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9. Le peuplement associé aux sources hydrothermales

9.2. Les bivalves

Les bivalves des environnements réduits se répartissent selon quatre grandes familles : Les Solemyidae, les Vesicomyidae, les Mytilidae et les Pectinidae (Desbruyères et al. 2006). Les Vesicomyidae et les Mytilidae sont les familles regroupant le plus grand nombre d’espèces.

La famille des Solemyidae est représentée dans les sources hydrothermales et les suintements froids par le genre Acharax. Les espèces de cette famille sont des bivalves de relativement grande taille (de 10 à 22cm) vivant profondément enfouis dans des sédiments meubles (zones hydrothermales à forte sédimentation comme le bassin des Guaymas ou les bassins arrière-arc du Pacifique ouest : (Métivier & von Cosel 1993). Certaines de ces espèces sont caractérisées par l’absence totale de tractus digestif et sont donc complètement dépendantes de leur symbiose avec des bactéries chimioautotrophes.

Pour le moment, la famille des Pectinidae des milieux profonds est uniquement représentée par 2 espèces : Bathypecten vulcani et Sinepecten segonzaci. La première a été observée en plusieurs points de la dorsale du Pacifique Est (13°N et 38°S) ainsi que sur la ride des Galápagos. La seconde espèce a été échantillonnée dans le bassin arrière-arc de Manus.

Considéré comme des fossiles vivants du Crétacé, peu de choses sont connues sur ces espèces en général sinon qu’il possède un tractus digestif fonctionnel et ne présentent pas d’endosymbioses particulières. En effet, la petite taille des ces bivalves (moins de 30mm) fait qu’ils sont extrêmement difficile à échantillonner et par conséquent à étudier.

La famille des Vesicomyidae est la plus diversifiée, en taille, en morphologie et en nombre d’espèces : actuellement, 84 espèces ont été recensées mais il reste encore de nombreuses espèces actuellement en cours de description et la famille est très nettement polyphylétique suggérant une remise en question des critères morphologiques de classification (Vrijenhoek et al. 1994).

La famille comprend un petit nombre d’espèces inféodées au milieu profond mais n’est pas restreinte aux habitats réduits. En revanche un grand nombre d’espèces est confinée aux environnements réduits, sources hydrothermales et suintements froids. Certaines espèces sont même retrouvées à la fois dans les environnements hydrothermaux et dans les zones de suintements froids. Ces coquillages sont connues pour dominer les assemblages d’invertébrés trouvés dans les zone hydrothermales, et les zones de suintements froids à travers tous les océans du monde (Sibuet & Olu 1998)(Figure 0.12-c). Plus de 50 espèces ont été décrites à travers le globe et de nombreuses espèces cryptiques ont été identifiées par l’outil moléculaire (Goffredi et al. 2003, Vrijenhoek et al. 1994). Ces espèces sont toutes hautement adaptées à la vie symbiotique et dépendent complètement des bactéries chimioautotrophes qui se développent dans leurs branchies pour leur nutrition (Cavanaugh 1983, Fisher 1990). Les sulfures nécessaires au métabolisme bactérien sont absorbés au niveau du pied, puis transportés par le sang à l’aide d’une protéine enrichie en Zn encore non identifiée, tandis que l’O2 et le CO2 sont absorbés directement au niveau des branchies (Arp et al. 1984). Même si les Vesicomyidae sont restreints aux substrats enrichis en sulfures, la plupart des espèces ne possèdent pas les mêmes caractéristiques écologiques. Les grandes différences existantes entre les espèces concernant leurs adaptations physiologiques vis-à-vis des sulfures, du méthane et de l’oxygène, celles-ci les ayant conduit vers une forte spécialisation à des micro-habitats (Goffredi & Barry 2002)

Au sein de la famille des Mytilidae, 2 grandes sous-familles réunissent l’ensemble des modioles des sources hydrothermales et des zones de suintements. Le premier groupe est celui des Bathymodiolinae, et comprend les genres Bathymodiolus Kenk et Wilson 1985,

Gigantidas Cosel et Marshall 2003 et Tamu Gustafson et al 1998. La seconde sous famille est celle des Modiolinae avec les genres Idas Jeffrey 1876 , Adipicola Dautzenberg 1927 et Idasola Iredale 1939 (Tableau 0.1).

Tableau 0.1. Classification des Mytilidae associés aux environnements réduits profonds

Domaine Eukaryota Whittaker & Margulis, 1978

Royaume Metazoa Linnée 1758

Sous royaume Bilateria Hatschek 1888

Embranchement Protostomia Grobben 1908

Phylum Mollusca Linnée 1758

Classe Bivalvia Linné 1758

Sous classe Pteriomorphia Beurlen 1944

Ordre Mytiloida Ferussac 1822

Super famille Mytiloidea Rafinesques 1815

Famille Mytilidae Rafinesques 1815

sous famille Bathymodiolinae Kenk et Wilson 1985 Modiolinae keen 1958

Genre Bathymodiolus Kenk et Wilson 1985 Gigantidas Cosel et Marshall 2003 Tamu Gustafson et al 1998 Benthomodiolus Dell 1987 Idasola Iredale 1939 Adipicola Dautzenberg 1927 Idas Jeffrey 1876

La répartition et le mode de vie des espèces de mytilidés hydrothermaux sont très variables. Par exemple, le genre Idas regroupe des petites moules trouvées associées à des bois coulés ou à des os de baleine dans l’océan Pacifique et la mer Adriatique (Smith & Baco 2003, Pailleret et al. 2007) ainsi que des espèces associées aux suintements froids du Golfe du Mexique et de Méditerranée (Craddock et al. 1995a). Le genre Bathymodiolus quant à lui comprend des espèces de grande taille, qui sont distribuées à l’échelle mondiale, mais qui sont uniquement inféodées aux sources hydrothermales ou aux zones de suintements froids (Iwasaki et al. 2006, Jones et al. 2006)(Figure 0.10-d).

Si les moules Bathymodiolinae sont parmi les animaux qui dominent les communautés associées aux sources hydrothermales et aux suintements froids à l’échelle du globe, cela est dû en particulier à son régime mixotrophe associant une endosymbiose avec des bactéries symbiotiques chimiosynthétiques au niveau de leurs cellules branchiales avec un système de filtration fonctionnel (Fiala-Médioni et al. 1986, Fiala-Médioni & Le Pennec 1987). En effet dans ces environnements profonds, la matière organique en suspension dont se nourrissent les Mytilidae côtiers est particulièrement rare. Les Bathymodiolinae (vivant de 80m à 4500 m de profondeur) ont vraisemblablement conservé un régime mixotrophe, ce qui a certainement énormément contribué à leur succès écologique (Fisher et al. 1987).

Il a été proposé que les lignées des sources hydrothermales profondes dériveraient d’anciennes lignées originaires des zones de suintement froids et d’environnements peu profonds des bois coulés (Craddock et al. 1995a, Distel et al. 2000, Samadi et al. 2007). Cette colonisation des environnements profonds aurait pu faire suite aux extinctions massives ayant eu lieu lors de phases anoxiques à l’Eocène (Jacobs & Lindberg 2001). La recolonisation des sources hydrothermales aurait alors pu avoir lieu à partir d’espèces moins profondes ayant su tirer profit d’environnements réduits temporaires ou habitats relais, composés par les bois coulés et les os de baleine (Distel et al. 2000). Cependant, cette hypothèse s’appuie uniquement sur une phylogénie établie à partir d’un nombre limité d’espèces provenant principalement de l’océan Atlantique. D’autres études phylogénétiques montrent que certaines espèces du Pacifique Ouest pourraient être relictuelles (notamment en nouvelle Zélande : (Smith & Baco 2003)) et ne permettent pas de définir un état ancestral et un état dérivé entre les environnements hydrothermaux et les zones de suintements froids (Miyazaki et al. 2004). De plus, des reversions d’habitats (hydrothermal vers suintements froids) ont pu se produire dans certaines lignées de bathymodioles Atlantiques (Won et al. 2002).

En contexte hydrothermal, les mytilidae du genre Bathymodiolus sont présents sur l’ensemble des champs hydrothermaux de la ride médio-Atlantique, sur une partie de la dorsale du Pacifique Oriental (de 13°N à 37°S), sur la ride des Galápagos, dans les bassins arrière-arc du Pacifique Ouest et dans l’océan Indien au niveau du point triple de Rodriguez.

Malgré un nombre d’études unique dans l’histoire de l’exploration de l’océan profond, les contraintes logistiques font que nous sommes encore bien loin de connaître la distribution exacte, la composition et le fonctionnement des écosystèmes hydrothermaux. En dépit du nombre encore trop grand de zones peu ou pas explorées (Atlantique Sud, dorsale Indienne, dorsales Arctique et Antarctique), certaines zones ont fait l’objet d’études approfondies et de suivis temporels (Dorsale du Pacifique Est, dorsale nord Pacifique (segment de Juan de Fuca), Point triple des Acores) qui, ont permis de mettre en évidence que le milieu hydrothermal est soumis à une très forte instabilité temporelle liée au volcanisme effusif (épanchement de laves couvrant de nombreuses zones actives : Haymon et al. (1991) et Tunnicliffe et al. (1997)) ou à une forte activité tectonique (Jollivet 1993). Cette instabilité de l’habitat et sa fragmentation à toutes les échelles d’espace affectent grandement le fonctionnement des populations et la composition spécifique de ces communautés.