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ADHESION AUX CODES ET SANCTIONS EXTRA-JURIDIQUES

Quelle effectivité des codes de gouvernance ?

Partie 2 : Quelle effectivité des codes de gouvernance ?

3. Coûts et avantages des codes en matière de mise en œuvre des recommandations de gouvernance – quelle effectivité des codes ?

3.1.2. ADHESION AUX CODES ET SANCTIONS EXTRA-JURIDIQUES

L’adhésion aux codes ne résulte pas uniquement des gains qu’elle engendre pour les entreprises, mais aussi de diverses sanctions encourues par les entreprises n’adoptant pas les bonnes pratiques reconnues dans les codes.

La particularité de ces sanctions tient à leur caractère extra-juridique et à leur mode de mise en œuvre décentralisé (decentralized enforcement), ne nécessitant pas le rôle d’une autorité centrale coercitive – et présentant de ce fait l’intérêt de ne rien coûter directement aux contribuables. Ces sanctions, exercées de façon décentralisée, ont été définies par Hadfield et Weingast (2012) comme « l’imposition de sanctions [qui] résulte des décisions individuelles d’agents ordinaires opérant de façon indépendante, et non de la décision d’agents juridiques officiels, tels que la police ou les juges, ni du résultat de pactes explicites d’action collective. La mise en œuvre décentralisée de sanctions inclut aussi l’adhésion (compliance) volontaire (entendue au sens où l’individu se punit lui-même pour s’être engagé dans un comportement illicite), la punition individuelle (du type de celle mise en œuvre dans les stratégies donnant-donnant des jeux répété (Axelrod, 1984), par exemple), et les punitions

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collectives (du type de celles où un ensemble d’individus agissant indépendamment refusent collectivement d’interagir avec quelqu’un qui s’est mal conduit) ». La lex mercatoria en Europe au Moyen-Âge, la ruée vers l’Or en Californie au 19ème siècle, ou encore le commerce

international aujourd’hui constituent ainsi des épisodes historiques où la régulation des activités s’est opérée à travers des sanctions exercées de manière décentralisée – sans intervention d’une autorité publique centrale et dotée d’un pouvoir coercitif (Benson, 2012 ; Hadfield & Weingast, 2013 ; Bernstein, 1992 ; Greif et al., 1994).

Dans le domaine de la gouvernance d’entreprise, de telles sanctions décentralisées prennent tout d’abord la forme de sanctions de marché, créant de fait une discipline de marché s’exerçant sur les entreprises (Fama, 1970). Du point de vue de la théorie économique standard, ces dernières sont en effet incitées à mettre en œuvre les recommandations contenues dans les codes de bonne gouvernance, sous peine de subir une sanction de marché. Ainsi, une entreprise respectant les codes est valorisée sur les marchés financiers, par l’intermédiaire de son cours boursier. A contrario, une entreprise déviant des règles de bonne gouvernance est sanctionnée par une baisse de la valeur de ses actions. La « discipline de marché » est dans ce cadre censée conduire les entreprises à adopter les « bonnes pratiques » contenues dans les codes de bonne gouvernance et reconnues par les communautés d’affaires. Une forme de régulation marchande – ou exercée par le marché – incite donc les agents économiques à se conformer aux recommandations des codes, sans qu’il soit nécessaire de recourir aux sanctions juridiques traditionnelles. Dans cette perspective, les codes de gouvernance se substituent efficacement aux régulations publiques traditionnelles – à caractère central, étatique et coercitif – et aux sanctions juridiques classiques pour réguler les comportements des entreprises. L’effectivité des codes résulte alors d’une démarche d’adhésion volontaire des entreprises – y compris en l’absence de sanction juridique exercée par une autorité externe au marché : pour envoyer un signal positif au marché et accroître leur cours boursier, il est de l’intérêt des entreprises d’adhérer aux « bonnes pratiques » identifiées dans les codes.

Dans cette perspective, on comprend alors la mise en avant des obligations de

disclosure et d’information dans l’ensemble des codes de gouvernance, s’expliquant par le

souci d’assurer l’effectivité de la discipline de marché. En effet, les obligations de transparence et d’information des actionnaires/investisseurs et du marché facilitent et renforcent le contrôle des comportements des entreprises par le marché, en conférant aux opérateurs une capacité informée à exercer efficacement leur contrôle. A contrario, lorsque les investisseurs et parties prenantes sont incapables de contrôler effectivement les comportements des entreprises en raison d’une information insuffisante, il existe un risque d’inefficacité de la discipline de marché. L’accent porté sur la dimension informative de la gouvernance dans les codes s’explique alors par le souci de préserver et renforcer l’effectivité des sanctions de

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marché. D’une part, les codes soulignent la centralité d’une information de qualité délivrée aux investisseurs et actionnaires et organisent les modalités de sa production et de sa transmission par les entreprises. D’autre part, cette information permet aux agents de vérifier que les entreprises mettent bien en œuvre les recommandations de bonnes pratiques des codes. En d’autres termes, les codes recommandent donc aux entreprises de révéler aux agents l’information qui servira à ces derniers à vérifier la conformité des entreprises aux codes ! Dans cette perspective, le code s’analyse donc comme un moyen de renforcer la discipline de marché, sur laquelle il fonde précisément son effectivité (appréciée selon le taux de conformité des entreprises à ces derniers).

L’effectivité des sanctions de marché est cependant discutée dans la pratique. D’une part, les acteurs de marché peuvent manquer d’information suffisante pour exercer réellement et efficacement leur rôle de contrôle – ou ils peuvent alternativement être submergés par l’information, et se trouver incapables de la traiter. Quelques études au Portugal et en Espagne trouvent une réaction positive du marché en cas de mise en conformité, mais elles sont isolées (Fernandez-Rodriguez et al. 2004 ; Del Brio et al. 2006). De manière générale, les études menées sur cette question aboutissent plutôt à des résultats très pessimistes, montrant qu’il n’y a en général pas de sanctions par le marché (Nowak et al., 2004 ; Goncharov et al., 2006 ; Weir et al., 2000). Par ailleurs, De Jong et al. (2005) mettent également en évidence l’absence d’effet notable de l’introduction d’une autorégulation portée par le secteur privé aux Pays-Bas (avec le Comité Peters) et destinée à améliorer les pratiques de gouvernance d’entreprise. Dans les faits, la mise en place de cette autorégulation reposant sur les sanctions de marché semble avoir eu peu d’impact sur les pratiques de gouvernance des firmes et leur valeur de marché.

En outre, au-delà de la menace de sanctions de marché, l’adhésion des entreprises aux codes peut également s’expliquer en référence aux analyses économiques de la conformité aux normes sociales. Depuis la Théorie des sentiments moraux (1759) d’Adam Smith, l’analyse économique reconnaît en effet que le désir d’approbation peut constituer une motivation à agir des individus. Plus récemment, une littérature économique foisonnante analyse les effets de la pression sociale (peer pressure) sur les comportements des individus (Voir par exemple Akerlof, 1980 ; Banerjee, 1992 ; Bernheim, 1994 ; Ellickson, 1991, 1998 ; Kahan, 1996 ; Posner, 2000, 2007 ; Bénabou et Tirole, 2006). Menacés de sanctions « sociales », telles que l’exclusion du groupe (ostracisme), la critique, la stigmatisation, la réprobation morale, les individus sont incités à adopter des comportements conformes aux normes prévalant dans leur groupe. Rapportées au champ de la gouvernance d’entreprise, ces analyses soulignent elles-aussi l’importance de la réputation dans l’explication de l’adhésion des entreprises aux codes. Dans des réseaux d’affaires étroitement interconnectés, les pratiques de divulgation

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des comportements déviants, tels que le « name and shame » peuvent assurément exercer un rôle disciplinant sur les comportements des entreprises et de leurs dirigeants.

Enfin, on peut remarquer que des sanctions juridiques classiques peuvent venir renforcer les sanctions extra-juridiques et expliquer l’adhésion des firmes aux principes contenus dans les codes. Dans un certain nombre de pays, en effet, les autorités publiques interviennent par exemple pour faire respecter les règles de disclosure, dans les situations où les firmes ne s’y conforment pas spontanément. Selon Hopt (2011, p. 15), il s’agit ainsi d’une « intéressante technique située entre l’aurorégulation et la régulation par la loi, qui peut être décrite comme ‘une forme d’autorégulation dans l’ombre de la loi’ (self-regulation in the

shadow of the law) ».

3.2. Principe du comply or explain et adhésion aux codes

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