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11. Zones d’étude et objectifs de la thèse

11.1. La dorsale est pacifique

L'océan Pacifique comprend quatre dorsales actives : la dorsale du Pacifique-est, East Pacific Rise (EPR) (dorsale rapide à ultra-rapide), la dorsale Cocos-Nazca au large de l'Amérique centrale, la dorsale du Chili au sud de l'île de Pâques et au nord-est, la dorsale du Pacifique Nord composée des segments Gorda, Juan de Fuca, Endeavour et Explorer, le segment Gorda étant connecté à la terminaison nord de la faille de San Andreas. Notre zone d’étude est plus particulièrement centrée sur la Dorsale est Pacifique. L’axe de cette dorsale constitue un dôme régulier. Cette structure est liée au régime thermique de la dorsale et donc à l’épaisseur de la lithosphère (Lagabrielle 2005). Sur l’EPR comme pour l’ensemble des dorsales rapides, la lithosphère se trouve au-dessus du réservoir magmatique et la dorsale ne représente que la simple fente (à l’échelle de la plaque) d’où s’échappe le magma, résultant de la séparation des plaques. Il n’y a pas effondrement du dôme ce qui confère à l’EPR cet aspect régulier. Cependant 20% de la dorsale est caractérisé par une caldera plus ou moins profonde (effondrement consécutif à la vidange de la chambre magmatique sous jacente), donnant une zone de fracture (graben) tectonisée.

C’est entre la zone de Fracture « Garrett » (13°S) et la microplaque de l’île de Pâques (23°S) que le taux d’accrétion est le plus rapide au monde (entre 141 et 162 mm/an) (Naar & Hey 1989, Demets et al. 1990).

L’axe de l’EPR est très segmenté (Macdonald et al. 1991), il est découpé en tronçons séparés par des failles transformantes de grande ampleur ou de discontinuité de moindre importance (Figure 0.14). Lorsque les extrémités des axes de deux segments de dorsale se recouvrent partiellement (chevauchement à certaines latitudes), certains utilisent le mot anglais de OSC (Overlapping Spreading Center) (Macdonald & Fox 1983). (cf schéma explicatif sur Figure 0.14). C’est ce phénomène qui s’est produit à plus grande échelle lorsque les extrémités de deux axes actifs de la Dorsale du Pacifique est se sont rejoints pour isoler les microplaques de l’Ile de Pâques et de Juan Fernandez (Larson et al. 1992).

La dorsale du Pacifique est se révèle être un réseau hétérogène et des études sur la répartition des espèces et leur phylogéographie ont permis de mettre en évidence une

succession de barrières à la dispersion. Ainsi, du nord au sud, quatre grandes barrières ont pu être identifiées

(1) La barrière se situant au niveau de la zone de fracture de Riviera (cf Figure 0.14) a été déterminée par l’observation d’un cline de fréquences des haplotypes mitochondriaux chez le polychète Oasisia alvinae (Hurtado et al. 2004). Il s’agit également de la limite nord de répartition pour de nombreuses espèces comme l’annélide Tevnia jerichonana ou la modiole Bathymodiolus thermophilus. Des courants gyratoires forts au sein de cette région pourraient entraîner les larves de certaines espèces hors de l’axe de la dorsale.

(2) La barrière du Hess Deep : point triple avec la ride des Galápagos : la région entre la dorsale du Pacifique est et celle des Galápagos présente des caractéristiques hydrographiques et topographiques pouvant créer une barrière à la dispersion. En effet, certaines espèces (par exemple Bythograea galapagensis) sont endémiques des Galápagos et d’autres comme Alvinella pompejana ou le crabe Cyanagraea praedator endémiques de l’EPR. Néanmoins, certaines espèces sont retrouvées sur les deux dorsales et présentent de faibles échanges génétiques entre populations (par exemple Paralvinella grasslei (Jollivet et al. 1995a) ou, au contraire, comme Bathymodiolus thermophilus d’importants flux géniques (Won et al. 2003b)

(3) Au niveau de l’équateur se trouve un fort courant profond qui génère un puissant gyre lorsqu’il traverse l’axe de l’EPR (Reid 1997). Ce gyre est soupçonné de bloquer la dispersion des larves pélagiques pouvant expliquer les limites de répartition de 2 espèces de crabes : Bythograea microps au nord (21-9°N) et Bythograea laubieri au sud (11-32°S). Chez Alvinella pompejana, les populations « nord » et « sud » sont également réciproquement monophylétiques au niveau des séquences du gène mitochondrial COI. En revanche, la distribution des espèces Riftia pachyptila (Hurtado et al. 2004) ou les bivalves Calyptogena magnifica (Hurtado et al. 2003) et B. thermophilus (Won et al. 2003b) ne présentent pas de discontinuités génétiques.

(4) La microplaque de l’île de Pâques, mise en place il y a environ 5 millions d’années, est également considérée comme une barrière à la dispersion. En effet les données mitochondriales indiquent une nette divergence entre les populations de Riftia pachyptila situées de part et d’autre de cette plaque. Cet effet vicariant est retrouvé chez de nombreuses

espèces associées à R. pachyptila (Crabes Bythograeidae, vestimentifère Oasisia alvinae, bivalve Calyptogena magnifica). De même chez les Bathymodiolinae, la divergence observée entre les populations de Bathymodiolus thermophilus du nord (jusqu’à 21°S) et du sud (à partir de 32°S) supporte l’hypothèse d’un complexe d’espèces cryptiques (Won et al. 2003b).

Figure 0.14. A : Géomorphologie générale de la dorsale est pacifique. B : Schéma d’un « Overlapping Spreading Center » (cf texte pour explications). Illustration modifiée de Lagabrielle (2005).

Les barrières que nous venons d’évoquer sont des barrières qui persistent depuis suffisamment longtemps pour avoir laissé leur empreinte dans l’évolution des espèces. Il ne faut cependant pas oublier que des zones de fracture comme celles de Garret ou de Yaquina plus récentes, (d’un point de vue géologique), peuvent atténuer les flux larvaires sans avoir encore avoir pu « marquer » l’histoire des espèces. Les outils génétiques et les marqueurs mitochondriaux utilisés nous permettent uniquement d’observer aujourd’hui le résultat de phénomènes passés. Ils ne nous permettent en aucun cas de réaliser une « photographie» des processus actuels de dispersion entre les champs de la dorsale.

Trois champs hydrothermaux de la dorsale EPR sud ont été échantillonnés pour notre étude : 7°25S, 21°33S et 37°S. (Figure 0.14) . Ces trois champs partagent la caractéristique d’avoir un temps de renouvellement rapide des sites.

Sur la base des données mitochondriales, l’espèce rencontrée à 7°25S à 21°33S est Bathymodiolus thermophilus. L’analyse de la composition faunistique des moulières montre que la plupart des espèces sont communes et largement distribuées entre ces 2 points, suggérant l’existence d’une province biogéographique unique pour l’ensemble de la dorsale est pacifique (Matabos 2007). Néanmoins, les communautés présentes à 21°33S se distinguent par la présence d’espèces nouvelles ou proches des bassins arrière-arc du Pacifique ouest (Jollivet et al. 2004).

Chez les bathymodioles, aucune structure génétique entre l’EPR nord et l’EPR sud n’a été mise en évidence, seule la présence de 2 clades distincts d’haplotypes mitochondriaux a été observée en mélange dans les populations. De plus, les études menées sur 26 locus enzymatiques (Craddock et al. 1995b) n’ont pas permis de mettre en évidence de barrière aux flux de gènes le long de la dorsale.

Le site 37°S est le site le plus méridional de la dorsale et se situe sur la dorsale Pacifique-Antarctique (PAR : Pacific-Antarctic Rise) située en deçà de la microplaque de l’île de Pâques. Cette zone n’a fait l’objet que d’une première campagne d’exploration (Campagne « Easter Microplate Expedition », R.C. Vrijenhoek & C.L. van Dover : co-chefs de mission). Peu de choses sont connues sur le fonctionnement et la diversité des communautés qui s’y trouvent. L’espèce de bathymodiole échantillonnée à 37°S n’est pas encore décrite mais

s’apparente aux modioles récoltées à 32°S présentant un haplotype mitochondrial très différent de ceux trouvés chez B. thermophilus.