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Evolution des particules entre la zone source et les sites récepteurs

Caractérisation physico-chimique et étude du vieillissement des particules inorganiques urbano-industrielles

VII. Apport de la cryo-microscopie à l’étude de la réactivité des particules inorganiques caractéristiques d’un environnement sous forte influence

VII.2. Evolution des particules entre la zone source et les sites récepteurs

Comme indiqué précédemment, la détermination quantitative de l’état de mélange, via le calcul de l’indice χ, permet de rendre compte plus précisément de ce que l’on nomme plus généralement et qualitativement, le "vieillissement" des aérosols.

À cet égard, les résultats obtenus le 4 juillet 2017, résumés sur la Figure 111 sont assez représentatifs.

Figure 111 : Schéma bilan des particules identifiées dans les prélèvements collectés le 4 juillet 2017 et des processus atmosphériques associés supposés

L’indice d’état de mélange augmente en effet très nettement entre la source et le récepteur, passent de 39-56% sur le site source à 62-93% sur le site récepteur, selon la fraction granulométrique considérée. Cela est essentiellement dû, comme indiqué au §V, à une augmentation de la diversité intraparticulaire Dα, la diversité interparticulaire Dγ étant quasiment stable.

Cette augmentation de Dα est due essentiellement à deux facteurs :

▪ l’apparition d’un grand nombre de particules carbonées en mélange interne avec des aérosols inorganiques secondaires (nitrate d’ammonium), des oxydes de fer et de manganèse, du gypse, du sulfate de potassium, des sels marins et des aluminosilicates

▪ la disparition des sels marins fraîchement émis, composés uniquement de chlorure de sodium, au profit de sels marins évolués, composés de nitrate de sodium la plupart du temps en mélange interne avec NaCl ou de la matière organique.

À cette tendance lourde s’oppose simplement l’apparition de deux nouvelles catégories d’aérosols inorganiques secondaires, constituées de sulfate et nitrate d’ammonium, ce qui renforcerait la diversité interparticulaire.

Ces observations semblent aller à l’encontre des conclusions de O’Brien et al. [2015] qui ont montré, dans leur cas, que les populations de particules présentant une proportion relative de particules marines importante ont un indice d’état de mélange élevé, alors qu’ici la proportion de particules d’origine marine diminue entre la source et le récepteur. Mais, dans notre cas, c’est plus la réactivité des sels marins, conduisant à des mélanges internes plus ou moins complexes et diversifiés, qui contribue à l’augmentation de Dα et donc à l’augmentation de l’indice d’état de mélange.

On observe également, sur le site récepteur, des particules de suie, absentes du site source. Toujours selon O’Brien et al. [2015], il semblerait que l’augmentation de la proportion relative de particules de suie puisse conduire à une population plus hétérogène, et donc à une augmentation de l’indice d’état de mélange, du fait de l’augmentation de la diversité intraparticulaire. Mais dans notre cas, ces suies ne représentent qu’une faible proportion du total (1 à 2%) et ne semblent pas conduire à de nouvelles particules de composition hétérogène.

La situation est très différente le 5 juillet, dans la mesure où la diversité intraparticulaire reste sensiblement constante alors que la diversité interparticulaire diminue, lorsque l’on compare les sites source et récepteur. Ceci conduit cette fois à une augmentation limitée de l’indice d’état de mélange, en dépit de l’apparition de nouveaux types de particules en mélange binaire sur le site récepteur, comme le montre la Figure 112. Toutefois, le cas des oxydes de fer, très abondants à la source (60% du total, environ, dans la fraction 1-10 µm) est caractéristique de l’évolution rapide des aérosols à l’échelle urbaine à laquelle nous sommes confrontés. Ces particules ne représentent plus que 36% de la fraction supermicronique sur le site récepteur du Puythouck, mais près de 57% des particules de la fraction submicronique et sont alors constituées d’oxydes de fer associés à de la matière organique, ce qui tend à démontrer la réactivité de cette catégorie d’aérosols industriels. Le "glissement" granulométrique constaté peut quant à lui s’expliquer par la diminution de la masse volumique apparente de ces aérosols de fer, après qu’ils aient incorporé de la matière organique beaucoup moins dense que le "noyau" d’oxyde de fer.

Figure 112 : Schéma bilan des particules identifiées dans les prélèvements collectés le 5 juillet 2017 et des processus atmosphériques associés supposés

En résumé, les résultats de cette campagne de mesures ont permis de mettre en évidence des processus de vieillissement rapide des aérosols, entre leur point d’émission en zone industrielle et des sites périurbains. L’originalité de notre approche a été d’utiliser pour cela des analyses individuelles de particules par cryo-MEB-EDX, nous permettant ainsi de pouvoir caractériser l’indice d’état de mélange à l’échelle particulaire et non moléculaire, prenant en compte l’azote dans le calcul de l’indice d’état de mélange. Le fait de pouvoir quantifier l’azote à l’échelle de la particule individuelle nous a permis notamment d’étendre l’étude des aérosols inorganiques secondaires (AIS), dont le comportement est bien souvent étudié, à l’heure actuelle, en ne considérant que le soufre comme traceur de ces AIS [Bondy et al., 2018].

Conclusion

De nombreuses études scientifiques ont démontré le caractère néfaste de la pollution particulaire atmosphérique à court et long termes sur la santé humaine. De plus, cette pollution particulaire influe sur les propriétés radiatives de l’atmosphère et joue un rôle non négligeable sur l’évolution du climat. Comme souligné par le Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat [IPCC, 2013], il est donc nécessaire de mieux caractériser les sources, la réactivité et les puits des différents constituants atmosphériques (et donc des particules d’aérosols), afin de mieux contraindre les points d’incertitudes restants dans la compréhension du système climatique. Dans cette optique, l’objectif de cette thèse était de rendre compte d’une éventuelle évolution physico-chimique des aérosols inorganiques industriels au cours de leur transport en champ proche (échelle urbaine), ce qui nécessiterait de développer une méthodologie d’analyse par cryo-microscopie adaptée à l’étude de composés semi-volatils abondamment présents au sein de l’aérosol secondaire.

La cryo-microscopie telle que nous la connaissons est maintenant utilisée depuis une trentaine d’années et avec le Prix Nobel de Chimie décerné l’an dernier aux chercheurs qui l’ont mise au point, cette technique est plus que jamais d’actualité. Néanmoins, du fait qu’elle ait été développée au départ pour des applications biologiques, le protocole d’observation par cryo-microscopie proposé par le constructeur de notre système de cryo-préparation a nécessité des ajustements afin de pouvoir être utilisé, en routine, pour l’analyse chimique de particules environnementales par cryo-MEB-EDX en mode automatisé et plus particulièrement pour les particules inorganiques secondaires. En effet, lors de nos premières observations, les grilles de microscopie analysées présentaient invariablement une "contamination" en glace après la cryo-préparation. C’est pourquoi, dans un premier temps, les étapes de cryo-préparation ont été modifiées afin d’éviter sa formation. Dans un second temps, il a également fallu déterminer les conditions optimales d’analyse des particules inorganiques secondaires, particulièrement délicates à analyser par microscopie électronique à température ambiante en mode automatisé

en raison de leur dégradation sous le faisceau électronique. Pour ce faire, nous avons réalisé une étude paramétrique sur plusieurs sels constitués d’éléments semi-volatils et travaillé sur des particules "modèles" submicroniques. Ce protocole d’analyse dans les conditions cryo a par ailleurs été validé sur particules atmosphériques de tailles comprises entre 200 nm et 10 µm, par comparaison d’analyses réalisées en mode cryo à des températures réalisées à température ambiante.

La seconde partie de ce travail de thèse a ensuite été consacrée à l’étude du vieillissement des aérosols inorganiques industriels en champ proche. Une campagne de mesures a ainsi permis de collecter des particules d’origine industrielle afin d’étudier l’évolution de leurs caractéristiques physico-chimiques, dont leur état de mélange, entre la source et deux sites récepteurs qui en sont éloignés d’environ 2000 à 4000 mètres.

Nous avons pour cela calculé les modifications de l’indice d’état de mélange introduit par

Riemer & West en 2013. Nous avons ainsi montré qu’à la source, l’indice d’état de mélange calculé est toujours plus élevé dans la fraction supérieure au micron que dans la fraction submicronique. Cela est dû à une diversité interparticulaire plus faible dans les particules supérieures au micron où certaines catégories de particules (NaCl, FexOy, NaCl/NaNO3) sont beaucoup plus abondantes que les autres.

Cet indice d’état de mélange augmente ensuite entre le site "source" et nos sites "récepteurs", notamment, à Armbouts-Cappel, au travers d’une augmentation de la diversité intraparticulaire. Cela est dû, dans de nombreux cas, à l’apparition de mélanges internes, au sein de particules présentes à l’état "pur" à la source, mélanges liés à une association à de la matière organique. Cette association est très probablement due à des phénomènes de "coating" liés à l’adsorption de COV à la surface de ces particules ou encore à l’agrégation de ces "particules sources" avec des aérosols carbonés durant leur trajet en milieu urbain, avant d’atteindre nos sites récepteurs. Nous avons également mis en évidence, dans certains cas (site récepteur du Puythouck), l’apparition d’aérosols inorganiques secondaires (sulfate et nitrate d’ammonium) qui étaient quasiment absentes à la source.

En perspectives, bien que nous ayons réussi à améliorer l’analyse de composés semi-volatils tel que le nitrate de potassium suite à l’optimisation du protocole de cryo-microscopie, il n’en demeure pas moins que pour des sels inorganiques secondaires très fragiles comme le nitrate d’ammonium, le signal n’a pu être détecté que pour 20% des particules analysées. Même si nous nous sommes placés dans les conditions les plus contraignantes (analyses de particules

submicroniques), il serait nécessaire d’améliorer encore le protocole d’analyse de ces particules par cryo-microscopie. Une piste à envisager serait d’utiliser la métallisation au cours du protocole de cryo-préparation, en appliquant, par exemple, une mince couche de platine sur les supports de collection vierges et en ajoutant une seconde couche sur le support de collection après collecte. Le platine est un choix intéressant car tout d’abord il est peu ou pas détecté dans les particules environnementales. De plus, les raies L (entre 9 et 11 keV) et M (autour de 2 keV) du platine ne risquent pas de créer d’interférences avec des éléments constituant fréquemment les particules environnementales, comme celles de notre étude. Enfin, l’avantage du platine est d’être plus conducteur que le carbone constitutif des grilles MET, il permettrait ainsi une évacuation plus efficace des charges de l’échantillon et donc une limitation du phénomène de "beam damage" subi par les sels inorganiques secondaires.

Concernant l’indice d’état de mélange χ, notre étude s’est concentrée sur l’étude de l’évolution de l’indice d’état de mélange entre source et site en zone péri-urbaine et a mis en évidence la variation importante des indices de diversité intra- et interparticulaires. Il serait bon dorénavant de compléter cette première étude par une étude temporelle sur un même site, afin de mieux comprendre les phénomènes responsables de l’évolution de ces indices de diversité.