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Chapitre I. Matériel et Méthodes Générales

II.3. Résultats

II.4.5. Evolution et histoire régionales des espèces de Bathymodiolinae

A une échelle plus régionale, comment expliquer la présence d’espèces différentes sur une même dorsale comme c’est le cas sur la dorsale du Pacifique Est et la Ride Médio Atlantique ? Quels sont les mécanismes de spéciation ayant permis leur apparition et leur maintien?

Si l’on s’intéresse à l’histoire du Pacifique Est en particulier, l’ajout de séquences provenant d’espèces de suintements froids dans cette région (Costa Rica) constitue un apport considérable aux connaissances permettant d’étayer les hypothèses de colonisation de la dorsale. Dans un premier temps, les séquences COI mettent en évidence l’antériorité des moulières des suintements froids par rapport à celles des sources hydrothermales, qu’elles

proviennent de l’EPR ou de la Ride Médio-Atlantique. La phylogénie établie à partir du marqueur ITS2 renforce cette hypothèse et fournit des informations supplémentaires quant aux modalités de la colonisation de la dorsale EPR. En effet, ce gène est particulièrement résolutif à l’échelle du complexe d’espèces B. thermophilus et permet de distinguer trois « ensembles ». On peut ainsi déduire des données que la colonisation s’est déroulée de l’Isthme de Panama via les marges actives de l’Amérique du Sud (fosse du Pérou) au niveau du sud de la dorsale (plus fort apparentement entre les séquences des suintements froids du Costa Rica et celles de 37°S/EPR), puis que celle-ci est remontée vers le Nord. En effet, les séquences provenant de 21°S, 7°S et 9°50N forment les branches dérivées du groupe de 37°S/EPR.

Deux grands mécanismes de spéciation peuvent être invoqués pour rendre compte de l’extrême diversité génétique des modioles à l’échelle locale : la spéciation parapatrique (Tunnicliffe et al. 1993, Jollivet et al. 1995, Bates et al. 2005) et la spéciation vicariante de type allopatrique (Tunnicliffe 1991, Tunnicliffe & Fowler 1996, Johnson et al. 2006, Matabos 2007). Dans le premier cas, les espèces actuelles se seraient formées suite à des événements de spéciation en parapatrie découlant d’adaptation à des microenvironnements résultant de l’extrême variabilité locale de l’environnement hydrothermal. Dans le second cas, une spéciation par vicariance pourrait s’être produite après l’instauration d’une barrière physique aux flux géniques (création d’une faille transformante, mise en place d’une microplaque, formation d’un courant transverse ou subduction d’une dorsale). Ce type de modification tectonique aurait comme résultat de diviser l’aire de répartition de l’espèce ancestrale entraînant la création de deux nouvelles espèces-sœurs. Cette hypothèse a été mise en avant pour la première fois par Tunnicliffe (1991) pour expliquer le grand nombre d’espèces jumelles ou sous-espèces trouvées de part et d’autre de la faille de St Andreas (pointe de Californie) entre les communautés de l’EPR et Juan de Fuca. Ce scénario colle aussi très bien avec ce qui a été observé sur la dorsale du Pacifique Est. Cette dorsale, relativement récente (- 18 MA: (Mammerickx et al. 1980)) est le résultat de la subduction de la ‘Mathematician ridge’ sous la plaque américaine. La portion sud (Antarctique-Pacifique : 32-38°S) a été isolée des autres par le nord lors de la formation de la microplaque de l’île de Pâques, il y a 5,9 MA (Naar & Hey 1991). A ce niveau, les flux géniques entre le nord et le sud ont été complètement interrompus entraînant une spéciation de type allopatrique observable aujourd’hui sous la forme de la divergence entre l’espèce B. thermophilus (nord) et l’espèce sud située entre 32°S et 37°S. L’hypothèse d’une barrière tectonique d’une telle ampleur ne

semble pas cependant fonctionner pour la dorsale médio-atlantique sur laquelle plusieurs espèces sont présentes sans qu’aucune barrière stricte aux flux géniques ne soit observée.

Une autre hypothèse repose sur une vision plus dynamique de l’évolution des espèces, et notamment que celles-ci, au regard de leur fort potentiel dispersif peuvent utiliser de nombreux environnements relais pour coloniser le milieu où elles sont actuellement observées. En effet, les bivalves sont connus pour avoir une très forte fécondité (Davaine 1853), une phase larvaire qui leur confère un fort potentiel dispersif, et une très forte plasticité phénotypique. Ces caractéristiques auraient pu leur permettre d’utiliser les zones de suintements froids comme pierres de gué. On trouve une excellente illustration de ce phénomène en étudiant les espèces Bathymodiolus des suintements froids rencontrées de part et d’autre de l’Atlantique sur les marges africaine et américaine. Pour expliquer l’absence de différenciation génétique de ces populations, Olu et collaborateurs (2007) ont ainsi évoqué l’hypothèse d’une communication trans-océanique des faunes africaines et américaines à l’aide des courants profonds. De même, la proximité génétique d’espèces du Pacifique Ouest (à proximité des côtes japonaises : B. septemdierum) avec celle trouvée au milieu de l’Océan Indien (B. marisindicus) renforcent l’idée d’une dispersion sur de très grandes distances.

Ces phénomènes de dispersion ‘longue distance’ confortent l’hypothèse selon laquelle les milieux réduits profonds ont pu être colonisés par un petit nombre d’espèces ancestrales qui se sont dispersées pour coloniser au final l’ensemble des environnements réduits. Cependant, il est parfois difficile de comprendre les mécanismes permettant le maintien de deux espèces proches au sein d’une même aire géographique et ne présentant pas de barrière physique évidente, sans prendre en compte des mécanismes d’isolement génétique tels que le renforcement, comme c’est le cas avec les deux espèces présentes dans le nord de la dorsale médio-atlantique (B. azoricus et B. puteoserpentis).

D’après nos arbres phylogénétiques, il ne fait peu de doute que ces deux espèces descendent des espèces des suintements froids rencontrés dans l’Atlantique (complexe d’espèces B. boomerang). Dans ce cas particulier, il ne s’agit pas d’une colonisation depuis l’Océan Indien via l’Atlantique Sud. Les deux espèces ont donc une origine ‘suintements atlantiques’ qui peut suivre deux scénarios évolutifs : (1) une colonisation de la dorsale pas à pas avec effets de fondation répétés et sélection environnementale (spéciation parapatrique)

ou (2) deux événements indépendants de colonisation de la dorsale avec formation d’une zone de contact secondaire (spéciation allopatrique avec renforcement).

II.4.6. Polyphylie au niveau du marqueur ITS2 et possibilités d’hybridation chez