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L'exclusion raisonnée ou la frontière comme limite de la justice

Si on admet la critique, évoquée à la fin du chapitre précédent, selon laquelle le pouvoir ne peut se contenter d'une manipulation insidieuse pour asseoir son autorité, la situation de celui-ci s'en trouve considérablement compliquée. Car, une fois extirpé de la position confortable que lui conférait son invisibilité et exposé au jugement démocratique, le pouvoir est sommé de fournir une forme de justification qui vienne légitimer son exercice. Or, on verra au cours du prochain chapitre que, sitôt qu'on abandonne le contexte d'un état de nature mortifère, la légitimation de la frontière se révèle être particulièrement ardue. L'introduction dans la description de la nature du politique de nouvelles prémisses impose de substituer au paradigme de la sécurité une nouvelle argumentation en termes de justice. Cette transition n'est pas dépourvue de complications philosophiques. Avec l'apparition d'un nouveau paradigme, on doit également faire place à un nouvel ensemble de penseurs au sein de notre typologie. Ce second groupe d'auteurs diverge du souverainisme réaliste envisagé au chapitre précédent par son attachement sincère aux valeurs du libéralisme et à la rationalité. Néanmoins, il en reste relativement proche par sa volonté d'offrir une légitimation théorique non seulement à l'existence de la frontière mais aussi à un contrôle strict de celle-ci. On verra que, malgré leur effort philosophique pour soutenir les pratiques frontalières depuis un angle authentiquement libéral, ces penseurs sont contraints de « lâcher du lest » et de faire certaines concessions aux arguments souverainistes. Pour ce faire, on interrogera d'abord le silence de Rawls avant de se reporter sur les tentatives des libéraux ainsi que des communautariens de combler ce vide théorique.

La transition vers un contexte politique normalisé : la désécuritisation de l'immigration

La réponse souverainiste à la question de la porosité des frontières se livre à une acrobatie rhétorique que n'auraient pas reniée les sophistes. Posée sous un angle délibérément sécuritaire, elle s'appuie sur des prémisses qui véhiculent de lourdes connotations normatives. En conséquence, la réponse se trouve déjà partiellement contenue dans la question. À la mise en avant du concept d'insécurité fait écho la valeur prépondérante de l'ordre qui en appelle à son tour à un pouvoir autoritaire et personnalisé. Partout dans cette mise en contexte, la souveraineté se devine en filigranes. La mystification logique ne fait peut-être pas preuve de trésors de subtilité mais elle a le mérite d'être efficace (à en juger par le succès des partis populistes qui donnent une tonalité anxiogène à leurs discours sur l'immigration). La conclusion en est cependant fragile. Puisqu'elle

repose dans une très large mesure sur les insinuations inscrites en creux dans la question, elle reste cruellement dépendante de la formulation de celle-ci.

Les fondements d'une critique de la position souverainiste peuvent aisément être posés sur un constat empirique alternatif quant à la nature des migrations. À l'affirmation que les migrations sont le vecteur d'un danger, il est possible d'opposer la vérité contraire d'une immigration qui profite en règle générale à ses pays d'accueil. Certes, on a vu précédemment que la décision est en principe son propre critère de justice et qu'en conséquence le souverain ne peut être soumis à la critique rationnelle. Conceptuellement, on doit en conclure que le souverain ne se préoccupe guère de la délibération sur les conséquences empiriques des migrations. Néanmoins, la transposition de cette thèse normative dans le domaine des faits, par le biais des théories de la sécurité, ne peut faire l'économie d'une importante concession à l'héritage démocratique. En effet, le processus de sécuritisation procède par la construction - éminemment sociale - d'une crainte à l'égard d'un objet.117 Mais pour que cette crainte ait un impact politique, il faut d'abord qu'elle se communique et répande. En d'autres termes, la construction sociale doit faire vibrer une corde sensible et rencontrer l'assentiment d'une partie suffisante de la population pour se permettre de soustraire son objet aux contraintes des procédures libérales. Cette exigence indique assez clairement que le décisionisme autoritaire de Schmitt doit courber l'échine devant l'enracinement de fait du principe d'égalité de la participation dans les sociétés démocratiques. Même si c'est sous une forme dévoyée, la participation politique est désormais un pré-requis de toute décision politique, y compris celles qui ont trait à la sécurité.

Cette nécessaire intervention d'un « peuple » ou, pour être plus exact, d'une opinion publique dans le processus décisionnel laisse donc la porte ouverte à un débat sur les enjeux sociaux et économiques sous-jacents aux mouvements migratoires et donne à espérer qu'un processus inverse, de désécurisation, puisse se mettre en place. En théoricien de la sécurité, Huysmans nous en donne une définition circonstanciée : « La désécuritisation, ou la déconstruction de la sécuritisation, est une stratégie critique qui vise à rendre possible la transposition des questions migratoires dans le contexte de jugements éthico-politiques qui n'en appellent pas à la crainte d'une menace existentielle pour fonder le politique. »118À en croire cette perspective encourageante, l'immigration n'est pas condamnée à être discutée dans le cadre dramatique d'enjeux existentiels. Mais cela implique d'abord de mener à bien la critique serrée des prédictions catastrophistes119 au

117Duez, Denis, L'Union Européenne et l'immigration clandestine. De la sécurité intérieure à la construction de la communauté politique, Éditions de l'Université de Bruxelles, Bruxelles, 2008, p. 32.

118Huysmans, Jef, « The Question of the Limit. Desecuritisation and the Aesthetics of Horror in Political Realism »,

Millenium - Journal of International Studies, vol.27, n°3, 1998, pp. 570-1. (Notre traduction)

sujet d'une plus grande ouverture des frontières.

Sans rentrer dans les détails de ce que cette argumentation pourrait être120, il est intéressant de relever brièvement les conclusions de quelques études empiriques. Dans leur ouvrage de référence sur l'étude des migrations, Castles et Miller présentent un tableau nuancé mais encourageant de l'impact économique de l'immigration dont la tonalité optimiste de la conclusion va à l'encontre des préjugés xénophobes : « l'arrivée de travailleurs immigrés soutient la demande, apporte des compétences et réduit la pression inflationniste. Ces facteurs contribuent à une expansion économique continue qui profite également aux travailleurs locaux. »121 Réa et Tripier rappellent à cet égard que les immigrés ont joué un rôle de premier plan dans le déploiement exceptionnel de la production pendant la période fordiste. Les Gastarbeiter ont été l'armée industrielle de réserve indispensable à la reconstruction de l'économie d'après-guerre.122 Dans un chapitre consacré à la relation entre migration et développement, Castles et Miller relèvent également que les diasporas de travailleurs issus de pays en voie de développement contribuent de façon tout à fait significative à apaiser les inégalités entre Nord et Sud grâce à l'argent qu'ils envoient à leurs proches restés au pays.123 Enfin, Nye note judicieusement que les réseaux migratoires ne sont pas tous des incubateurs du terrorisme qui menacent et fragilisent leurs pays hôtes mais peuvent bien au contraire augmenter le rayonnement culturel et l'influence d'un pays à l'étranger. Ainsi, selon lui, le très large contingent d'étudiants étrangers présents dans les universités américaines constitue une précieuse extension de la puissance douce des USA.124 Ces quelques exemples ne sont que des bribes et morceaux d'études empiriques choisis de façon partiale afin de présenter le phénomène migratoire sous son jour le plus avenant. L'intention n'est pas d'offrir une défense systématique des avantages empiriques de l'immigration mais plus modestement de suggérer qu'une approche sous un autre angle que la sécurité est tout à fait envisageable.125

simplement l'incapacité de l'État à assurer ses fonctions régaliennes suite à une vague migratoire sont légions. On n'en retiendra que deux pour l'exemple : Macedo, Stephen, « The Moral Dilemma of U.S. Immigration Policy. Open Borders Versus Social Justice ? » dans Swain, Carol M. (dir.), Debating Immigration, Cambridge University Press, New York, 2007, pp. 63-81 et Woodward, James, « Commentary : Liberalism and Migration » dansBarry, Brian ; Goodin, Robert E. (dir.), Free Movement. Ethical Issues in the Transnational Migration of People and of Money, Harvester Wheatsheaf, London, 1992.Dans le monde francophone, on se reportera avec curiosité sur les travaux de Dominique Schnapper qui posent qu'une entité politique ne peut survivre sans un certain degré d'homogénéité culturelle, cf. Schnapper, Dominique, La communauté des citoyens. Sur l'idée moderne de nation, coll. « Folio essais », Gallimard, Paris, 2003 (1994)., pp. 200-6. Moins nuancé et plus outré, on pourra également consulter les imprécations de Debray sur l'inextricable lien entre la nation, le sacré et la clôture dans Debray, Régis, Éloge de la frontière, Paris, Gallimard, 2010.

120Pour une critique plus détaillée de la ruine annoncée suite à l'ouverture des frontières, se reporter à Abizadeh , Arash, « Liberal Egalitarian Arguments for Closed Borders. Some Preliminary Critical reflections », Ethics and Economics,

vol.4, n°1 (2006).

121Castles, Stephen ; Miller, Mark J., The Age of Migration. International Population Movements in the Modern World, 4e édition, Palgrave Macmillan, London, 2009, p. 231.

122Réa, Andréa ; Trypier, Maryse, Sociologie de l'immigration, coll. « Repères », La Découverte, Paris, 2008, pp. 32-6. 123Castles, Stephen ; Miller, Mark J., The Age of Migration,op. cit., pp. 59-62.

124Nye, J.P., Soft power. The means to success in world politics, Public Affairs, New York, 2004.

La transition vers la démocratie libérale : de l'ordre à la justice, de l'objet au sujet de droit

Dans un contexte dépourvu de menaces existentielles, la légitimité du souverain ne peut plus uniquement reposer sur sa seule faculté à garantir l'ordre et la sécurité. Le geste philosophique premier des réalistes, la séparation stricte de la morale et de la politique126, doit dès lors être révisé, si pas abandonné. Car l'allégeance politique des citoyens, une fois ceux-ci débarrassés de leur crainte, est conditionnelle. Elle dépend de la faculté du souverain à satisfaire leurs aspirations conflictuelles. L'État perd à leurs yeux son importance vitale et revêt plutôt une valeur instrumentale. Autrement dit, l'État n'est plus le refuge au-delà duquel la mort violente est imminente, pas plus que ses frontières ne sont des remparts protecteurs. L'État est plus modestement l'outil politique mis communément en place par les citoyens pour faire valoir leurs droits. Dès lors, l'exercice de son pouvoir et les pratiques de ses institutions ne seront légitimes que dans la mesure où ils se feront selon des principes de justice. Selon les mots de Rawls :

« La justice est la première vertu des institutions sociales comme la vérité est celle des systèmes de pensée. Si élégante et économique que soit une théorie, elle doit être rejetée ou révisée si elle n'est pas vraie ; de même, si efficaces et bien organisées que soient des institutions et des lois, elles doivent être réformées ou abolies si elles sont injustes. »127

Cette citation de Rawls nous amène à une seconde révision. Si l'assise de la légitimité du souverain se trouve altérée par l'irruption de la moralité, il en va de même pour la perception du migrant. Agamben s'est efforcé de démontrer que la toute-puissance souveraine se reflétait dans le déni des droits de l'homo sacer.128Cette figure archaïque du droit romain qui désigne une personne qui peut être tuée impunément mais qui ne peut être sacrifiée (car sa vie est sans valeur) est l'incarnation paradigmatique du sujet soumis à l'autorité souveraine bien que privé de tous ses droits subjectifs.129 L'homo sacer est le négatif de l'absolu du pouvoir. Pour que ce dernier soit authentiquement souverain, il est indispensable que les individus lui soient soumis dans toute la

fantasmes et réalités. Pour une alternative à la fermeture des frontières, coll. « Sur le vif », La Découverte, Paris, 2008.

126Selon la recommandation susurrée à l'oreille du prince par son conseiller : « Sur cela s'est élevée la question de savoir s'il vaut mieux être aimé que craint, ou être craint qu'aimé ? On peut répondre que le meilleur serait d'être l'un et l'autre. Mais, comme il est très difficile que les deux choses existent ensemble, je dis que, si l'une doit manquer, il est plus sûr d'être craint que d'être aimé. », cf. Machiavel, Nicolas, Le Prince, Bibliothèque Aldine, Paris, 1947, p. 79.

127Rawls, John, Théorie de la justice, trad. Audard, Catherine, Seuil, Paris, 1987 (1971), p. 29.

128Agamben, Giorgio, Homo sacer, I. Le pouvoir souverain et la vie nue, trad. Raiola, Marilène, coll. « L'ordre philosophique », dir. Cassin, Barbara et Badiou, Alain, Seuil, Paris, 1997, pp. 80-126.

nudité de leur impuissance. Dans cette perspective, le migrant ne peut être que l'objet passif d'une décision qui lui échappe. L'idée même qu'il se réclame de certaines obligations du souverain à son égard, voire qu'il se revendique comme un sujet politique qui prend part aux décisions qui le concernent est de l'ordre de la fantaisie. Néanmoins, l'irruption de l'éthique dans la considération du contrôle frontalier oblige à réviser ce schéma. Car le paradigme de justice qui émerge s'appuie sur la prémisse universaliste de l'égale valeur de tout être humain, comme l'affirme Phillip Cole : « on reconnaît une théorie politique libérale au rôle axial qu'y joue son dévouement à l'égalité morale des personnes. »130 Une fois posé cet axiome libéral, il devient moralement inadmissible de distinguer brutalement entre ami et ennemi (ou entre citoyen et étranger) et de déposséder ce dernier de son humanité. De simple objet dont on dispose, le migrant passe au statut d'individu protégé des abus du pouvoir par la reconnaissance de son égale valeur morale. Grâce à ce détour salutaire, la conceptualisation de la frontière rejoint enfin la théorie démocratique. Mais cette réinscription au sein de la démocratie se fait au prix d'une certaine complexité philosophique.

Le problème de toute justification de la frontière qui cherche à se mouler dans le paradigme de la justice, c'est que les principes d'impartialité et d'universalité (déjà mis en avant par Kelsen) semblent a priori être consubstantiels. Intuitivement, il n'est pas compliqué de voir que, si on cherche à traiter tous les êtres humains selon les mêmes critères, la division arbitraire de l'humanité en sous-groupes territoriaux n'est pas l'opération la plus judicieuse. Car cette division engendre inévitablement une distinction entre citoyen et étranger dont la conflictualité avec le principe d'impartialité suscite un malaise conceptuel. Kymlicka résume brillamment cet embarras : « Les droits fondamentaux que le libéralisme accorde aux individus se révèlent être réservés à certains individus en particulier, à savoir ceux qui sont citoyens de l'Etat. »131 À première vue, il est donc fort tentant d'affirmer que le seul horizon de la justice distributive qui ne fasse pas preuve d'hypocrisie est l'horizon cosmopolitique. Seule une polis mondiale permet d'évacuer l'encombrante question des inégalités entre membres et exclus d'une communauté politique (puisque par définition cette communauté ne laisse personne à sa porte). Même quelqu'un comme Walzer, dont le scepticisme à l'égard du cosmopolitisme n'est plus à démontrer, est forcé de reconnaître que : « seul le monde est un monde de distributions qui se suffit à lui-même. »132

Ce serait cependant une erreur de croire que les principes libéraux d'universalité et

130Cole, Phillip, Philosophies of Exclusion. Liberal Political Theory and Immigration, Edinburgh University Press, Edinburgh, 2000, p. 3. (Notre traduction)

131Kymlicka, Will, « Territorial Boundaries: A Liberal Egalitarian Perspective » dansMiller, David ; Hashemi, Sohail (dir.), Boundaries and Justice. Diverse Ethical Perspectives, Princeton University Press, Princeton, 2001, p. 249. 132Walzer, Michael, Sphères de justice. Une défense du pluralisme et de l’égalité, trad. Engel, Pascal, Seuil, Paris,

d'impartialité bannissent absolument toute forme de discrimination. Une partie de l'effort de Rawls consiste précisément à essayer de démontrer qu'il est légitime d'exiger - au nom de l'intérêt public - de plus grands sacrifices de la part des individus qui jouissent d'une situation de départ plus avantageuse.133 Sans rentrer dans les détails d'une telle argumentation, on se contentera d'en retenir la logique interne : certaines distinctions sont légitimes dans la mesure où elles sont rationnellement acceptables par chaque individu indépendamment de sa position dans la société. La question qui se pose dès lors est celle de la transposition de ce processus de légitimation à la question des frontières. Comment réconcilier les faits (l'existence de frontières territoriales arbitraires) et les normes (l'égalité morale de chaque individu) sans pour autant mettre l'impartialité en porte à faux vis-à-vis de l'universalité ?

Rawls : silence, on délimite !

Si on cherche à connaître la position contemporaine des libéraux sur la question, le premier réflexe est de se tourner vers les écrits de leur représentant tutélaire, Rawls. Malheureusement, la volonté de savoir ce que Rawls aurait à dire au sujet de la frontière se heurte à un souci majeur. Ce dernier n'a tout simplement jamais abordé explicitement la question de la frontière.134 Comment rendre compte de ce silence au sujet de l'institution frontalière ? Une partie de l'explication se trouve dans le schéma conceptuel selon lequel Rawls envisage les relations entre politique domestique et relations internationales. Comme l'a souligné Buchanan, Rawls est resté prisonnier d'un modèle westphalien pourtant moribond.135 Ce modèle se construit sur deux étages conceptuels clairement distincts. Au premier étage se trouve la structure de base constituée de toutes les institutions qui canalisent, répartissent et distribuent au sein d'un même espace politique les biens sociaux entre les individus. Au second étage se situent les États136 définis par Rawls comme des entités économiquement autosuffisantes et dont l'action internationale est unifiée et homogène.137

Conséquemment, Rawls construit ses principes de justice sur ces deux mêmes niveaux. Les principes domestiques de justice distribuent équitablement les biens sociaux entre individus tandis

133Rawls, John, Théorie de la justice, op. cit., pp. 96-106.

134Glover, Robert W., « Eyes Wide Shut. The Curious Silence of The Law of Peoples on Questions of Immigration and Citizenship », Eidos, vol. 14, 2011, pp. 10-49. Pour un avis concordant, voir également Benhabib, Seyla, « The Law of Peoples, Distributive Justice, and Migrations », Fordham Law Review, vol. 72, n°5, 2004, pp. 1761-87.

135Buchanan, Allen, « Rawl's Law of Peoples. Rules for a Vanished Westphalian World », Ethics,vol. 110, n°4, 2000, pp. 697-721.

136Voir la discussion instructive par Buchanan de la notion de « people » chez Rawls. Selon lui, la notion rawlsienne de peuple est équivalente à celle d'État, ce qui fait de « Law of Peoples » une entreprise de fondation du droit inter-étatique (à la différence du droit international) avec toutes les implications que cela comporte pour des questions comme le droit des minorités ou la légitimité d'une sécession. Cf. Buchanan, Allen, « Rawl's Law of Peoples. Rules for a Vanished Westphalian World », loc. cit., pp. 697-721.

que les principes internationaux de justice, un peu moins ambitieux, se contentent de réguler pacifiquement les relations internationales. Étant donné l'hétérogénéité de la sphère domestique et de la sphère internationale, on ne s'étonnera pas de ce que les principes de justice soient construits différemment d'un cadre à l'autre.138 Le problème ne se situe pas là. L'inconvénient d'une telle présentation est que les principes de justice sont définis respectivement en deçà et au-delà de la frontière, laissant celle-ci dans un flou absolu. À cause de sa situation hybride, un pied dans la politique domestique et un pied dans les relations internationales, la frontière est de facto exclue de la réflexion rawlsienne. Elle se situe dans un no man's land théorique entre deux jeux de principes de justice.

On pourrait juste en conclure à un oubli de la part de Rawls. Néanmoins, il nous semble que ce silence est en réalité éloquent et qu'il traduit une prise de position tacite à l'encontre de

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