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CRISE EN CASAMANCE, LES PARCOURS INDIVIDUELS DES MEMBRES DU MFDC

CHAPITRE 1 : PARCOURS DES MEMBRES DU MFDC

2. RANG OU STATUT SOCIAL

2.1. Classe paysanne

La classe paysanne renvoie à la catégorie socioprofessionnelle la plus représentative dans le MFDC. Elle est essentiellement composée de paysans. Celle-ci constitue la classe dominante dans la partie sud du Sénégal. Pour rappel, la Casamance est une zone agricole.

C’est l’activité la plus pratiquée en Casamance en raison de sa situation pluviométrique. Cela

171 Entretien avec Raby, membre de l’aile Assaniga, le 14/11/2020 dans son quartier de Ziguinchor et qui a duré 1 heure.

131 peut expliquer l’attachement des Casamançais à la terre considérée par l’ensemble de la population comme une richesse. En sus de cela, la terre constitue un bien communautaire. En Casamance, son accès répond à un certain nombre de règles. Cela pour déduire le rapport qui lie le paysan à sa terre. Traditionnellement, elle fait l’objet d’un héritage émanant de la famille. Toutefois, elle peut également faire l’objet d’un prêt de la part des autochtones à l’endroit des étrangers lorsque ces derniers en font la demande. Cette dernière est l’épicentre de nombreux conflits en Casamance. Ainsi, le 26 décembre 1982 est né le conflit en Casamance opposant l’État du Sénégal au MFDC. Celui-ci semble en partie lié aux fonciers.

En effet, victimes de spoliation des terres, la majeure partie des paysans casamançais ont trouvé de mieux que d’adhérer au MFDC.

Cette situation explique jadis l’intégration massive des personnes issues de la classe populaire dans le maquis ou dans les instances du MFDC. Ce qui démontre parallèlement leur rattachement au mouvement, car la plupart d’entre eux espéraient récupérer leurs terres perdues ou spoliées. C’est l’argument utilisé à l’époque par le MFDC. C’était le leitmotiv que prônaient les indépendantistes dans le cadre du recrutement de nouveaux membres. Ces derniers avaient nourri un espoir sans fin à la plupart des jeunes et vieux issus de cette classe qu’une fois l’indépendance acquise, leurs terres leur seront restituées. Cet argument a suscité beaucoup d’espoir à l’endroit de la population casamançaise qui, aux premières heures du conflit, croyait à l’idée d’indépendance. C’est ainsi que Toumboul, ex-combattant déclare :

« Je vous ai dit précédemment que je n’ai pas fréquenté l’école. L’agriculture était la seule activité que je faisais à l’époque. Mieux, je suis fils de paysan et pratiquant cette activité avant mon intégration dans le maquis. C’est grâce à cette activité que j’ai payé un terrain à Ziguinchor. Après la récolte, je venais vendre les produits à Ziguinchor. Je suis né et ai grandi au village. J’ai connu Ziguinchor grâce à mes activités de commerce après chaque moisson. C’est après que l’idée de payer un terrain dans la ville de Ziguinchor m’était venue en tête. C’est un investissement. En 1983, j’étais revenu pour construire ma maison à Ziguinchor. Mon aventure dans le MFDC a commencé à partir de cet instant. Je logeais chez mon oncle au quartier de Lindiane. Un jour, deux personnes étaient venues présentant un papier d’appropriation de la maison de mon oncle. Ces deux personnes venaient de Thiès. Dans le papier, c’est écrit que la maison qu’habitait mon oncle appartenait à un certain Ndiaye. Que désormais la maison ne lui appartenait pas. La scène s’était passée devant moi. On leur avait rappelé que cette maison est un héritage de la famille. Certes, ils se sont trompés d’adresse, qu’ils aillent demander ailleurs. Deux jours après, la gendarmerie était venue chercher mon oncle à la maison et l’accusait de rebelle. Il a été arrêté et emprisonné. Il a passé le reste de sa vie en prison.

Quelques jours, après, j’ai intégré le maquis parce que je dois aider la famille à récupérer le terrain,

132 mais aussi à la libération de mon oncle après l’accès à l’indépendance. Je croyais à l’époque que c’était la meilleure solution. Mais la réalité était autre dans le maquis. J’ai perdu du temps dans la forêt pour ne rien obtenir. Car l’indépendance tant promise à la population casamançaise n’est toujours pas acquise. On nous avait promis que l’indépendance serait obligatoirement obtenue et chacun récupérerait ses terres. Aujourd’hui, les propriétaires des terres spoliées sont les grands perdants. Je ne crois plus au maquis et non plus à l’indépendance. Nous nous sommes battus pendant plusieurs années sans l’obtenir. Je ne vois pas comment on l’obtiendra aujourd’hui172 ».(Toumboul, 59 ans, ex-combattant).

Cette déclaration de Toumboul témoigne ainsi l’espoir d’un peuple engagé au service d’un mouvement qui a promis une indépendance à la population casamançaise. Aujourd’hui, il y a plus de regret que d’espoir du côté de la population. Rappelons que lors des recrutements des combattants, le MFDC avait mobilisé le référent de l’indépendance pour attirer la population à adhérer à sa cause. Ce référent a poussé certaines personnes à rejoindre le maquis dans l’espoir de récupérer leurs terres. Plusieurs années sont passées dans le maquis avec toutes les conséquences que le conflit a drainées, la population casamançaise n’a plus cet espoir de voir un jour cet idéal se concrétiser. Cette situation a installé dans les rangs du MFDC une frustration à de nombreux combattants, perdant ainsi leurs terres sous leurs regards impuissants. Dès lors, l’indépendance, synonyme d’espoir d’une récupération des terres, n’est plus à l’ordre de l’attente des certaines personnes.

Aujourd’hui, le MFDC semble perdre le soutien de sa population et demeure dans une division jamais connue. C’est ainsi que ce combattant, en revenant sur sa situation socioprofessionnelle, montre comment il a été affecté par ce nouveau comportement du MFDC. Dans son intervention, Boudal tient à préciser que le MFDC a failli à sa mission quand il s’est retourné contre sa population en la traitant d’ennemie. Né d’une famille paysanne, Boudal déclare aussi avoir été injustement victime de spoliation des terres de ses parents. Il soutient dans un entretien :

« Je suis né dans une famille paysanne. L’agriculture est l’activité de survie. En effet, après le décès prématuré de mon père parce qu’il est décédé quand j’avais que 18 ans, j’ai hérité les terres. Je suis le fils de la famille. Les autres étaient des femmes mariées. Donc très jeune, j’ai hérité les terres.

Chaque hivernage, je ne cessais de les exploiter. Deux ans après le décès de mon père, le chef de notre village est venu m’informer qu’une partie de mes terres a été vendue à un instituteur. Ce dernier était le directeur d’une école de la place. Ils ont vendu cette partie sans me consulter. J’ai demandé à

172 Entretien avec Toumboul fait dans son quartier le 26/03/2019 à 10h30mn et qui a duré 2h24mn.

133 savoir pourquoi ma parcelle a été vendue sans mon consentement. Le chef a répondu que c’étaient les notables du village avec le consentement de mes parents avant leur mort qui ont décidé de la vendre à l’enseignant. Je savais que c’était faux parce que mon père ne me l’avait jamais dit. Du coup, je m’étais opposé à l’idée de vouloir les perdre. Cependant, puisque j’étais le seul fils de mon père, mes sœurs m’ont demandé de laisser tomber. La même année, pendant la saison des pluies, une personne est venue me parler de la situation des terres de mes parents. Dans son explication, elle m’a fait croire que les terres que je cultivais n’appartenaient pas à ma famille. Je ne pouvais pas supporter toutes ces paroles parce que j’imaginais déjà perdre tout le reste des terres. Un jour, j’ai expliqué toute la situation à un vieil ami à mon père. Il m’a donné l’ordre d’expliquer ma situation au MFDC. Il m’a mis en rapport avec un élément du MFDC qui était en congé dans la zone. Quand j’ai rencontré ce dernier, je lui ai fait part de ma situation. Après un entretien avec ce combattant, il m’a demandé de rejoindre le MFDC pour une probable solution. C’est ainsi que j’ai adhéré au maquis dans l’espoir de récupérer mes terres perdues injustement. Frustré de ma nouvelle situation, je n’ai que mes yeux pour constater les conséquences. L’indépendance n’est pas acquise et mes terres sont toujours dans les mains des autres173 ».(Boudal, 62 ans, combattant).

Cette déclaration permet de mettre en exergue la question de la terre dans l’analyse des causes du conflit en Casamance. En effet, il est important de noter que la spoliation des terres, avec toutes les conséquences qu’elle a suscitées est un élément déterminant dans le choix de l’adhésion des combattants au MFDC. Elle a poussé plus d’un en Casamance à rejoindre le maquis dans l’espoir de les récupérer après l’accès à l’indépendance. Cette question lancinante a été mobilisée par certains chercheurs comme Omar Diatta174 pour expliquer les causes du conflit en Casamance. Ce référent a servi d’argument au MFDC pour convaincre les victimes des terres spoliées à adhérer à la lutte dans l’espoir de les récupérer après l’accession à l’indépendance. Aujourd’hui, ce référent ne semble plus être à l’ordre du jour, car la majeure partie des combattants, après plusieurs années passées dans le maquis, ont commencé à remettre en cause ce grand dessein du MFDC.

Pourtant, aux premières heures du conflit, les Casamançais ont été incités à croire aux idées des indépendantistes. Ce qui semble impossible aujourd’hui, car, comme le soutiennent certains de nos interlocuteurs, les exactions contre les populations ont sans doute créé un divorce. Présentement, un combattant qui est considéré comme un rebelle est dépersonnalisé par sa propre population. Cette dépersonnalisation est à l’origine des conséquences engendrées par le conflit. Dans leurs discours, les combattants ont avancé des idées d’une

173 Boudal, combattant, entretien fait à son domicile (ville) le 30/09/2020 à 15h et qui a duré 1h30mn.

174 Oumar Diatta, op. cit., p.229.

134 lutte pour l'indépendance de la Casamance. Or, dans les faits, le contraire semble en évidence se produire, car la population est devenue la cible du MFDC. L’indépendance comme alternative à une sortie de crise n’est pas unanime chez une population fatiguée d’un conflit sans précédent. Du coup, l’espoir d’un combattant victime de terres spoliées voit son projet s’engloutir dans une promesse sans suite. C’est ce que semble soutenir ce jeune combattant qui commence à regretter son choix d’adhérer au MFDC. La raison de ce sentiment de regret, de déception, de désolation et de frustration est l’œuvre de la plupart des combattants ayant adopté une attitude ne prenant pas en compte la thématique existentialiste des discours indépendantistes.

Aujourd’hui, avec un MFDC divisé ou morcelé, fatigué et vieillissant, l’espoir d’une nouvelle aventure à une guérilla avec un État du Sénégal bien armé n’est pas permis. De ce fait, les quelques combattants ou membres de l’aile du MFDC victimes de spoliation de terres continue à garder de l’espoir d’une Casamance indépendante. Ce qui montre la complexité du conflit en Casamance, car, que ce soit du côté du MFDC ou de la population casamançaise, personne ne peut situer les bases de ce conflit. En définitive, il est important de rappeler que la classe populaire représente une part importante dans les rangs du MFDC. Cette classe est constituée de paysans majoritairement connus en Casamance pour la culture du riz considérée comme une activité dominante. Ce qui explique l’attachement de nombreux paysans à la terre, socle des conflits internes et d’une crise en Casamance. À cet effet, le MFDC accuse l’État du Sénégal d’être responsable de nombreuses péripéties en Casamance, poussant certaines victimes de spoliation des terres et certains fonctionnaires en Casamance à intégrer le MFDC.