dans l’administration sénégalaise et cela a poussé beaucoup de personnes à quitter leurs postes. Me concernant, j’ai été radié dès mon retour de congé parce qu’on leur a signalé que j’étais membre du MFDC. Ce qui était faux, à l’époque je n’avais même pas cette intention de rejoindre le MFDC. Après ma radiation, j’ai décidé de soutenir mes frères dans leur combat. C’est ainsi que j’ai décidé de rejoindre le MFDC et je suis MFDC181 ». (Ayou, 77 ans, membre de l’aile politique du MFDC)

Dans cette déclaration de Ayou, les Casamançais sont marginalisés et ont connu dans leurs postes de travail un traitement différent de ceux du nord. C’est une thèse partagée par la plupart des séparatistes. Ils soutiennent l’idée de marginalisation organisée dans l’administration sénégalaise. Cette thèse semble incohérente dans la mesure où l’entière responsabilité d’activer les germes du conflit est partagée. Aujourd’hui que c’est du côté de l’un comme de l’autre, c’est-à-dire de l’État du Sénégal comme du MFDC, les responsabilités sont partagées. Dès lors, on peut se demander si le MFDC était au début contre l’idée d’un conflit dont les tenants et les aboutissants ne sont toujours jamais connus. De toute façon, les

181 Entretien avec Ayou le 13/07/2020 à 12h33mn.

143 populations sont victimes des conséquences d’un vieux conflit. Aujourd’hui, la réponse semble être prise au sérieux par les membres de l’aile civile du MFDC. Ces derniers ont mis en place un cadre appelé « aile civile Assaninga » qui permet de réfléchir sur la situation du MFDC. Ce cadre permet au MFDC, après plusieurs années dans un conflit sans précédent, de soulever les manquements et de situer les responsabilités.

Outre ces éléments évoqués sur la marginalisation des Casamançais dans les administrations sénégalaises, il importe d’évoquer d’autres facteurs dans l’analyse des choix des combattants à adhérer au MFDC. Ces facteurs reposent essentiellement sur le foncier.