• Aucun résultat trouvé

EVOLUTIONS PARADIGMATIQUE ET CODES DE GOUVERNANCE : UNE ANALYSE DES EXEMPLES BRITANNIQUE ET FRANÇAIS

Quelle effectivité des codes de gouvernance ?

Partie 2 : Quelle effectivité des codes de gouvernance ?

1. La définition d’une bonne gouvernance d’entreprise, un sujet controversé ?

1.2.3. EVOLUTIONS PARADIGMATIQUE ET CODES DE GOUVERNANCE : UNE ANALYSE DES EXEMPLES BRITANNIQUE ET FRANÇAIS

Cette section analyse l’évolution de deux codes, le Combined Code britannique et le Code AFEP-MEDEF français, entre le milieu des années 2000 et le milieu des années 2010. Entre 2005 et 2015, ces codes ont fait tout deux l’objet de cinq révisions successives – un record en Europe (cf. AMF, 2016, p.15). Pour l’AMF, une raison essentielle de ces révisions est « le changement du monde des affaires, qui induit l’apparition de nouveaux standards de gouvernement d’entreprise » (p. 16). Si ces changements sont manifestes, avec l’occurrence de la crise financière de 2008, ils concernent également la sphère académique, avec une remise en cause croissante du modèle actionnarial et de la vision agentielle de la gouvernance. L’exercice que nous proposons permet de fait d’apprécier le déplacement s’opérant sur cette période, avec le passage d’un modèle agentiel (de type A) à une vision plus complexe, de type B ou C (voir tableau précédent).

Le Combined Code

Concernant le Combined Code, nous mesurons son évolution en comparant la version de 2008 (avant crise) avec la version la plus récente, datée de 2014. Nous nous intéressons plus spécifiquement à deux thèmes ou dimensions « structurants » du code : l’objet de la gouvernance et la composition du conseil d’administration.

117

Lorsqu’il cherche à définir les finalités ou l’objet de la gouvernance, le Combined Code de 2008 fait explicitement référence à l’intérêt des actionnaires – s’ancrant ainsi pleinement dans le cadre du modèle actionnarial. Le premier paragraphe (p.1) note ainsi : « [G]ood corporate governance should contribute to better company performance by helping a board discharge its duties in the best interests of shareholders ». Puis: « Good governance should facilitate efficient, effective and entrepreneurial management that can deliver shareholder

value over the longer term » (p. 1). Dans la version de 2008, les lignes précédentes ont été

remplacées. La tonalité est sensiblement différente, définissant l’objectif de la gouvernance sans référence à l’intérêt des actionnaires : « The purpose of corporate governance is to facilitate effective, entrepreneurial and prudent management that can deliver the long term

success of the company » (p. 1).

Sur la question de la composition du conseil d’administration, on peut également observer un glissement significatif, et cohérent avec le mouvement précédent – à savoir une prise de distance avec une focalisation excessive sur l’indépendance des administrateurs. Pour s’en rendre compte, il convient de noter que le Combined Code est structuré en deux niveaux hiérarchiques : sur un sujet donné sont d’abord énoncés les main principles (grands principes), puis les supporting principles (dispositions) qui mettent en œuvre les premiers et leur sont subordonnées. Sur la composition du conseil, donc, le Code de 2004 pose comme grand principe : « The board should include a balance of executive and non-executive directors (and in particular independent non-executive directors) » (p. 7). Une référence est ensuite faite à « the balance of skills and experience », mais seulement dans les dispositions (Supporting

Principle, p. 7). La version de 2014 ne reproduit pas cette hiérarchie. Au contraire, les

différentes qualités d’un administrateur sont mises sur le même plan, avec un main principle qui s’énonce de la manière suivante : « The board and its committees should have the

appropriate balance of skills, experience, independence and knowledge of the company to

enable them to discharge their respective duties and responsibilities effectively » (p. 10). L’indépendence n’est plus qu’une qualité parmi d’autres, au côté de l’expertise, de l’expérience et des compétences. Cette approche est réaffirmée quelques pages plus loin, dans l’énoncé du main principle en matière d’évaluation de la composition des conseils : « Evaluation of the board should consider the balance of skills, experience, independence and knowledge of the company on the board, its diversity, including gender, how the board works together as a unit, and other factors relevant to its effectiveness. » (p. 14).

Le Code AFEP-MEDEF

De manière générale, si le code français a fait lui aussi l’objet de nombreuses révisions, les modifications sont, sur le fond, très modestes – en tout cas plus modestes que le code britannique. Les éditions successives se ressemblent beaucoup – le fait que le document soit

118

produit par les entreprises elles-mêmes, cas unique en Europe (AMF, 2016, pp.121-14), étant peut-être une explication. S’agissant de l’objet de la gouvernance, les quatre dernières éditions du code (2008, 2010, 2013 et 2015) sont quasiment identiques, en faisant systématiquement référence à « l’intérêt social de l’entreprise ». Le concept est délibérément flou. Il ne fait pas explicitement référence à l’intérêt des actionnaires : le modèle de la souveraineté actionnariale n’est ainsi pas directement endossé, conformément à un capitalisme que l’on se représente souvent comme plus ouvert aux parties prenantes que les capitalismes britannique ou nord-américain.130 L’« intérêt social », toutefois, peut aisément

être interprété, d’un point de vue juridique, comme représentant l’intérêt des actionnaires – même si certains spécialistes rejettent cette interprétation (Paillusseau, 1999). On notera néanmoins que l’adjonction du terme « entreprise » – qui n’existe pas en droit, et dépasse la frontière ou le cadre de la société comme personne morale – fait pencher vers une interprétation large du concept d’intérêt social, dépassant les frontières de la société et de ses actionnaires.

Concernant la composition du conseil d’administration, il est en revanche possible de diagnostiquer un changement (de paradigme) similaire à celui observé en Grande-Bretagne : alors que la version de 2008 est principalement centrée sur la notion d’indépendance, on voit émerger, à partir de 2010, la thématique de la diversité (des compétences, hommes/femmes et de nationalité). Le paragraphe 6.3 de l’édition de 2008 traite de la composition dans les termes suivants : « Chaque conseil doit s'interroger sur l'équilibre souhaitable de sa composition et de celle des comités qu'il constitue en son sein, en prenant des dispositions propres à garantir aux actionnaires et au marché que ses missions sont accomplies avec

l'indépendance et l'objectivité nécessaires » (p. 11). En 2010 (la formulation est la même en

2013), la diversité fait son apparition, dans ce même paragraphe 6.3 : « Chaque conseil doit

s’interroger sur l’équilibre souhaitable de sa composition et de celle des comités qu’il constitue en son sein, notamment dans la représentation entre les femmes et les hommes et la diversité

des compétences, en prenant des dispositions propres à garantir aux actionnaires et au

marché que ses missions sont accomplies avec l’indépendance et l’objectivité nécessaires. Pour parvenir à cet équilibre, l’objectif est que chaque conseil atteigne puis maintienne un pourcentage d’au moins 20 % de femmes dans un délai de trois ans et d’au moins 40 % de femmes dans un délai de 6 ans » (p. 11). L’édition de 2015, enfin, ajoute une nouvelle source

de diversité, en termes de nationalité : « Chaque conseil doit s’interroger sur l’équilibre souhaitable de sa composition et de celle des comités qu’il constitue en son sein, notamment dans la représentation des femmes et des hommes, les nationalités et la diversité des

130 Ceci est par exemple mis en avant dans le premier code de gouvernance publié en France, en 1995

(dit rapport Viénot I) :« Dans les pays anglo-saxons, l’accent est principalement mis sur l’objectif de maximisation rapide de la valeur de l’action, alors que, sur le continent européen et en particulier en France, il est plutôt mis sur l’intérêt social de l’entreprise » (p. 8).

119

compétences, en prenant des dispositions propres à garantir aux actionnaires et au marché que ses missions sont accomplies avec l’indépendance et l’objectivité nécessaires » (p. 9).

1.3. L’inadéquation des technologies juridiques traditionnelles en présence de définitions concurrentes des bonnes pratiques de gouvernance

A ce stade, deux caractéristiques de la gouvernance d’entreprise semblent émerger. Premièrement, l’absence de consensus théorique ou empirique sur une définition univoque de la « bonne gouvernance » et la coexistence de modèles et représentations de l’entreprise concurrents alimentent des recommandations normatives divergentes, sans que les sciences économiques et de gestion ne soient en mesure de les départager. Deuxièmement, les besoins hétérogènes des firmes en matière de gouvernance constituent un obstacle à la production et la mise en œuvre de règles uniformes s’appliquant à l’ensemble des entreprises indifféremment.

Ainsi, les règles de gouvernance semblent devoir satisfaire deux contraintes :

- D’une part, elles doivent pouvoir prendre en compte les évolutions des paradigmes de gouvernance dans le temps, quelle qu’en soit l’origine (avancées scientifiques théoriques et empiriques, changement de l’environnement économique, financier et social des firmes, idéologiques, évolution des pratiques...) ;

- D’autre part, elles doivent également être suffisamment souples et englobantes pour répondre à la demande juridique de firmes hétérogènes.

Dès lors, les règles de gouvernance semblent devoir se caractériser avant tout par leur adaptabilité et leur souplesse. Or les technologies juridiques traditionnelles (droit législatif, réglementations étatiques, normes produites et mises en œuvre par des autorités publiques …) semblent en large part inadaptées au domaine de la gouvernance d’entreprise, pour plusieurs raisons dont certaines sont mises en avant par l’analyse économique du droit.

- D’une part, elles sont uniformément contraignantes, suivant en cela à la logique kelsenienne de la caractérisation du droit par la contrainte. Si elles peuvent certes prévoir des aménagements et dérogations par rapport à la norme, y introduire des cas particuliers et des exemptions, le texte juridique s’impos e de manière générale à l’ensemble des agents de manière uniforme. De ce fait, les technologies juridiques classiques semblent échouer à prendre en compte les besoins différenciés des firmes dans le domaine spécifique de la gouvernance d’entreprise.

120

- D’autre part, elles sont le plus souvent considérées comme insuffisamment flexibles et adaptables au regard des besoins des firmes. En particulier, une idée généralement admise en économie du droit est que les évolutions du droit produit par les autorités publiques sont coûteuses et longues, en raison notamment du coût élevé de la production de droit par les autorités législatives et réglementaires (Cooter, 1996 ; Rubin, 1982). De ce fait, dans un contexte de gouvernance où les besoins des entreprises évoluent de façon rapide (cf. supra), la production et la mise en œuvre de règles de gouvernance adaptées, suivant les évolutions paradigmatiques de la gouvernance d’entreprise, serait difficile et coûteuse à mettre en œuvre pour les autorités publiques.

Ainsi, les difficultés du droit traditionnel à rendre compte des ambivalences théoriques et empiriques des sciences économiques et de gestion dans la définition de la qualité de la gouvernance et l’hétérogénéité des besoins des firmes, couplées à la demande d’information standardisée des opérateurs économiques, amènent à réfléchir à des formes juridiques alternatives capables de prendre en compte les spécificités de la gouvernance d’entreprise. Les codes de gouvernance d’entreprise, s’ils sont eux-mêmes hétérogènes, possèdent ainsi certaines caractéristiques qui en font un outil régulatoire adapté – au moins en partie – au champ de la gouvernance. Dans les sections suivantes, nous construisons une analyse coûts – avantages des codes de gouvernance, afin de mettre en évidence leurs avantages et inconvénients dans les processus de production et de mise en œuvre des principes de « bonne

Outline

Documents relatifs